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nombre d'éditions, qui n'ont point ce nom célèbre, mais qui paraissent pourtant être sorties des presses de ces imprimeurs hollandais. Par ce moyen une collection qui originairement ne renfermait pas 80 volumes a été portée à 800 et plus. Mais tous sont bien loin d'avoir un mérite égal; il en est même qui sont tout-à-fait nuls sous tous les rapports, et que néanmoins on s'empresse d'acheter par la seule raison qu'ils sortent ou sont censés sortir des presses elzéviriennes. Aussi nous avons vu cette année tel bouquin qui naguère valait 12 à 15 sous, se vendre 12 à 15 francs.

De douze imprimeurs de la famille des Elzévir qui exercèrent leur art en Hollande dans le courant du 17° siècle, six se sont fait connaître par le nombre et la beauté de leurs éditions. Ces six célèbres imprimeurs sont Isaac, qui imprima à Leyde, de 1617-28; Bonaventure et Abraham, frères et associés, qui imprimaient aussi à Leyde de 1626-52, époque de leur mort; Louis, fils d'Abraham, qui exerça son art seul à Amsterdam, de 1640 à 1655, et depuis cette dernière époque jusqu'en juillet 1662 (date de sa mort) en société avec Daniel; enfin Daniel, fils de Bonaventure, qui imprima à Leyde, en société avec Jean, de 1652 à 1554, puis à Amsterdam, en société avec Louis, de 1655 à 1662, et seul depuis cette époque jusqu'à sa mort, arrivée le 13 septembre 1680.

Toutefois nous devons dire à la gloire de notre patrie que les Elzévir usèrent presque uniquement des caractères du français Garamond. Pendant long-temps même la plupart des imprimeurs de l'Europe n'employèrent que des caractères sortis des fonderies de Paris. Et pourquoi donc ne vit-on pas alors dans cette capitale du monde civilisé des artistes produire ces chefs-d'œuvres typographiques qui illustrèrent la Hollande ? C'est que l'imprimerie est ennemie de la contrainte, de toutes les gênes, de toutes les entraves dont le despotisme a tou jours cherché à la garrotter ; c'est qu'elle ne peut prospérer, c'est qu'elle ne peut enfanter des prodiges qu'à l'ombre tuté

laire de la liberté. Et quelle contrée pouvait lui offrir un asile plus favorable qu'un pays où l'on voyait régner la plus grande tolérance politique et religieuse, tandis que presque tout le reste de l'Europe était en butte au fléau de l'intolérance et de la persécution. Ce ne fut donc ni de Paris, ni d'Anvers, a dit l'excellent citoyen Camus, que sortirent cette multitude de superbes classiques qui répandirent le goût des lettres et des connaissances dans tout l'univers. Ce fut à Amsterdam, à Leyde, à Utrecht, que les Elzévir, les Jansson, les Hackius, imprimèrent leurs collections si justement estimées. Le génie des arts peut jeter partout des éclats passagers; il faut une terre libre pour qu'il déploie son énergie.

Le 18 siècle, si brillant par tous les genres de gloire qui le décorent, ne devait pas être inférieur au 17° dans l'art typographique; il devait même le surpasser dans ses dernières années et porter cet art sublime au plus haut degré de perfection. Toutefois on vit l'imprimerie languir en France au commencement de ce siècle; mais bientôt Coustelier, Guerin et Latour, Barbou rompent ce sommeil et publient ces belles éditions si recherchées des amateurs. Le génie s'éveille et inspire les Didot, les Gillé, les Causse de Dijon, les Crapelet, etc.; mais c'est surtout aux Didot, c'est à cette honorable famille qui marche si dignement sur les traces de celles des Aldes, des Étienne et des Elzévir, qu'il semblait être réservé d'atteindre le beau idéal de la typographie : grâce et élégance des caractères, correction du texte, blancheur du papier, beauté des gravures, tout en un mot charme dans les éditions sorties de leurs presses. Voici comment s'exprimait l'estimable Camus dans un rapport fait à l'Institut, en l'an 6, sur leur Virgile, livre admirable qui avait déjà été précédé de plusieurs autres belles éditions, et qui ensuite a été surpassé par ce superbe Racine, ouvrage le plus magnifique que la typographie d'aucun pays ait encore produit :

« La typographie doit beaucoup à Pierre Didot et à Firmin » son frère. Pierre, jeune encore, décrivit les progrès de

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» son art en vers, comme Henri Etienne l'avait défendu contre >> les ignorans qui le dégradaient. Au milieu de l'agitation et » des tumultes, Didot a constamment travaillé à perfection»ner toutes les parties de la typographie, comme Plantin >> fonda une des plus célèbres imprimeries à Anvers, à la fin » du 16° siècle, au sein des guerres qui désolaient la Flandre. » Il a employé sept années entières à faire des tentatives de » tout genre, et avec des grandes avances de fonds, pour >> mettre le Virgile dans l'état où il vous l'a présenté... L'avis >> de votre commission est que Pierre Didot, avec les carac» tères gravés par Firmin Didot son frère, donne un nou» vel éclat à la typographie française, qu'eux-mêmes et >> plusieurs autres artistes célèbres avaient déjà portée à un >> haut degré de perfection. »

