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qui l'Almageste, le Grand Euvre, était devenu le guide indispensable. Des savants portugais, allemands s'étaient appliqués à l'établissement de la carte du ciel, à la rédaction de tables astronomiques. Pour mesurer les hauteurs, l'astrolabe primitif, décrit par Chaucer, avait été modifié par l'illustre Martin Behaim de Nuremberg, dans la seconde moitié du xve siècle. Behaim avait également construit le fameux globe terrestre qui offrit aux navigateurs à venir la séduisante perspective de la route de l'Inde par l'occident.

L'Angleterre avait fourni peu de chose au trésor commun des connaissances utiles à la navigation. Un contemporain de Chaucer, mentionné par le poète, carmélite studieux, et professeur de théologie à l'Université d'Oxford, Nicolas de Lynn, avait composé un calendrier et des tables mises à profit par ses compatriotes. La légende le représente même entraîné par son zèle géographique dans les mers du Septentrion; il aurait abordé aux environs du pôle en des terres nouvelles que décrivait un livre intitulé La Découverte de Fortune (Inventio Fortunae). Ces deux contributions, l'une modeste, l'autre hypothétique, sont à peu près les seules dont l'Angleterre puisse tirer gloire dans la période dont il est fait mention.

Cependant ses navires allaient et venaient, avec une certitude croissante, jusqu'aux extrêmes limites des parages atlantiques alors fréquentés. Par exception, quelque navigateur, curieux d'au delà, s'aventurait hors des frontières explorées. Les cartes portaient, bien à l'ouest de l'Irlande, une terre où l'on avait autrefois abordé on l'appelait l'île de Brésil.

Pendant l'été de 1480, un marin de Bristol, porte de l'occident, partit sur un navire de 80 tonneaux pour en retrouver la trace. Il revint trois mois plus tard, n'ayant rencontré qu'une mer sans bornes, et l'occident conserva son mystère.

La révélation du grand secret était réservée à la science, l'audace et la foi inébranlable des navigateurs latins.

L'héroïque Christophe Colomb les domine tous de la grandeur de son entreprise et de la beauté de son âme. Mais au-dessous de lui comment ne pas admirer aussi l'enthousiasme de tant d'autres, non pas seulement marins, mais personnages de sens rassis, hommes politiques, gentilshommes, prélats, leur croyance profonde en un avenir de découvertes et de merveilles. Epoque singulière, dit l'auteur du Cosmos, où des témoignages empruntés pêle-mêle à Aristote, Averroës, Esra, Senèque sur l'infériorité de la surface des mers, comparée à l'étendue de la masse continentale, pouvaient convaincre les rois que des entreprises dispendieuses auraient un résultat assuré.

Vers le milieu du xvr° siècle le globe avait déjà changé de physionomie. Le cap de Bonne-Espérance doublé avait ouvert la route de l'Inde par le sud de l'Afrique; la forme du continent américain était déterminée dans ses grandes lignes, et le Grand Océan, aperçu pour la première fois du haut d'un pic de Darien, par Nunez de Balboa, avait été reconnu et traversé par les navires de Magellan.

Les Anglais, quoique bien tard venus, avaient inscrit quelques noms dans l'histoire des découvertes. Depuis le premier voyage de Jean Cabot

à Terre-Neuve, dans l'été de 1497, plusieurs autres aventuriers étaient partis de Bristol ou de la Tamise pour la grande île, avec des alternatives de succès et de désastre. D'autre part, sir Hugh Willoughby et son second, Richard Chancellor, à la recherche d'un passage au nord-est de l'Atlantique, avaient exploré l'Océan glacial, la Mer Blanche, la Nouvelle-Zemble, où périt le chef de l'expédition.

Mais leurs exploits furent rejetés dans l'ombre par la croisière que fit autour du monde Francis Drake, la grande figure populaire de marin anglais du siècle d'Elisabeth.

Après avoir accompagné tout jeune son cousin, John Hawkins, dans une campagne aux Indes occidentales, et pris part au siège de Carthagène, il avait dirigé en personne une seconde expédition et capturé à Panama un convoi de lingots. C'est alors qu'ayant aperçu, du faîte d'un arbre qui dominait l'isthme, l'Océan Pacifique, où nul navire anglais n'avait encore pénétré, il avait prié Dieu d'avoir assez de vie pour pouvoir y entrer un jour le premier.

