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charlatanisme dont, à l'aide de ces qualifications, on a quelquefois leurré certains amateurs peu éclairés.

D'abord il est un fait certain, c'est que les ouvrages imprimés avant 1460 sont d'une rareté excessive, parce que les inventeurs de l'imprimerie ayant le plus grand intérêt à cacher le procédé dont ils se servaient et à faire passer pour manuscrits les livres sortis de leurs presses, n'en tiraient qu'un nombre d'exemplaires proportionné aux demandes qui leur étaient faites. Aussi ne connaît-on que très-peu d'exemplaires des premières éditions de la Bible des pauvres, du Donat, du Speculum humanæ salvationis, de la Bible lutine et du Psautier de Mayence, etc. Il n'existe plus même que quelques fragmens du Donat conservés par des curieux, dont on trouve le fac-simile de quelques-uns dans le catalogue de La Vallière de 1783.

Quoique les caractères mobiles fussent déjà inventés avant 1460, puisque la Bible et le Psautier de Mayence ont été imprimés avec ces sortes de caractères, néanmoins les livres imprimés depuis cette époque jusqu'à 1470, sont encore trèsrares, probablement parce que les possesseurs du secret de l'imprimerie avaient intérêt de ne pas trop multiplier les exemplaires des livres qu'ils imprimaient, et que d'ailleurs les ravages du temps et différens autres accidens ont dû nécessairement en diminuer beaucoup le nombre. Ils le sont beaucoup moins depuis cette dernière époque jusqu'en 1478 ou 1479. Mais vers ce temps le nombre des imprimeries s'était considérablement accru, et les savans s'étant appliqués à former des bibliothèques, les livres devinrent bien moins rares, et par conséquent on ne doit considérer que comme simplement rares les ouvrages imprimés depuis 1480 jusqu'en 1500.

La révolution religieuse opérée, dans le 16° siècle, par Luther et Calvin, a enfanté beaucoup d'écrits polémiques et très-satyriques contre l'église romaine et son chef. Ces écrits, malgré la suppression sévère qui en était faite, sont parvenus

despotique du cardinal de Richelieu en a fait éclore aussi qui également sont rares. Mais sous le règne de Louis XIV on en a vu paraître une multitude, pendant la fronde, dirigés contre le cardinal Mazarin; leur collection plus ou moins complète sous le nom de Mazarinade, est rare; mais elle perd beaucoup de son prix, lorsque certains pamphlets que nous avons indiqués dans notre dictionnaire ne s'y trouvent pas. L'ambition et le despotisme de ce monarque ont fait sortir des presses étrangères, et surtout des presses de Hollande, une multitude de satires très-violentes, qui en général sont peu communes et non moins recherchées aujourd'hui qu'autrefois, surtout lorsqu'elles ont été imprimées par les Elzévir. Les querelles parlementaires sur le jansénisme, la destruction des jésuites, les innovations de Maupeon ont, sous le règne de Louis XV, produit beaucoup de pamphlets, mais trèspeu sont rares et recherchés. Le règne de Louis XVI en a vu éclore pareillement un grand nombre sous les ministères de Turgot, de Necker, de Calonne, de Brienne, et ils nè sont guère plus rares que recherchés.

Mais aucune époque de nos annales n'a vu naître autant de plamphets que la révolution. La collection en est immense; nonseulement elle est rare, mais elle est à peu près unique, puisqu'on ne connaît de bien complète que celle de M. Deschiens, ancien avocat, résidant à Versaille. Il y a peu d'années qu'il en existait plusieurs formées avec beaucoup de soins, telles que celles de MM. Laloi, Soulavie, Delisle de Sales, Lerouge, etc.

La collection de M. Laloi, qui était très-précieuse et qu'il avait rassemblée avec infiniment de peine, a été vendue au poids lors de son exil, et des épiciers de la capitale s'en sont partagé les lambeaux. C'est une perte irréparable pour l'histoire de cette époque mémorable; Laloi en a versé des larmes de douleur dans sa terre d'exil. La collection de l'abbé Soulavie a été vendue à un libraire étalagiste, qui l'a détaillée à vil prix; celle de Delisle de Sales a été vendue à l'encan, aussi en détail, et celle du libraire Lerouge a été achetée par

un anglais. On peut donc considérer la collection de M. Deschiens comme à peu près unique ; il n'y aurait guère que celle de M. Boulard qui pourrait rivaliser avec elle; mais comme cette dernière n'est point encore classée, nous ne pouvons pas en porter de jugement. Du reste, nous désirons pour l'intérêt de la vérité de l'histoire que le gouvernement fasse l'acquisition des deux ou trois collections qui existent encore, parce qu'on doit les considérer comme les archives où nos Tacites futurs iront puiser les matériaux historiques de notre grand drame révolutionnaire, et il serait impossible d'en tracer le tableau avec intérêt et impartialité sans recourir à ce grand répertoire de pièces. C'est vraiment une chose pitoyable que de voir aujourd'hui des gens, qui n'ont consulté aucune de ces pièces, écrire l'histoire d'une époque qu'ils n'ont point vue, et qu'ils ne connaissent que par les caricatures qui en ont été faites par d'insipides barbouilleurs aussi dénués de talent que de vertus patriotiques (*).