Depuis ce rapport si honorable pour la famille des Didot et fait par un juge aussi compétent que Camus, MM. Firmin Didot et son fils n'ont cessé d'enrichir la typographie de Bouveaux chefs-d'oeuvre. Dans le moment où nous écrivons, l'on voit briller au Louvre, parmi les immenses et précieux produits de l'industrie française, plusieurs superbes ouvrages récemment sortis de leurs presses. On remarque entre autres un Catulle, grand in-folio; un Salluste, même format, et une nouvelle édition de la Henriade, enrichie de notes de M. Daunou, et de dessins de M. Gérard, gravés par M. Muller. L'on voit aussi briller dans ce palais des arts un beau Phèdre, in-folio; une charmante collection in-32 des meilleurs auteurs grecs, latins, français, et plusieurs autres productions typographiques non moins recommandables imprimées par M. Jules Didot, digne, fils de Pierre. Et au milieu de ces merveilles de l'art de Guttenberg et de Schoeffer, on ne laisse pas que de s'arrêter encore avec intérêt devant les belles impressions de M. Crapelet, admises également aux honneurs de l'exposition.

La France ne fut pas la seule contrée de l'Europe où l'on vit l'imprimerie faire des progrès dans ce grand siècle. En

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Italie, Joseph Comino porta, à Padoue, la superbe imprimerie appelée de son nom Cominiane. Elle travailla avec gloire jusqu'en 1756, sous la direction des frères Volpi, qui publièrent le catalogue des ouvrages qu'elle avait produits jusqu'alors. Mais la palme d'honneur pour toutes les belles impressions sorties du sein de l'Italie, est due incontestablement au célèbre Bodoni, directeur de l'imprimerie de Parme. On distingue parmi ses éditions le Virgile, l'Horace, le Catulle, le Callimaque, l'Aminte, l'Homère grec; mais surtout le Boileau, le Télémaque, les fables de La Fontaine, et ce magnifique Racine que sa mort ne lui permit pas d'achever, et qui fut terminé par sa veuve. Ces derniers chefs-d'œuvre entraient dans la collection des auteurs classiques français, dont Joachim Murat, alors roi de Naples, avait ordonné l'impression pour l'éducation de son fils aîné.

Malgré notre admiration pour les éditions de Bodoni, nous devons pourtant avouer que l'on y remarque beaucoup d'incorrections; c'est ce qui les a fait nommer quelquefois de belles incorrectes. Cependant la pureté ou la correction du texte est une chose essentielle dans un livre, et lorsqu'elle y manque, le reste n'est pour ainsi dire qu'une frivole parure. Aussi les Etienne et Christophe Plantin n'épargnèrent ni veilles ni argent pour obtenir des éditions correctes. Et nous devons dire à la gloire des Didot, que de tous les imprimeurs modernes il n'en est point qui se soient plus distingués par la correction de leurs éditions.

L'Espagne n'est pas moins fière de la gloire typographique d'Ibarra que l'Italie de celle de Bodoni. On doit aux presses de ce célèbre imprimeur une traduction de Salluste, un Don Quichotte, l'histoire d'Espagne de Mariana, un Missel Mozarabique, et plusieurs autres chefs-d'œuvre d'impression. Ibarra a donné une grande impulsion à la perfection de son art dans sa patrie; il est mort en 1786, et s'il eût vécu de nos jours il aurait été digne de transmettre à la postérité les faits héroïques de sa vaillante nation.

Enfin l'Angleterre, ce pays si fertile en hommes de génie dans tous les genres, n'a pas eu une moindre part aux progrès de l'imprimerie dans le 18° siècle. Les Tonson, les Brindley, les Foulis, les Baskerville, les Martyns, l'ont enrichie de leurs chefs-d'œuvre typographiques. Le beau Cæsar de Tonson, le Hume et le Shakspear de Martyns, et le Virgile de Baskerville sont des objets d'admiration pour tous les connaisseurs. Ce dernier fit fondre lui-même les caractères de ce magnifique ouvrage. Le papier dont il se servait, qui est si brillant et si poli qu'on le croirait plutôt de soie que de chiffes, était également de sa composition. Ses poinçons ont été achetés après sa mort par le célèbre Beaumarchais, qui ne pouvait certainement en faire un plus noble usage que de les consacrer à l'impression de la première édition complète des œuvres du plus grand écrivain du 18° siècle.

CHAPITRE XVII.

Du stéréotypage.

Il appartenait au siècle de lumières qui avait vu l'imprimerie marcher à grands pas vers sa perfection, d'inventer le stéréotypage, c'est-à-dire l'art d'imprimer en planches solides et de pouvoir multiplier à volonté les exemplaires de l'édition d'un livre. Depuis long-temps on avait essayé dans quelques imprimeries de conserver des planches toutes composées pour un ouvrage entier; cela s'est ainsi pratiqué dans celle des Orphelins à Halle en Saxe. Mais cette pratique ne pouvait être mise en usage que par des imprimeurs très-aisés et ayant un grand nombre de caractères. Un juif d'Amsterdam, nommé Athias, fit fondre les formes composées d'une bible anglaise, et en voulant les conserver pendant plusieurs

années il s'est ruiné.

On a ensuite cherché à perfectionner l'art de former des planches solides; on a composé des pages avec des caractères

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