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eût été bien plus frappant encore. Mais j'ai trop à dire pour ne pas vouloir être court.

J'ai remarqué que le pouvoir du président des Etats-Unis ne s'exerce que dans la sphère d'une souveraineté restreinte, tandis que celui du roi, en France, agit dans le cercle d'une souveraineté complète.

J'aurais pu montrer le pouvoir gouvernemental du roi, en France, dépassant même ses limites naturelles, quelque étendues qu'elles soient, et pénétrant, de mille manières, dans l'administration des intérêts individuels.

A cette cause d'influence, je pouvais joindre celle qui résulte du grand nombre des fonctionnaires publics, qui, presque tous, doivent leur mandat à la puissance exécutive. Ce nombre a dépassé chez nous toutes les bornes connues; il s'élève à 188,000 (1). Chacune de ces 138,000 nominations doit être considérée comme un élément de force. Le président n'a pas le droit absolu de nommer aux emplois publics, et ces emplois n'excèdent guère 12,000 (2).

(1) Les sommes payées par l'Etat à ces divers fonctionnaires montent chaque année à 200,000,000 francs.

(2) On publie chaque année, aux Etats-Unis, un almanach appelé National calendar; on y trouve le nom de tous les fonctionnaires fédéraux. C'est le National calendar de 1833 qui m'a fourni le chiffre que je donne ici.

Il résulterait de ce qui précède que le roi de France dispose de ouze fois plus de places que le président des Etats-Unis, quoique

CAUSES ACCIDENTELLES QUI PEUVENT ACCROITRE L'IN

FLUENCE DU POUVOIR EXECUTIF.

Sécurité extérieure dont jouit l'Union, Politique expectante. Armée de 6,000 soldats. Quelques vaisseaux seulement. — Le président possède de grandes prérogatives dont il n'a pas l'occasion de se servir. Dans ce qu'il a occasion d'exécuter, il est faible.

Si le pouvoir exécutif est moins fort en Amérique qu'en France, il faut en attribuer la cause aux circonstances plus encore peut-être qu'aux lois.

C'est principalement dans ses rapports avec les étrangers que le pouvoir exécutif d'une nation trouve l'occasion de déployer de l'habileté et de la force.

Si la vie de l'Union était sans cesse menacée, si ses grands intérêts se trouvaient tous les jours mêlés à ceux d'autres peuples puissans, on verrait le pouvoir exécutif grandir dans l'opinion, par ce qu'on attendrait de lui, et par ce qu'il exécuterait.

Le président des États-Unis est, il est vrai, le chef de l'armée, mais cette armée se compose de 6,000 soldats; il commande la flotte, mais la flotte ne compte que quelques vaisseaux; il dirige les

la population de la France ne soit qu'une fois et demie plus considérable que celle de l'Union.

affaires de l'Union vis-à-vis des peuples étran gers, mais les États-Unis n'ont pas de voisins. Séparés du reste du monde par l'Océan, trop faibles encore pour vouloir dominer la mer, ils n'ont point d'ennemis, et leurs intérêts ne sont que rarement en contact avec ceux d'aucune nation du globe.

Ceci fait bien voir qu'il ne faut pas juger de la pratique du gouvernement par la théorie.

Le président des États-Unis possède des prérogatives presque royales, dont il n'a pas l'occasion de se servir; et les droits dont, jusqu'à présent, il peut user sont très circonscrits : les lois lui permettent d'être fort, les circonstances le maintiennent faible.

Ce sont, au contraire, les circonstances qui, plus encore que les lois, donnent à l'autorité royale de France sa plus grande force.

En France, le pouvoir exécutif lutte sans cesse contre d'immenses obstacles, et dispose d'immenses ressources pour les vaincre. Il s'accroît de la grandeur des choses qu'il exécute, et de l'importance des événemens qu'il dirige, sans pour cela modifier sa constitution,

Les lois l'eussent-elles créé aussi faible et aussi circonscrit que celui de l'Union, son influence de viendrait bientôt beaucoup plus grande.

POURQUOI LE PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS N'A PAS BESOIN

POUR DIRIGER LES AFFAIRES D'AVOIR La majorité DANS
LES CHAMBRES.

C'est un axiome établi en Europe, qu'un roi constitutionnel ne peut gouverner quand l'opinion des chambres législatives ne s'accorde pas avec la

sienne.

On a vu plusieurs présidens des Etats-Unis perdre l'appui de la majorité dans le corps législatif, sans être obligés d'abandonner le pouvoir, ni sans qu'il en résultât pour la société un grand mal.

J'ai entendu citer ce fait pour prouver l'indépendance et la force du pouvoir exécutif en Amérique. Il suffit de réfléchir quelques instans pour y voir, au contraire, la preuve de son impuis

sance.

:

Un roi d'Europe a besoin d'obtenir l'appui du corps législatif pour remplir la tâche que la constitution lui impose, parce que cette tâche est immense. Un roi constitutionnel d'Europe n'est pas seulement l'exécuteur de la loi le soin de son exécution lui est si complètement dévolu, qu'il pourrait en paralyser les forces, si elle lui était contraire. Il a besoin des Chambres pour faire la loi, les Chambres ont besoin de lui pour l'exécuter: ce sont deux puissances qui ne peuvent vi

quelqu'un qui, bien ou mal, suivant sa capacité,

s'en occupe.

Dans les Etats électifs, au contraire, à l'approche de l'élection et long-temps avant qu'elle n'arrive, les rouages du gouvernement ne fonctionnent plus, en quelque sorte, que d'eux-mêmes. On peut sans doute combiner les lois de manière à ce que l'élection s'opérant d'un seul coup et avec rapidité, le siége de la puissance exécutive ne reste, pour ainsi dire, jamais vacant. Mais, quoi qu'on fasse, le vide existe dans les esprits en dépit des efforts du législateur.

A l'approche de l'élection, le chef du pouvoir exécutif ne songe qu'à la lutte qui se prépare; il n'a plus d'avenir; il ne peut rien entreprendre, et ne poursuit qu'avec mollesse ce qu'un autre peutêtre va achever. « Je suis si près du moment de » ma retraite, écrivait le président Jefferson, le 21 janvier 1809 (six semaines avant l'élection), que je ne prends plus part aux affaires que par l'expression de mon opinion. Il me semble juste » de laisser à mon successeur l'initiative des me»sures dont il aura à suivre l'exécution et à sup» porter la responsabilité. »

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De son côté, la nation n'a les yeux tournés que sur un seul point; elle n'est occupée qu'à surveiller le travail d'enfantement qui se prépare.

Plus la place qu'occupe le pouvoir exécutif dans la direction des affaires est vaste, plus son action habituelle est grande et nécessaire, et plus un pa

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