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tracées de cette manière. Sylvius de Benzenrad de Spire, Deschamps, religieux de la Trappe, Renard de Liège et Thomas Bauer, chartreux de Mayence, excellèrent dans ces sortes de découpures.

L'art d'orner les manuscrits de lettres de couleur et de vignettes dessinées conduisit bientôt à l'application des miniatures, que l'on nomma ainsi, parce qu'on se servit d'abord de minium ou cinabre pour les colorier en rouge. Les Romains connurent anciennement ce genre de luxe. Car on voit dans Cornelius Nepos que Pomponius Atticus plaça dans un de ses ouvrages les portraits des grands hommes dont il décrivit en vers les exploits; et Varron dans ses hebdomades ou portraits, paraît avoir suivi le même exemple. Leo Allatius remarque que les livres d'église, parmi les Grecs du Bas-Empire, furent ornés de pareilles miniatures. Elles passèrent aux missels latins du 5 siècle; et depuis cette époque jusqu'au dixième, elles furent plus correctes et assez bien dessinées. On y mit moins de goût dans les quatre siècles suivans; mais ce défaut fut en quelque façon racheté par l'éclat et la vivacité des couleurs et des dorures, qui ont conservé jusqu'à nous toute leur fraîcheur. A la renaissance de la peinture sur la fin du quatorzième siècle, les miniatures des manuscrits reprirent leur splendeur, et occupèrent un grand nombre d'artistes. On trouve dans un mémoire de la chambre des comptes de la ville de Modène, que, vers l'an 1520, le comte Léonello Bosso paya une somme de treize cent soixante-quinze ducats au peintre François de Rossi de Mantoue, et au calligraphe Thadée Crivelli, pour la peinture et la copie d'une Bible.

CHAPITRE VII.

De la cherté et de la rareté des manuscrits.

D'APRÈS ce que nous venons de dire, on voit combien les manuscrits exigeaient de soins et de peines pour leur for

mation et leurs embellissemens par des vignettes et des miniatures. Aussi furent-ils jusqu'à l'invention de l'imprimerie d'un très-haut prix, si on le compare surtout à celui du marc d'argent et à la valeur des espèces dans le temps où ils parurent. On passait contrat pour leur aliénation comme pour celle d'une ferme ou d'une maison. Ils devinrent aussi l'objet des donations, des testamens, des legs pieux faits aux églises, et mis d'ordinaire sous la garde spéciale du saint dont elles portaient le nom. Lantimer, de Gisors, donna le manuscrit du Pélerinage de la Vie humaine à l'Hôtel-Dieu de Paris, « pour y demeurer et appartenir perpétuellement, sans être transporté ailleurs, en l'intention que luy, sa femme et enfans, son père et mère et son parrain Nicole Dutar, jadis sirugien du roi Charles, qui lui délaissa cestuy livre, participent ès bons pardons et prières, de l'Hostel-Dieu. » Nous avons vu sur plusieurs manuscrits provenant de monastères la fameuse formule pro remedio animæ contulit; et nous avons eu en notre possession un très-beau livre d'évangile, de la plus haute antiquité et en vélin de la plus grande finesse, à la fin duquel on lisait cette formule de donation. Il provenait de l'abbaye de Senones, et il avait été donné à ce célèbre monastère par Sutardus qui en était abbé au dixième siècle. Nous avons cédé ce précieux manuscrit à la bibliothèque du roi, dont sûrement il n'est pas un des moindres ornemens.

Le temps qu'il fallait employer pour l'exécution des manuscrits, ne permettait pas de les multiplier et devait nécessairement les rendre fort rares. Cette rareté était surtout extrême en France, et on lit dans plusieurs historiens qu'en 855, Loup, abbé de Ferrières, écrivit au pape Benoît III, pour le prier de lui confier un manuscrit de l'orateur de Cicéron, et un autre des Institutions de Quintilien; livres excellens, dit-il, dont on ne connaît au delà des Alpes que quelques fragmens, et dont on ne trouverait pas un seul exemplaire dans toute la France. Et si on veut avoir une preuve de leur cherté, on saura que Grécie, comtesse d'Anjou, dans le dixième siècle, acheta,

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d'Aimon, évêque d'Alberstad, un receuil d'homélies au prix de cent moutons, dix setiers de froment, autant de seigle et de millet, et trois peaux de martre. Les registres de la chambre des comptes de Dijon, portent que Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, paya six cents écus une Bible manuscrite, traduite en français.

