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toutes les librairies de Paris. Nos livres précieux et anciens exécutés sur vélin enrichissent maintenant les cabinets des riches amateurs de l'Europe, tels que le prince russe Galitzin, lord Spencer, etc.

Il est aussi des ouvrages que les circonstances, le moment, la fantaisie même, élèvent subitement à un prix exhorbitant. On en a vu un exemple l'année de la mort de Louis XV; l'almanach de Liége est devenu plus cher et plus recherché que les meilleurs ouvrages des auteurs les plus célèbres, à cause de l'espèce de prophétie applicable à ce monarque que l'on croyait y remarquer,

A l'époque de l'ouverture des états-généraux ainsi qu'à celle de l'expédition d'Egypte, on rechercha beaucoup tous les livres qui y avaient rapport; ils furent promptement enlevés, et bien que communs pour la plupart, ils devinrent fort chers. Ceux même qu'on avait dédaignés jusqu'alors furent recherchés dans la proportion du désir que l'on avait de s'instruire.

Quelquefois une partie seule d'un ouvrage est rare, tandis que les autres parties se trouvent communément; c'est là ce qu'il importe surtout à un bibliographe de bien savoir, autrement il est exposé à faire un grand nombre de fautes. Par exemple, les mémoires de l'académie des Sciences ont des volumes fort rares, et il serait possible d'en acquérir 130 volumes à moindre prix qu'il n'en coûterait pour acheter le petit nombre de volumes qu'il faut pour compléter l'ouvrage. Il en est encore qui sont composés d'un petit nombre de volumes, quelquefois même de deux seulement qu'il est impossible de compléter, parce que la partie qui manque est introuvable.

Il est aussi des ouvrages en un seul volume, qui se trouvent rarement complets, parce que l'auteur a donné, après coup, un petit supplément qui en fait nécessairement partie, et que beaucoup de gens ont négligé de se procurer avant de faire relier le volume. C'est ce qu'il importe à un bibliographe de s'attacher à connaître.

La rareté d'un livre n'est quelquefois que relative, et il peut être rare dans un pays tandis qu'on le trouve communément dans un autre. Mais ordinairement la cherté qu'occasionne sa rareté locale ne se soutient pas, parce que l'équilibre se rétablit tôt ou tard par le soin qu'ont les spéculateurs d'en tirer de la contrée où il abonde, pour le répandre dans celle où il y en a moins. Toutefois il est certains livres dont le prix se soutient toujours très-élevé dans un pays, tandis qu'il est très-bas dans un autre. Les belles éditions du Louvre offrent un exemple de cette bizarrerie: elles sont d'un grand prix dans l'étranger et presque point recherchées en France.

Malgré cette anomalie dans le prix de certains livres, il est en général vrai de dire qu'un bon ouvrage devient cher lorsque, n'ayant pas été tiré à un très-grand nombre d'exemplaires, l'édition se trouve épuisée; qu'il n'est pas probable qu'on la réimprime avant un long espace de temps, et que, dans le cas d'une réimpression, l'édition soit préférable à celle qui existe; mais, dans les ouvrages enrichis de figures, les premières éditions l'emportent toujours sur celles qui les ont suivies.

que

CHAPITRE XXV.

De la dépréciation des Livres.

La première cause de la dépréciation d'un livre est la réimpression. Il est certain qu'une nouvelle édition des œuvres d'un auteur, lorsqu'elle est mieux exécutée ou plus ample celles qui l'ont précédée, doit faire tort à l'ancienne et produire une baisse dans son prix, quand même elle ne lui serait pas supérieure. Il arrive pourtant que des spéculateurs, en faisant réimprimer un ouvrage rare qu'ils auront vu porter à un prix très-élevé, se fourvoient dans leur spéculation, et sont obligés de vendre à vil prix leur édition, tandis que l'autre

se soutient encore. La réimpression du Traité politique de William Allen, celle de l'Enfer de la mère Cardine, en offrent un exemple.

Le prix d'un ouvrage baisse aussi lorsqu'on en découvre une certaine quantité d'exemplaires enfouis dans un magasin de librairie, ou qu'on en fait venir de l'étranger pour les répandre ensuite dans la circulation.

Les Dictionnaires qui traitent des langues modernes ou des arts, lorsqu'on les réimprime, sont toujours augmentés et mis dans un ordre plus avantageux, ce qui fait tomber la valeur des éditions précédentes. Il en est de même de nouveaux ouvrages sur les sciences, dont les progrès journaliers font rechercher de préférence les nouvelles éditions. Des traductions nouvelles font souvent aussi tomber le prix des

anciennes.

