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Il arrive quelquefois qu'une partie de la date se trouve écrite en toutes lettres, tandis qu'une autre partie l'est en chiffres romains ou arabes, comme dans l'exemple suivant : Anno millesmio CCCC octogesimo VIII, 1488, etc.

On voit aussi quelques ouvrages portant sur le frontispice une date différente de celle qui se trouve à la fin, et il arrive encore que lorsqu'il y a plusieurs volumes, chaque volume porte également quelquefois une date différente, de manière que le premier semble moins ancien que les autres; ce qui pourrait faire croire qu'il y a plusieurs éditions, et que l'exemplaire qu'on possède, est rappareillé. Entre autres exemples on peut citer celui du beau Cicéron imprimé par les Junte, dans lequel le premier volume est de 1537, le second de 1534, et le troisième de 1536, bien qu'il n'y ait eu qu'une seule édition. Cette bizarrerie se rencontre assez

souvent.

Il existe un grand nombre d'ouvrages qui ne portent ni date, ni désignation de ville, ni nom d'imprimeur; toutefois un bibliographe doit s'attacher à deviner pour ainsi dire l'un et l'autre. Or, il ne peut le faire que par conjecture, en comparant les usages du temps, la forme du caractère, la marque du papier, etc.; alors il est difficile d'asseoir un jugement dont on puisse affirmer l'exactitude.

Bien que la comparaison des caractères soit la méthode la plus usitée, néanmoins elle n'est pas infaillible. En supposant même que chaque imprimeur se servît exclusivement d'un caractère, n'est-il pas possible qu'à sa mort il ait passé dans les mains d'un autre, et même ait été transféré dans une autre ville? Ne pouvait-il pas réimprimer d'anciens ouvrages sortis de ses presses, ou bien l'acquéreur de l'imprimerie faire la même chose. P. Schoeffer, neveu de J. Schoeffer, n'a-t-il pas réimprimé, en 1505, un Psautier qu'il aurait pu donner pour une édition de 1459, puisqu'il s'est servi des mêmes caractères, s'il avait voulu suivre les usages de ponctuation, etc., de son oncle?

On trouve plusieurs exemples de la fausseté d'une date, ou par quelques erreurs dans les chiffres, ou parce que l'imprimeur l'a déguisé par un motif particulier. Ces erreurs ou cette fraude ont quelquefois trompé des bibliographes trèsinstruits; mais il n'est pas impossible de les reconnaître au moyen d'un peu d'attention, pour peu qu'on soit versé dans la connaissance des premières éditions. Par exemple, la date de Biblia sacra, Embrica, Gruninger, 1465, est évidemment fausse, puisque Gruninger n'a rien imprimé avant 1490; mais on doit présumer que, par une faute typographique, le 9 a été retourné et n'a indiqué qu'un 6. Le Puellarum decor de Janson, en 1461, est de 1471, encore par une faute typographique non corrigée. On pourrait en citer beaucoup d'autres.

CHAPITRE XX.

Des écussons et des devises.

Les anciens imprimeurs avaient une marque particulière qui servait à faire reconnaître leurs ouvrages. Elle consistait quelquefois dans une pièce de vers, quelquefois dans une seule capitale conformée d'une manière qui lui était affectée; mais le plus souvent c'était un écusson chargé de quelques attributs avec leur devise, ou bien la devise seulement sans attribut.

Les Alde, par exemple, avaient pour marque ou devise un ancre avec leur nom; Abel Langelier, le sacrifice d'Abel; Antoine Bladius de Rome, Detournes et Guillaume Rouillé de Lyon, un aigle; les Etienne, les Elzévir d'Amsterdam, Mamert Patisson, etc., un olivier; les Wechel, un caducée; les Cramoisy, la cigogne; Balthasard Moret et Christophe Plantin d'Anvers, un compas; Gilles Corrozet, un cœur dans une rose; Antoine Vitré, un Hercule avec cette épigraphe : Virtus non territa monstris; Gaillot Dupré, un casque; les

Anisson de Lyon, une fleur de lis avec le mot Anisson; Jansson et Blaeu d'Amsterdam, les globes du ciel et de la terre dans une balance; Sébastien Gryphe de Lyon, un griffon; les Morel de Paris, un mûrier bland; Jean de la Caille, Simon Piget, la Prudence, avec ces mots : Vicit prudentia vires; les Dupuis, la Samaritaine; Simon de Colines, Claude Chaudière, Saturne avec l'épigraphe : Virtus sola retundit; Jean Bonfons, un serpent plié en cercle et au milieu une colombe sur un arbe, avec cette légende: Estote prudentes sicut serpentes et simplices sicut columbæ ; Frobenius de Bâle, deux serpens couronnés autour d'un pieu et un oiseau au-dessus; Ulric Gering, Martin Crantz et Michel Friburger, un soleil d'or; Josse Badius, une presse d'imprimerie; Jean Caminat, la Toison d'or; etc.