En 1471, Louis XI voulant obtenir une copie de Rhasis, médecin arabe, en emprunta le manuscrit de la faculté de médecine de Paris, déposa pour gage de sa restitution douze marcs d'argent, et fournit le cautionnement d'un riche bourgeois de sa capitale. Dans le catalogue des livres de Jean, duc de Berry, on trouve trois exemplaires du même ouvrage, dont le premier est estimé 250 liv., le second 300 liv. et le troisième 400 liv. Le même prince acheta, en 1404, pour 300 écus d'or, le manuscrit du roman de Lancelot du Lac, couvert d'un drap de soie verte, à deux fermoirs, et l'estimation de ce manuscrit, dans son inventaire, fut portée à 135 liv. tournois, qui reviennent environ à 945 fr. de notre monnaie. Celui de Giton-le-Courtois fut estimé dans le même inventaire, fait en 1416, la somme de 150 liv. tournois, équivalant à 1050 fr. Le manuscrit de la Cité de Dieu de saint Augustin, en français, est porté dans le même état à 200 liv. tournois, ce qui formerait plus de 1800 francs aujourd'hui. Quelque temps après Jacques Piccolomini, cardinal de Pavic, chargea Donat Acciaioli de lui acheter les Parallèles de Plutarque, et les Epîtres de Senèque, et il ne put obtenir le manuscrit du premier ouvrage qu'au prix de 80 écus d'or. Antoine Pecatellus, de Palerme, vendit, en 1455, une métairie pour acheter du Pogge un manuscrit de Tite-Live, au prix de 120 écus d'or, somme alors considérable, avec laquelle ce dernier acquit une maison de campagne près de Florence.

Nous pourrions multiplier de pareils exemples, mais nous en avons assez dit pour faire voir combien les manuscrits étaient chers avant l'invention de l'imprimerie. Cette cherté

fit naître l'idée de les rendre moins volumineux et par conséquent moins coûteux, soit en diminuant les frais du parchemin, soit en ménageant le temps des calligraphes employés à les transcrire, et on parvint à réduire plusieurs volumes en un, au moyen des abréviations. Celles-ci devinrent si multipliées dans le huitième siècle et les suivans, qu'on regarda comme très-habiles, ceux qui pouvaient les comprendre. Il existe plusieurs traités sur la manière de les lire, et le savant ouvrage de diplomatique par les bénédictins, que nous avons déjà cité, offre des tables d'abréviations qui en facilitent l'intelligence. En conséquence nous y renvoyons, ainsi qu'au traité de diplomatique de l'archiviste Lemoine.

CHAPITRE VIII.

Des principales Bibliothèques de l'Europe remarquables par leurs manuscrits.

La France, une des contrées de l'Europe les plus anciennes en civilisation, est aussi une des plus riches en manuscrits anciens. C'était principalement dans la multitude de monastères dont elle était jadis couverte que se trouvaient enfouies ces richesses littéraires. Chaque monastère un peu considérable avait sa librairie, ou bibliothèque de manuscrits, et un moine était préposé à sa conservation. C'est dans ces pieux asiles que se conservaient les monumens littéraires de l'antiquité qui avaient échappé au fer destructeur des barbares conquérans vomis par le nord sur le midi de l'Europe. On y avait substitué l'occupation de copier des manuscrits au travail pénible de l'agriculture; et, par ce moyen, se conservaient les anciens livres que l'injure du temps aurait pu détruire. C'est dans l'ordre vénérable de Saint-Benoît que cette pratique était principalement en usage, et il n'est pas jusqu'à certains couvens de femmes où l'on ne vît des religieuses occupées à transcrire des manuscrits. Aussi, lors de l'invention de l'imprimerie,

et au renouvellement des lettres, c'est de ces asiles sacrés que l'on vit sortir ces manuscrits précieux d'auteurs anciens, dont les copies se multiplièrent bientôt par la voie de la presse, et rallumèrent le flambeau des lumières, devenu désormais inextinguible par les effets magiques de cette heureuse découverte. C'est dans les bibliothèques monastiques de France que Louis Mocenico, ambassadeur de Venise, trouva, pour la première fois, les dix livres des épîtres de Pline et son panégyrique de Trajan, qu'il qu'il emporta en Italie pour les donner à l'imprimeur Alde Manuce. C'est en France, dans la boutique d'un poissonnier, que le Pogge découvrit le manuscrit de Quintilien, qui était resté inconnu, qu'il porta en Italie, et qui a passé ensuite dans la bibliothèque de Zurich.

Outre les bibliothèques monastiques, nos rois eurent leurs collections de manuscrits, et saint Louis, à sa mort, les légua par quatre portions égales à l'abbaye de Royaumont, aux jacobins de Compiègne, à ceux de Paris et aux cordeliers de la même ville. Charles V établit la première bibliothèque publique au centre de la grosse tour du Louvre, qu'on appela long-temps la Tour de la librairie, et il n'oublia rien pour l'enrichir; il acheta autant de manuscrits qu'il en put trouver, et il y fit transporter tous ceux que ses prédécesseurs avaient amassés. Malheureusement elle fut pillée par les Anglais sous le règne de Charles VI; mais Louis XI et ses successeurs en recueillirent les débris, y ajoutèrent de nouvelles richesses, de sorte que s'étant accrue de règne en règne, et principalement dans nos derniers temps, elle est aujourd'hui une des plus riches de l'Europe en manuscrits. Elle en compte soixantedix à soixante-onze mille, et ce nombre était beaucoup plus considérable avant la dernière invasion qui nous a dépouillés de tous les trésors littéraires, fruits de nos conquêtes, et cédés en vertu de traités que l'on aurait pu et dû respecter. Toutefois la bibliothèque du roi est encore la plus riche de l'Europe par le nombre, par la beauté et par l'ancienneté de ses manuscrits. Elle en possède plusieurs entièrement exécutés

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