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dans l'intérieur de la société. La loi des successions acheva de briser les influences locales.

Au moment où cet effet des lois et de la révolution commença à se révéler à tous les yeux, la victoire avait déjà irrévocablement prononcé en faveur de la démocratie. Le pouvoir était, par le fait, entre ses mains. Il n'était même plus permis de lutter contre elle. Les hautes classes se soumirent donc sans murmure et sans combat à un mal désormais inévitable. Il leur arriva ce qui arrive d'ordinaire aux puissances qui tombent : l'égoïsme individuel s'empara de leurs membres; comme on ne pouvait plus arracher la force des mains du peuple, et qu'on ne détestait point assez la multitude pour prendre plaisir à la braver, on ne songea plus qu'à gagner sa bienveillance à tout prix. Les lois les plus démocratiques furent donc votées à l'envi par les hommes dont elles froissaient le plus les intérêts. De cette manière, les hautes classes n'excitèrent point contre elles les passions populaires; mais elles hâtèrent elles-mêmes le triomphe de l'ordre nouveau. Ainsi, chose singulière! on vit l'élan démocratique d'autant plus irrésistible dans les États où l'aristocratie avait le plus de racines.

L'État du Maryland, qui avait été fondé par de grands seigneurs, proclama le premier le vote universel (1), et introduisit dans l'ensemble de

(1) Amendemens faits à la constitution du Maryland en 1801 et

son gouvernement les formes les plus démocratiques.

on

Lorsqu'un peuple commence à toucher au cens électoral, on peut prévoir qu'il arrivera, dans un délai plus ou moins long, à le faire disparaître complètement. C'est là l'une des règles les plus invariables qui régissent les sociétés. A mesure qu'on recule la limite des droits électoraux, sent le besoin de la reculer davantage; car, après chaque concession nouvelle, les forces de la démocratie augmentent et ses exigences croissent avec son nouveau pouvoir. L'ambition de ceux qu'on laisse au-dessous du cens s'irrite en proportion du grand nombre de ceux qui se trouvent au-dessus. L'exception devient enfin la règle; les concessions se succèdent sans relâche, et l'on ne s'arrête plus que quand on est arrivé au suffrage universel.

De nos jours le principe de la souveraineté du peuple a pris aux États-Unis tous les développemens pratiques que l'imagination puisse concevoir. Il s'est dégagé de toutes les fictions dont on a pris soin de l'environner ailleurs; on le voit se revêtir successivement de toutes les formes, suivant la nécessité des cas. Tantôt le peuple en corps fait les lois comme à Athènes, tantôt des députés, que le vote universel a créés, le représentent et agissent en son nom sous sa surveillance presque immédiate.

Il y a des pays où un pouvoir, en quelque sorte

extérieur au corps social, agit sur lui et le force de marcher dans une certaine voie.

Il y en a d'autres où la force est divisée, étant tout à la fois placée dans la société et hors d'elle. Rien de semblable ne se voit aux États-Unis; la société y agit par elle-même et sur elle-même. Il n'existe de puissance que dans son sein; on ne rencontre même presque personne qui ose concevoir et surtout exprimer l'idée d'en chercher aillleurs. Le peuple participe à la composition des lois par le choix des législateurs, à leur application par l'élection des agens du pouvoir exécutif; on peut dire qu'il gouverne lui-même, tant la part laissée à l'administration est faible et restreinte, tant celle-ci se ressent de son origine populaire et obéit à la puissance dont elle émane. Le peuple règne sur le monde politique américain comme Dieu sur l'univers. Il est la cause et la fin de toutes choses, tout en sort et tout s'y absorbe (H).

CHAPITRE V.

NÉCESSITÉ D'ÉTUDIER CE QUI SE PASSE DANS LES ÉTATS PARTICULIERS, AVANT DE PARLER DU GOUVERNEMENT DE L'UNION.

On se propose d'examiner, dans le chapitre suivant, quelle est en Amérique la forme du gouvernement fondé sur le principe de la souveraineté du peuple; quels sont ses moyens d'action, ses embarras, ses avantages et ses dangers.

Une première difficulté se présente: les ÉtatsUnis ont une constitution complexe; on y remarque deux sociétés distinctes engagées, et, si je puis m'exprimer ainsi, emboîtées l'une dans l'autre; on y voit deux gouvernemens complètement

séparés et presque indépendans ; l'un habituel et indéfini, qui répond aux besoins journaliers de la société; l'autre, exceptionnel et circonscrit, qui ne s'applique qu'à certains intérêts généraux. Ce sont, en un mot, vingt-quatre petites nations souveraines, dont l'ensemble forme le grand corps de l'Union.

Examiner l'Union avant d'étudier l'État, c'est s'engager dans une route semée d'obstacles. La forme du gouvernement fédéral aux États-Unis a paru la dernière; elle n'a été qu'une modification de la république, un résumé des principes politiques répandus dans la société entière avant elle, et y subsistant indépendamment d'elle. Le gouvernement fédéral d'ailleurs, comme je viens de le dire, n'est qu'une exception; le gouvernement des États est la règle commune. L'écrivain qui voudrait faire connaître l'ensemble d'un pa reil tableau avant d'avoir montré ses détails, tomberait nécessairement dans des obscurités ou des redites.

Les grands principes politiques qui régissentaujourd'hui la société américaine ont pris naissance et se sont développés dans l'État; on ne saurait en douter. C'est donc l'État qu'il faut connaître pour avoir la clef de tout le reste.

Les États qui composent de nos jours l'Union américaine, présentent tous, quant à l'aspect extérieur des institutions, le même spectacle. La vie politique ou administrative s'y trouve concentrée

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