Après avoir établi l'extrême rareté des collections complètes sur la révolution, nous dirons que les pièces les plus rares qui entrent dans cette collection sont celles qui ont paru depuis la fin de 1792, et surtout chez l'étranger. Il en est même qui ont été publiées en grand nombre d'exemplaires, imprimés aux frais du gouvernement d'alors, et que l'on ne

(*) Nous ne prétendons pas envelopper dans la même proscription toutes les histoires de la révolution qui ont été publiées jusqu'à ce jour, et nous ferons surtout une honorable exception en faveur des Esquisses de M. Dulaure, et de l'Histoire de la révolution, par M. Thiers, dont les premiers volumes paraissent dans ce moment. Toutefois nous avons remarqué dans ce dernier quelques opinions un peu trop hasardées sur les hommes et sur les choses, que beaucoup de personnes comme nous ne partageront pas. L'histoire de la révolution ne sera vraiment bien faite que lorsque ceux qui en ont été les auteurs et les témoins auront vidé leur portefeuille, et que ses historiens auront été à même de consulter toutes les pièces de ce grand procès.

trouve plus aujourd'hui. L'auteur de la philosophie de la nature, Delisle de Sales, a eu bien de la peine de compléter, il y a déjà plus de vingt ans, le recueil de l'infâme journal du père Duchesne, bien qu'imprimé avec profusion, et sûrement aux frais des' ennemis de la France, dont ce misérable ne pouvait être que le vil stipendié. La collection du journal de Marat, de ce prétendu ami du peuple dont la folie égalait la fureur sanguinaire, et qui probablement aussi était à la solde de nos ennemis ; cette collection est également trèsrare, bien complète. Le journal de la cour et de la ville, autrement dit le Petit Gauthier, celui ces jacobins, in-4. L'Ami du Roi, par Royon, lorsqu'il est complet, sont pareillement fort rares. Le Journal des Jacobins a été vendu, il y a quelques années, six cents francs à un Italien par un libraire de Paris.

Quelques ouvrages modernes ont été tirés à grand nombre, et cependant sont devenus fort rares, parce qu'une partie de l'édition a péri, soit dans un incendie, soit par un naufrage, ou par quelques autres accidens ; d'autres emmagasinés avec peu de soin, ou dans un endroit humide, ont considérablement souffert; et un petit nombre seulement d'exemplaires a échappé à la pourriture ou à la dent destructive des rats.

Un ouvrage qui aura été imprimé à un petit nombre d'exemplaires aux frais d'un amateur riche, et qui n'aura pas été répandu dans le commerce, mais seulement distribué en cadeaux à quelques amis, se vendra nécessairement fort cher lorsqu'il passera dans les ventes. Nous en avons plusieurs de cette espèce, et quelques-uns joignent à leur rareté le mérite d'une belle exécution. Il en est même de ce genre dont il n'existe qu'un seul exemplaire, tel que le Tableau des mœurs du temps dans les différens áges de la vie. Cet exemplaire unique a été imprimé sous les yeux et par ordre du fermier général de la Popelinière qui en fit aussitôt briser les planches; il est extrêmement licencieux et remarquable par des miniatures de format in-4 de la plus grande fraîcheur

et du plus beau faire, représentant des sujets libres; M. de la Popelinière y est peint sous divers points de vue et d'après nature dans les différens âges de la vie. C'est un volume grand in-4 relié en maroquin. Cet ouvrage érotique fut saisi par ordre du roi à la vente des livres de l'auteur; mais il n'a pas été perdu pour tout le monde, dit M. Brunet, puisqu'il fait maintenant partie du cabinet et des livres précieux du prince de Galitzin ; et c'est du catalogue de ce riche seigneur russe qu'a été tirée la description que nous en donnons.

Les amateurs se procurent encore quelquefois de ces exemplaires uniques, en en sacrifiant deux pour en faire un seul, dont les marges par ce moyen ont plus de grandeur, et pour les rendre plus précieux, ils y ajoutent des figures analogues, bien qu'elles ne soient pas faites pour l'ouvrage ; une lettre de l'auteur, quelques notes manuscrites de sa main, enfin tout ce qu'ils imaginent pour en augmenter le prix.

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Il est beaucoup d'ouvrages jadis assez communs et que certaines circonstances ont rendus ensuite rares. Avant et même depuis la révolution les collections des Elzévir, des Ad usum Delphini, des Variorum, etc., n'étaient point rares en France. Mais la depréciation du papier-monnaie en a fait enlever beaucoup et à vil prix par l'étranger. Ensuite les deux invasions ont absorbé le reste, c'est-à-dire Messieurs les alliés, avec les immenses tributs qu'ils ont levés sur une nation dont ils se disaient les amis, lui ont soutiré tout ce que ses bibliothèques et cabinets renfermaient de plus précieux, outre le droit de préhension exercé sur nos musées et dépôts publics. Cette perte a été grande pour les sciences et les arts; mais elle a reversé dans la circulation une partie des deux milliards en numéraire que ces susdits amis avaient prélevés ou extorqués, en vertu du droit le plus fort, qui, par parenthèse, n'est pas toujours le plus juste. On voit rarement aujourd'hui dans le commerce de beaux Elzévir, et surtout des éditions Ad usum. Il serait impossible de se former la plus petite collection de ces dernières en parcourant

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