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Or, depuis l'origine des sociétés, on est d'accord sur ce point: que chaque peuple a le droit de faire juger, par ses tribunaux, toutes les questions qui se rapportent à l'exécution de ses propres lois. Mais on répond: l'Union est dans cette position singulière, qu'elle ne forme un peuple que relativement à certains objets; pour tous les autres elle n'est rien. Qu'en résulte-t-il ? C'est que du moins pour toutes les lois qui se rapportent à ces objets, elle a les droits qu'on accorderait à une souveraineté complète. Le point réel de la difficulté est de savoir quels sont ces objets. Ce point tranché ( et nous avons vu plus haut, en traitant de la compétence, comment il l'avait été), il n'y a plus, à vrai dire, de question; car une fois qu'on a établi qu'un procès était fédéral, c'est-à-dire rentrait dans la part de souveraineté réservée à l'Union par la constitution, il s'ensuivait naturellement qu'un tribunal fédéral devait seul prononcer.

Toutes les fois donc qu'on veut attaquer les lois des États-Unis, ou les invoquer pour se défendre, c'est aux tribunaux fédéraux qu'il faut s'adresser.

Ainsi, la juridiction des tribunaux de l'Union s'étend et se resserre suivant que la souveraineté de l'Union se resserre ou s'étend elle-même.

Nous avons vu que le but principal des législateurs de 1789 avait été de diviser la souveraineté en deux parts distinctes. Dans l'une, ils pla

cèrent la direction de tous les intérêts généraux de l'Union; dans l'autre, la direction de tous les intérêts spéciaux à quelques unes de ses parties.

Leur principal soin fut d'armer le gouvernement fédéral d'assez de pouvoirs, pour qu'il pût, dans sa sphère, se défendre contre les empiètemens des États particuliers.

Quant à ceux-ci, on adopta comme principe général de les laisser libres dans la leur. Le gouvernement central ne peut ni les y diriger ni même y inspecter leur conduite.

J'ai indiqué au chapitre de la division des pouvoirs que ce dernier principe n'avait pas toujours été respecté. Il y a certaines lois qu'un Etat particulier ne peut faire, quoiqu'elles n'intéressent en apparence que lui seul.

Lorsqu'un Etat de l'Union rend une loi de cette nature, les citoyens qui sont lésés par l'exécution de cette loi peuvent en appeler aux cours fédérales.

Ainsi, la juridiction des cours fédérales s'étend non seulement à tous les procès qui prennent leur source dans les lois de l'Union, mais encore à tous ceux qui naissent dans les lois que les États particuliers ont faites contrairement à la constitution.

On interdit aux États de promulguer des lois rétroactives en matières criminelles; l'homme, qui est condamné en vertu d'une loi de cette espèce, peut en appeler à la justice fédérale.

La constitution a également interdit aux États de faire des lois qui puissent détruire ou altérer les droits acquis en vertu d'un contrat (Impairing the obligations of contracts) (1).

Du moment où un particulier croit voir qu'une loi de son État blesse un droit de cette espèce, il peut refuser d'obéir, et en appeler à la justice fédérale (2).

(1) Il est parfaitement clair, dit M. Story, p. 503, que toute loi qui étend, resserre ou change de quelque manière que ce soit, l'intention des parties, telies qu'elles résultent des stipulations contenues dans un contrat, altère (impairs) ce contrat. Le même auteur définit avec soin au même endroit ce que la jurisprudence fédérale entend par un contrat. La définition est fort large. Une concession faite par l'Etat, à un particulier, et acceptée par lui, est un contrat, et ne peut être enlevée par l'effet d'une nouvelle loi. Une charte accordée par l'Etat à une compagnie, est un contrat, et fait la loi à l'Etat aussi bien qu'au concessionnaire. L'article de la constitution dont nous parlons assure donc l'existence d'une grande partie des droits acquis, mais non de tous. Je puis posséder très légitimement une propriété, sans qu'elle soit passée dans mes mains par suite d'un contrat. Sa possession est pour moi un droit acquis, et ce droit n'est pas garanti par la constitution fédérale.

(2) Voici un exemple remarquable, cité par M. Story, p. 508. Le college de Darmouth, dans le New-Hamshire, avait été fondé en vertu d'une charte, accordée à certains individus avant la révolution d'Amérique. Ses administrateurs formaient, en vertu de cette charte, un corps constitué ou, suivant l'expression américaine, une corporation. La législature du New-Hamshire crut devoir changer les termes de la charte originaire, et transporta à de nouveaux administrateurs tous les droits, priviléges et franchises qui résultaient de cette charte. Les anciens administrateurs résistèrent, et en appelèrent à la cour fédérale, qui leur donna gain de cause, attendu que la charte originaire étant un véritable contrat entre l'Etat et les concessionnaires, la loi nouvelle ne pouvait changer les dispositions de cette charte, sans violer les droits acquis en vertu d'un contrat, et

Cette disposition me parait attaquer plus profondément que tout le reste la souveraineté des Etats.

Les droits accordés au gouvernement fédéral, dans des buts évidemment nationaux, sont définis et faciles à comprendre. Ceux que lui concède indirectement l'article que je viens de citer ne tombent pas facilement sous le sens, et leurs limites ne sont pas nettement tracées. Il y a en effet une multitude de lois politiques qui réagissent sur l'existence des contrats, et qui pourraient ainsi fournir matière à un empiètement du pouvoir central.

MANIÈRE DE PROCÉDER DES TRIBUNAUX FÉDÉRAUX.

Faiblesse naturelle de la justice dans les confédérations. — Efforts que doivent faire les législateurs, pour ne placer, autant que possible, que des individus isolés, et non des Etats en face des tribunaux fédéraux. Comment les Américains y sont parvenus. Action directe des tribunaux fédéraux sur les simples particuliers. · Attaque indirecte contre les Etats, qui violent les lois de l'Union. L'arrêt de la justice fédérale ne détruit pas la loi provin ciale, il l'énerve,

J'ai fait connaître quels étaient les droits des cours fédérales; il n'importe pas moins de savoir comment elles les exercent.

en conséquence violer l'article États-Unis.

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de la constitution des

La force irrésistible de la justice, dans les pays où la souveraineté n'est point partagée, vient de ce que les tribunaux, dans ces pays, représentent la nation tout entière en lutte avec le seul individu que l'arrêt a frappé. A l'idée du droit se joint l'idée de la force, qui appuie le droit.

Mais, dans les pays où la souveraineté est divisée, il n'en est pas toujours ainsi. La justice y trouve le plus souvent, en face d'elle, non un individu isolé, mais une fraction de la nation. Sa puissance morale et sa force matérielle en deviennent moins grandes.

Dans les Etats fédéraux, la justice est donc naturellement plus faible, et le justiciable plus fort.

Le législateur, dans les confédérations, doit travailler sans cesse à donner aux tribunaux une place analogue à celle qu'ils occupent chez les peuples qui n'ont pas partagé la souveraineté ; en d'autres termes, ses plus constans efforts doivent tendre à ce que la justice fédérale représente la nation; et le justiciable, un intérêt particulier.

Un gouvernement, de quelque nature qu'il soit, a besoin d'agir sur les gouvernés, pour les forcer à lui rendre ce qui lui est dû; il a besoin d'agir contre eux pour se défendre de leurs attaques.

Quant à l'action directe du gouvernement sur les gouvernés, pour les forcer à obéir aux lois, la constitution des Etats-Unis fit en sorte (et ce fut là son chef-d'œuvre) que les cours fédérales, agis

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