Cinq ans plus tard, en décembre 1577, à l'âge de trente-deux ans, il appareillait du port de Plymouth avec une flottille, à destination des mers du Sud. Il n'avait que cinq vaisseaux, petits, mais tenant bien la mer et puissamment armés. Ses desseins, en effet, étaient moins ceux du géographe que ceux du corsaire. Il comptait visiter les établissements espagnols du Grand Océan et n'en pas revenir les mains vides. Mais les circonstances donnèrent à son voyage une importance et une étendue qu'il ne soupçonnait peut-être pas au départ.

De dramatiques événements en marquèrent la première partie. Etant arrivés, après diverses aventures, dans les tristes parages de la Patagonie, il découvrit qu'un de ses lieutenants, Thomas Doughty, avait organisé un complot contre lui. C'était sur ces mêmes bords qu'un demi-siècle plus tôt Magellan, le premier qui fût entré dans ces eaux, avait dû lui aussi réprimer une révolte de ses officiers. Traîtreusement il les avait fait poignarder dans leurs couchettes. Les formalités légales qu'en ce décor funèbre Drake crut devoir observer pour le jugement de l'officier félon donnèrent à la cérémonie une étrange solennité. Le prévenu comparut devant un conseil de guerre composé des commandants des navires, reconnut en partie sa faute et sentence de mort fut rendue. Inflexible disciplinaire, mais ami chevaleresque, Drake tint à honorer des marques de son estime celui qui allait mourir. Il communia avec lui, l'accompagna au lieu du supplice, l'embrassa pour la dernière fois, et l'exécuteur fit son œuvre.

La flottille reprit sa marche vers les mers du Sud. Elle ne comprenait plus que trois bâtiments, le Pélican, navire de Drake, de cent vingt tonneaux, l'Elisabeth, un peu plus petit, et un sloop de trente tonneaux seulement. Les deux autres, dont l'un n'était guère qu'une sorte de grand canot, avaient été abandonnés en piètre condition, après qu'on eût retiré agrès et ferrements.

A la sortie du détroit de Magellan, dont ils avaient mis plus de quinze jours à franchir les soixante-dix milles, naviguant à la sonde au milieu des dangers,ils se félicitaient d'entrer dans des eaux plus clémentes, lorsqu'ils furent accueillis par une de ces

formidables tempêtes australes qui soulèvent toute la surface de la mer en lames de trente et quarante pieds de haut. Le mauvais temps dura pendant cinquante-deux jours, les fit terriblement souffrir et les entraîna, luttant désespérément, à plus de six cents milles vers le sud-est, au delà du cap Horn et des limites de la terre.

A la faveur des rares accalmies l'Elisabeth avait pu remonter jusqu'au détroit et s'y mettre à l'abri. Quant au malheureux sloop, le Marigold, il avait sombré une nuit dans la tourmente, avec son équipage. Lorsque les vents s'étant apaisés Drake reprit sa route dans la direction du nord, le long des côtes du Pérou, il était seul. L'Elisabeth les avait attendus trois semaines dans le détroit, entretenant sur la côte de grands feux pour se signaler au large, et n'ayant rien aperçu, était rentrée dans l'Atlantique pour retourner en Angleterre.

Les marins de l'Elisabeth purent déplorer amèrement l'abandon prématuré qu'ils firent de l'entreprise, car on allait entrer dans les eaux espagnoles, et le moment approchait où ceux qui avaient été à la peine seraient, sinon à l'honneur, du moins au profit, un profit dépassant même les rêves de l'insensé. A Valparaiso, le Pélican (débaptisé en cours de route et nommé la Biche d'Or) capture pour débuter un galion portant quatre cents livres pesant d'or en barres, auxquelles Drake ne dédaigne pas d'ajouter l'orfèvrerie de l'église du lieu. Plus loin, au voisinage des mines de la Cordillère, ils s'emparent, sans coup férir, de deux chargements de lingots d'argent, estimés à un demi-million de ducats. Dans le port d'Arica nouvelle prise de cin

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