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sol y est, pour ainsi dire, percé en mille endroits, et des roches primitives apparaissent çà et là comme les os d'un squelette après que le temps a consumé à l'entour d'eux les muscles et les chairs. Un sable granitique, des pierres irrégulièrement taillées couvrent la surface de la terre; quelques plantes poussent à grande peine leurs rejetons à travers ces obstacles; on dirait un champ fertile couvert des débris d'un vaste édifice. En analysant ces pierres et ce sable, il est facile en effet de remarquer une analogie parfaite entre leurs substances et celles qui composent les cimes arides et brisées des montagnes rocheuses. Après avoir précipité la terre dans le fond de la vallée, les eaux ont sans doute fini par entraîner avec elles une partie des roches elles-mêmes; elles les ont roulées sur les pentes les plus voisines; et, après les avoir broyées les unes contre les autres, elles ont parsemé la base des montagnes de ces débris arrachés à leurs sommets (4).

La vallée du Mississipi est, à tout prendre, la plus magnifique demeure que Dieu ait jamais préparée pour l'habitation de l'homme, et pourtant on peut dire qu'elle ne forme encore qu'un vaste désert.

Sur le versant oriental des Alléghany, entre le pied de ses montagnes et l'océan Atlantique, s'étend une longue bande de roches et de sable que la mer semble avoir oubliée en se retirant. Ce territoire n'a que 48 lieues de largeur moyen

ne (1), mais il compte 390 lieues de longueur (2). Le sol, dans cette partie du continent américain, ne se prête qu'avec peine aux travaux du cultivateur. La végétation y est maigre et uniforme.

C'est sur cette côte inhospitalière que se sont d'abord concentrés les efforts de l'industrie humaine. Sur cette langue de terre aride sont nées et ont grandi les colonies anglaises qui devaient devenir un jour les États-Unis d'Amérique. C'est encore là que se trouve aujourd'hui le foyer de la puissance, tandis que sur les derrières s'assemblent presque en secret les véritables élémens du grand peuple auquel appartient sans doute l'avenir du continent.

Quand les Européens abordèrent les rivages des Antilles, et plus tard les côtes de l'Amérique du Sud, ils se crurent transportés dans les régions fabuleuses qu'avaient célébrées les poètes. La mer étincelait des feux du tropique ; la transparence extraordinaire de ses eaux découvrait pour la première fois, aux yeux du navigateur, la profondeur des abîmes (3). Çà et là se montraient de

(1) 100 milles.

(2) Environ 900 milles.

(3) Les eaux sont si transparentes dans la mer des Antilles, dit Malte-Brun, vol. 5, p. 726, qu'on distingue les coraux et les poissons à 60 brasses de profondeur. Le vaisseau semble planer dans l'air; une sorte de vertige saisit le voyageur dont l'œil plonge à travers le fluide cristallin au milieu des jardins sous-marins où des coquillages et des poissons dorés brillent parmi les touffes de fucus et des bosquets d'algues marines.

petites îles parfumées qui semblaient flotter comme des corbeilles de fleurs sur la surface tranquille de l'océan. Tout ce qui dans ces lieux enchantés s'offrait à la vue semblait préparé pour les besoins de l'homme, ou calculé pour ses plaisirs. La plupart des arbres étaient chargés de fruits nourrissans, et les moins utiles à l'homme charmaient ses regards par l'éclat et la variété de leurs couleurs. Dans une forêt de citronniers odorans, de figuiers sauvages, de myrtes à feuilles rondes, d'acacias et de lauriers-roses, tous entrelacés par des lianes fleuries, une multitude d'oiseaux inconnus à l'Europe faisaient étinceler leurs ailes de pourpre et d'azur, et mêlaient le concert de leurs voix aux harmonies d'une nature pleine de mouvement et de vie (B).

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La mort était cachée sous ce manteau brillant; mais on ne l'apercevait point alors, et il régnait d'ailleurs dans l'air de ces climats je ne sais quelle influence énervante qui attachait l'homme au présent, et le rendait insouciant de l'avenir.

L'amérique du nord parut sous un autre aspect tout y était grave, sérieux, solennel; on eût dit qu'elle avait été créée pour devenir le domaine de l'intelligence, comme l'autre la demeure des sens.

* Un océan turbulent et brumeux enveloppait ses rivages. Des rochers granitiques ou des grèves de sable lui servaient de ceinture; les bois qui couvraient ses rives étalaient un feuillage sombre

et mélancolique; on n'y voyait guère croître que le pin, le mélèze, le chêne-vert, l'olivier sauvage et le laurier.

Après avoir pénétré à travers cette première enceinte, on entrait sous les ombrages de la forêt centrale; là se trouvaient confondus les plus grands arbres qui croissént sur les deux hémisphères. Le platane, le catalpa, l'érable à sucre et le peuplier de Virginie entrelaçaient leurs branches avec celles du chêne, du hêtre et du tilleul.

Comme dans les forêts soumises au domaine de l'homme, la mort frappait ici sans relâche; mais personne ne se chargeait d'enlever les débris qu'elle avait faits. Ils s'accumulaient donc les uns sur les autres: le temps ne pouvait suffire à les réduire assez vite en poudre et à préparer de nouvelles places. Mais, au milieu même de ces débris, le travail de la reproduction se poursuivait sans cesse. Des plantes grimpantes et des herbes de toute espèce se faisaient jour à travers les obstacles; elles rampaient le long des arbres abattus, s'insinuaient dans leur poussière, soulevaient et brisaient l'écorce flétrie qui les couvrait encore, et frayaient un chemin à leurs jeunes rejetons. Ainsi la mort venait en quelque sorte y aider à la vie. L'une et l'autre étaient en présence; elles semblaient avoir voulu mêler et confondre leurs

œuvres.

Ces forêts recelaient une obscurité profonde;

mille ruisseaux, dont l'industrie humaine n'avait point encore dirigé le cours, y entretenaient une éternelle humidité. A peine y voyait-on quelques fleurs, quelques fruits sauvages, quelques oiseaux.

La chute d'un arbre renversé par l'âge, la cataracte d'un fleuve, le mugissement des buffles et le sifflement des vents y troublaient seuls le silence de la nature.

A l'est du grand fleuve, les bois disparaissaient en partie; à leur place s'étendaient des prairies sans borne. La nature, dans son infinie variété, avait-elle refusé la semence des arbres à ces fertiles campagnes, ou plutôt la forêt qui les couvrait avait-elle été détruite jadis par la main de l'homme ? C'est ce que les traditions, ni les recherches de la science, n'ont pu découvrir.

Ces immenses déserts n'étaient pas cependant entièrement privés de la présence de l'homme ; quelques peuplades erraient depuis des siècles sous les ombrages de la forêt ou parmi les pâturages de la prairie. A partir de l'embouchure du SaintLaurent jusqu'au Delta du Mississipi, depuis l'Océan atlantique jusqu'à la mer du Sud, ces sauvages avaient entre eux des points de ressemblance qui attestaient leur commune origine. Mais, du reste, ils différaient de toutes les races connues (1):

(1) On a découvert depuis quelques ressemblances entre la conformation physique, la langue et les habitudes des Indiens de l'A

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