Nous renvoyons ceux qui désireraient avoir de plus amples notions sur cet objet à l'ouvrage curieux qui a pour titre : Frid. Roth. Scholtzic thesaurus symbolorum ac emblematum Bibliopolarum ac typographorum, ab incunabilis typographic, Norimb., 1750, in-fol.

CHAPITRE XXI.

De l'influence de la découverte de l'imprimerie sur le prix des livres.

Dans les premiers temps de l'imprimerie le nombre des livres fut d'abord fort restreint, parce que leur prix était très-considérable. Comme les premières productions typographiques ressemblaient aux caractères de l'écriture, bien des personnes séduites par cette ressemblance les ont achetées comme des manuscrits, et par conséquent fort cher. Nous pourrions donner plusieurs exemples de cette cherté excessive; mais elle résulte, entre autres, d'un acte par lequel Jean Fust ou ses héritiers, vendirent à la Sorbonne un exemplaire des œuvres de saint Jérôme, pour le prix de douze écus

d'or, à condition qu'on y célébrerait un anniversaire pour le repos tant de son âme que celle de ses associés.

Toutefois le haut prix des livres ne dura pas long-temps, parce que bientôt l'on vit des imprimeries s'établir dans les principales villes de l'Europe, et des imprimeurs rivaliser de talent et d'émulation pour multiplier les productions les plus précieuses de l'antiquité et des temps modernes que l'on put découvrir. Alors la multiplicité des imprimeurs ayant fait tomber peu à peu le prix des livres à un taux plus modéré, il fut plus facile d'établir des dépôts de livres, qui s'accrurent dans la proportion de cette multiplication; et depuis, la librairie n'a cessé de faire des progrès, malgré les liens et les entraves avec lesquels une politique fausse, ignorante et despotique, a toujours cherché à la garrotter.

Cette noble émulation pour multiplier les livres dans les premiers temps de l'imprimerie était portée à un tel point, que les premiers typographes sortis des ateliers de Mayence, qui s'étaient établis à Rome, Sweynheim et Pannartz, furent obligés de présenter une supplique au pape Sixte IV, afin de le prier de venir à leur secours, se voyant sur le point d'être ruinés par le peu de débit de leurs livres, et par les avances considérables qu'ils leur avaient occasionées. En effet, dans l'espace de sept ans ils avaient imprimé douze mille quatre cent soixante-quinze volumes de différens auteurs, et ces auteurs étaient Lactance, Cicéron, saint Augustin, saint Jérôme, Apulée, Aulugelle, César, Platon Virgile, Tite-Live, Strabon, Lucain, Pline, Suétone, Quintilien, Ovide, etc.

La décadence du prix des livres fut si grande peu d'années après l'établissement de l'imprimerie, que déjà, en 1468, Jean André, évêque d'Aleria, dans son épître dédicatoire à Paul II, placée à la tête de l'édition qu'il a donnée des épîtres et des traités de saint Jérôme, disait au pape qui avait introduit l'imprimerie à Rome : «Que d'actions de grâce ne vous ren» dra pas le monde littéraire et chrétien! N'est-ce pas une

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>> grande gloire pour Votre Sainteté d'avoir procuré aux plus » pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu de » frais, et d'acheter pour vingt écus des volumes corrects, » que dans des temps antérieurs on pouvait à peine obtenir » pour cent, quoique remplis de fautes de copistes. Sous >> votre pontificat les meilleurs livres ne coûtent guère plus » que le papier et le parchemin nus... Maintenant on peut >> acheter un volume moins cher que ne coûtait autrefois sa >> reliure... L'Allemagne, à laquelle nous devons cette inven>>tion si précieuse, sera donc honorée et célébrée dans tous » les siècles; et tant que la république des lettres existera, ce >> bienfait, et celui que vous venez d'accorder à la capitale » du monde, ne s'effaceront pas de la mémoire des hommes. >>

CHAPITRE XXII.

Des signes distinctifs des anciennes éditions.

Comme les premiers livres imprimés sont d'un grand prix aux yeux des curieux, un biliographe doit s'attacher à connaître les anciennes éditions, de manière à ne pas les confondre avec celles d'une date moins reculée. Les signes auxquels on reconnaît ordinairement ces éditions, lorsqu'elles sont sans date, se trouvent dans un ouvrage de SébastienJacques Jungendre, intitulé: Disquisitio in notas characteristicas librorum à typographiæ incunabulo ad an. M. D. impressorum, etc., 1740, in-4. Voici ces signes :

1. L'absence des titres sur une feuille séparée.

Ce signe d'ancienneté n'est point équivoque, car ce n'est que vers 1476 ou 1480 qu'on a commencé à imprimer les titres des livres sur un feuillet séparé; et les titres des chapitres se voyent déjà dans les Epitres de Cicéron, de 1470. 2. L'absence des lettres capitales au commencement des divisions.

Dans les premiers temps de l'imprimerie, les imprimeurs

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