Des circonstances extraordinaires produisent quelquefois une variation incroyable dans certaines classes de livres. La révolution française, par exemple, a produit l'avilissement presque total de la jurisprudence canonique et bénéficiale, des coutumes particulières, du droit féodal et même d'une partie de la jurisprudence civile, dont on ne recherche plus qu'un petit nombre d'auteurs, tels que Domat, Pothier, Cochin, d'Aguesseau, etc. Toutefois, malgré le naufrage des livres sur la féodalité, les Dissertations féodales, du vénérable président Henrion de Pensey, surnageront toujours comme monumens historiques, remplis de recherches curieuses et savantes. Le torrent révolutionnaire a aussi entraîné dans son cours rapide la plus grande partie de la théologie scolastique, beaucoup de livres liturgiques, les statuts monastiques, etc. Nous avons malheureusement à regretter quelques-uns de ces ouvrages, précieux comme monumens typographiques, sinon comme révélations utiles à la science ou à l'histoire.

La révolution a occasioné aussi un bouleversement dans la géographie. La France, dont les limites étaient naguère si

étendues, a vu le fruit de ses conquêtes, partagé par toutes les puissances de l'Europe, former ou agrandir d'autres états, et son ancien territoire même morcelé. D'après cela les anciens livres géographiques ont perdu presque toute leur valeur, et les nouveaux sont les seuls recherchés.

Il est des livres 'qui n'ont qu'une valeur de circonstance, et qui la perdent lorsque ces circonstances changent. Par exemple les satires contre les personnages célèbres n'ont de vogue et ne sont ordinairement recherchées que tandis qu'ils excitent la curiosité, l'intérêt ou la jalousie, et dès que ces motifs cessent, l'ouvrage tombe dans l'oubli, à moins qu'il ne soit considéré comme monument historique. Voltaire a été déchiré pendant sa vie dans beaucoup de libelles : aujourd'hui ces pieux libellistes ne sont plus guère connus que par la flétrissure et le ridicule que cet illustre philosophe a imprimé à leur nom dans ses immortels écrits. Chénier a été aussi de nos jours horriblement déchiré dans une multitude de satires; la plupart des odieux sycophantes qui se sont plu à empoisonner l'existence de cette intéressante victime de leur fureur vivent encore, et depuis long-temps leurs diatribes calomnieuses se sont évanouies devant la gloire de ce grand poëte, comme l'ombre de la nuit devant les rayons de l'astre du jour.

CHAPITRE XXVI.

Du choix des éditions et des exemplaires.

Une bibliothèque, pour être précieuse, ne doit pas admettre dans sa composition seulement des livres rares ou d'une belle exécution, mais il faut aussi qu'elle se distingue par la bonté des éditions et la beauté des exemplaires. C'est surtout dans la connaissance des bonnes éditions qu'un bibliographe doit exceller; c'est la première qu'il lui importe d'acquérir, parce que c'est la base de toutes les autres, et que sans elle il sera

toujours exposé à commettre des erreurs graves aussi préjudiciables à sa réputation qu'à sa fortune.

La beauté des caractères, celle du papier, mais surtout la pureté du texte, sont les premières qualités qui constituent la bonté d'une édition. Les ouvrages en langues savantes ont principalement besoin de cette dernière qualité, parce que la plus légère faute, une lettre changée ou omise, un défaut de ponctuation, rendent un passage inintelligible et changent entièrement le sens de la phrase.

Nous avons déjà parlé des principaux imprimeurs qui ont illustré la typographie depuis son invention; leur réputation est une garantie suffisante de la bonté des éditions sorties de leurs presses. Nous avons aussi mentionné les collections les plus renommées, telles que celle connue sous la dénomination de Variorum, celle des Elzévir, des Ad usum, etc. La collection des Variorum embrasse presque tous les auteurs grecs et latins; elle est supérieurement exécutée et a eu pour imprimeurs les Elzévir, Hackius, Boom, etc. Son format est in-8, et elle est très-recherchée; mais il faut connaître parfaitement la date des bonnes éditions des classiques qu'elle comprend, parcequ'elles ont toutes été contrefaites, et que ces contrefaçons n'ont que très-peu de valeur.

La collection des Elzévirs est aussi très-précieuse et aussi chère qu'elle est rare; mais elle demande à être examinée avec attention, parce que presque tous les volumes qu'elle contient ont été contrefaits ou réimprimés par les Elzévir eux-mêmes, ou bien sous leur nom par leurs successeurs, mais avec bien moins de soin et avec des caractères déjà usés, ce qui en diminue la valeur. Celle des auteurs latins dite Ad usum, est également estimée, mais sa cherté surpasse encore l'estime dont elle jouit parmi les savans. Elle est de format in-4, et n'a pas eu plusieurs éditions, à l'exception de quelques volumes qui ont été imprimés in-8 en Angleterre.

Dans le 18° siècle, les Brottier, d'Olivet, Grévier Vallart, Caperonier, Lallemant, Davisius, Burman, etc., nous ont

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