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juge fait ce que le fonctionnaire aurait dû faire(1).

Enfin le même fonctionnaire se rend-il coupable de l'un de ces délits insaisissables, que la justice humaine ne peut ni définir, ni apprécier; il comparaît annuellement devant un tribunal sans appel, qui peut le réduire tout-à-coup à l'impuissance; son pouvoir lui échappe avec son mandat.

Ce système renferme assurément en lui-même de grands avantages, mais il rencontre dans son exécution une difficulté pratique qu'il est néces saire de signaler.

J'ai déjà fait remarquer que le tribunal administratif, qu'on nomme la cour des sessions, n'avait point le droit d'inspecter les magistrats communaux; elle ne peut, suivant un terme de droit, agir que lorsqu'elle est saisie. Or, c'est là le point délicat du système.

Les Américains de la Nouvelle-Angleterre n'ont point institué de ministère public près la cour des sessions (2); et l'on doit concevoir qu'il leur était difficile d'en établir un. S'ils s'étaient bornés à

(1) Exemple: si une commune s'obstine à ne pas nommer d'assesseurs, la cour des sessions les nomme, et les magistrats ainsi choisis sont revêtus des mêmes pouvoirs que les magistrats élus. Voyez loi précitée, 20 février 1787.

(2) Je dis près la cour des sessions. Il y a un magistrat qui remplit près des tribunaux ordinaires quelques unes des fonctions du ministère public.

placer au chef-lieu de chaque comté un magistrat accusateur, et qu'ils ne lui eussent point donné d'agens dans les communes, pourquoi ce magistrat aurait-il été plus instruit de ce qui se passait dans le comté que les membres de la cour des sessions eux-mêmes ? Si on lui avait donné des agens dans chaque commune, on centralisait dans ses mains le plus redoutable des pouvoirs, celui d'administrer judiciairement. Les lois d'ailleurs sont filles des habitudes; et rien de semblable n'existait dans la législation anglaise.

Les Américains ont donc divisé le droit d'inspection et de plainte comme toutes les autres fonctions administratives.

Les membres du grand jury doivent, aux termes de la loi, avertir le tribunal près duquel ils agissent des délits de tout genre qui peuvent se commettre dans leur comté (1). Il y a certains grands délits administratifs que le ministère public ordinaire doit poursuivre d'office (2); le plus souvent, l'obligation de faire punir les délinquans est imposée à l'officier fiscal, chargé d'encaisser le produit de l'amende; ainsi le trésorier de la commune est chargé de poursuivre la plupart des délits administratifs qui sont commis sous ses

yeux.

(1) Les grands jurés sont obligés, par exemple, d'avertir les cours du mauvais état des routes, Loi du Massachussetts, vol. 1, p.

308.

(2) Si, par exemple, le trésorier du comté ne fournit point ses comptes, Loi du Massachussetts, vol. 1, p. 406.

Mais c'est surtout à l'intérêt particulier que la législation américaine en appelle (1); c'est là le grand principe qu'on retrouve sans cesse quand on étudie les lois des Etats-Unis.

Les législateurs américains ne montrent que peu de confiance dans l'honnêteté humaine; mais ils supposent toujours l'homme intelligent, Ils se reposent donc le plus souvent sur l'intérêt personnel pour l'exécution des lois.

Lorsqu'un individu est positivement et actuellement lésé par un délit administratif, l'on comprend en effet que l'intérêt personnel garantisse la plainte.

Mais il est facile de prévoir que s'il s'agit d'une prescription légale, qui, tout en étant utile à la société, n'est point d'une utilité actuellement sentie par un individu, chacun hésitera à se porter accusateur. De cette manière, et par une sorte d'accord tacite, les lois pourraient bien tomber en désuétude.

Dans cette extrémité où leur système les jette, les Américains sont obligés d'intéresser les dénonciateurs, en les appelant dans certains cas au partage des amendes (2).

(1) Exemple entre mille: Un particulier endommage sa voiture ou se blesse sur une route mal entretenue; il a le droit de demander des dommages-intérêts, devant la cour des sessions, à la commune ou au comté chargé de la route. Lois du Massachussetts, vol. I, p. 30g.

(2) En cas d'invasion ou d'insurrection, lorsque les officiers com

Moyen dangereux qui assure l'exécution des lois en dégradant les mœurs.

Au-dessus des magistrats du comté, il n'y a plus, à vrai dire, de pouvoir administratif, mais seulement un pouvoir gouvernemental.

munaux négligent de fournir à la milice les objets et munitions nécessaires, la commune peut être condamnée à une amende de 200 à 500 dollars (1,000 à 2,700 francs).

On conçoit très bien que, dans un cas pareil, il peut arriver que personne n'ait l'intérêt ni le désir de prendre le rôle d'accusateur. Aussi la loi ajoute-t-elle : « Tous les citoyens auront droit de poursuivre la punition de semblables délits et la moitié de l'amende appartiendra au poursuivant.» Voyez loi du 6 mars 1810, vol. 2, p. 236. On retrouve très fréquemment la même disposition reproduite dans les lois du Massachussetts.

Quelquefois ce n'est pas le particulier que la loi excite de cette manière à poursuivre les fonctionnaires publics: c'est le fonctionnaire qu'elle encourage ainsi à faire punir la désobéissance des particuliers. Exemple : Un habitant refuse de faire la part du travail qui lui a été assignée sur une grande route. Le surveillant des routes doit le poursuivre; et s'il le fait condamner, la moitié de l'amende lui revient. Voyez lois précitées, vol. 1, p. 308.

IDÉES GÉNÉRALES SUR L'ADMINISTRATION AUX ÉTATS-UNIS.

En quoi les États de l'Union diffèrent entre eux, par le système d'administration. Vie communale moins active, et moins complète à mesure qu'on descend vers le midi.-Le pouvoir du magistrat devient alors plus grand; celui de l'électeur plus petit. L'administration passe de la commune au comté. -Etat de NewYork, Ohio, Pensylvanie. Principes administratifs applicables à toute l'Union.-Élection des fonctionnaires publics ou inamovibilité de leurs fonctions. Absence de hiérarchie. Introduction des moyens judiciaires dans l'administration.

J'ai annoncé précédemment, qu'après avoir examiné en détail la constitution de la commune et du comté dans la Nouvelle-Angleterre, je jetterais un coup-d'œil général sur le reste de l'Union.

Il y a des communes et une vie communale dans chaque État ; mais dans aucun des États confédérés on ne rencontre une commune identiquement semblable à celles de la Nouvelle-Angle

terre.

A mesure qu'on descend vers le midi, on s'aperçoit que la vie communale devient moins active; la commune a moins de magistrats, de droits et de devoirs; la population n'y exerce pas une influence si directe sur les affaires ; les assemblées communales sont moins fréquentes et s'étendent

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