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La préface, en forme de lettre, est adressée à M. Alexandre Basili, l'un de ces heureux voyageurs, dont nous venons de parler. Ce négociant, qui réunit à des connoissances trèsétendues l'aménité, l'amabilité, qui les rendent plus précieuses, s'étoit lié très - étroitement, pendant son séjour à Paris, avec le docteur Coray. Lorsqu'il partit, il le pressa de s'occuper d'une nouvelle édition des Amours de Théagènes et de Chariclée, en l'accompagnant d'un commentaire pour les Grecs modernes, afin de les détourner de la lecture de quelques romans fades ou insignifians, pour lesquels ils témoignoient déjà du goût. Le docteur Coray s'est rendu aux instances de son ami; ainsi le meilleur des romans grecs, venus jusqu'à nous, devra une nouvelle vie à la générosité de l'un et à la critique lumineuse de l'autre.

La lettre à M. Alexandre Basili ne doit point être confondue, et l'auteur en prévient son ami en la commençant, avec ces dédicaces fastueuses qu'on met souvent à la tête des livres. C'est un entretien familier, pareil à ceux qu'ils avoient ensemble, lorsqu'ils se promenoient au Céramique de Paris, c'est-à-dire, dans le jardin des Tuileries. Nous en donnerons une idée succincte.

Le docteur Coray parle d'abord du roman en général; il trouve peu juste la définition qu'en donne Huet, dans son Traité sur l'Origine des Romans. « Ce qu'on appelle Romans, dit ce savant prélat, sont des fictions d'aventures amou

reuses, écrites en prose avec art, et pour le plaisir et l'instruction du lecteur.» En effet, on exclut par cette définition incomplète les romans en vers et cette autre espèce de romans, malheureusement assez nombreux, dont le but est de corrompre le cœur et l'esprit.

Comme les Anciens n'ont point donné un nom particulier à cette sorte d'ouvrages, qu'ils désignoient ordinairement par la nation ou la ville qui avoit donné naissance aux principaux acteurs, les Babyloniques, les AEthiopiques, etc.; et comme la dénomination roman n'a été inventée que par les Européens, le docteur Coray propose pour les Grecs celle-ci, MY☺IETOPIA, Histoire fabuleuse. Il passe ensuite en revue les Romanciers grecs. On met ordinairement à leur tête Cléarque, disciple d'Aristote, qui avoit écrit sous le titre d'Epwrxa, Narrations érotiques, différentes aventures amoureuses, ou entièrement fabuleuses, ou mêlées de fables. Théophraste avait aussi laissé un ouvrage qui portoit le même titre. C'est ainsi que Parthénius a écrit, Пepè Ερωτικῶν Παθημάτων, des Affections amoureuses, et Plutarque ses Ερωτικαὶ Διηγήσεις, Narrations amoureuses. Mais tous ces recueils d'anecdotes, quoiqu'en partie fabuleuses, ne méritent pas le nom de roman.

Le plus ancien est celui d'Antoine Diogène, qui avoit pour titre; Des choses incroyables que l'on voit au delà de Thule. Photius, qui nous en donne l'analyse dans sa Bibliothéque (1), (1) Cod. CLXVI.

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s'exprime ainsi : « Ce romancier (Antoine Dio-
gène) paroît être le plus ancien de tous ceux
qui ont couru la même carrière, tels que
Jamblique, Achilles Tatius, Héliodore et Da-
>> mascius. Son histoire fabuleuse semble même
» avoir été la source où Lucien a puisé son
» Histoire véritable, et Lucius ses Métamor-
phoses. Bien plus, Dercyllis, Ceryllus, Thrus-
» canus, Dinias » ( ce sont les personnages prin-
cipaux du roman de Diogène) « paroissent avoir
» fourni le modèle d'après lequel on nous a
peint ensuite Sinonis et Rhodanès, Leucippe
Clitophon, Théagène et Chariclée, ainsi que
>> leurs aventures, leurs courses errantes, leurs
» amours, leurs enlèvemens et leurs périls. Mais
nous ne pouvons fixer d'une manière posi-
» tive le temps auquel florissoit ce père des ré-
» cits merveilleux. Cependant il est probable
qu'il n'étoit pas éloigné de celui d'Alexandre,
puisqu'il fait mention d'un certain Antipha-
» nes, qui, long-temps avant lui, s'étoit amusé
» à débiter des contes pareils.

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Outre l'analyse de ce roman par Photius,
Porphyre a conservé presque textuellement ce
que ce romancier avoit dit de Pythagore (2).

Les Fables Milésiennes avoient pour auteur
Aristide de Milet. Elles furent célèbres par la
licence qui y régnoit et par la fureur avec la-
quelle les Romains dévorèrent la traduction qui
en fut faite sous Sylla. Surena, général des

(2) Vie de Pythagore, §. 10-16, et 32—48.

Parthes, les ayant trouvées parmi les dépouilles
ennemies, après la défaite de Crassus, ne put
s'empêcher de déplorer la corruption des Ro-
mains, qui, même au milieu des horreurs de
la guerre, ne pouvoient s'abstenir de pareilles
lectures.

Lucius de Patras vivoit sous Antonin et Marc
Aurèle. Ses Métamorphoses étoient extrême-
ment licencieuses, si l'on en juge par l'Ane
de Lucien, qui n'est, au rapport de Photius,
qu'un abrégé des deux premiers livres de Lu-

cius.

A peu près vers le même temps florissoit
Jamblique, auteur des Babyloniques, c'est-à-
dire, des Amours de Sinonis et de Rhodanès (3).
Photius nous a laissé un long extrait de ce ro-
man, qui fait vivement regretter sa perte.

Héliodore devoit trouver ici sa place; mais
comme l'éditeur se proposoit de traiter son ar-
ticle avec quelque étendue, il passe aux autres
romanciers.

Achilles Tatius, dans ses Amours de Leucippe
et de Clitophon, a imité Héliodore dans plusieurs
endroits; mais quoique son roman soit très-
agréable, que ses descriptions soient vives et
piquantes, et que sa lecture soit plus amusante
que celle d'Héliodore, on lui reproche, avec
raison, de montrer trop souvent le Sophiste et
le Rhéteur. Il a aussi quelques pages qu'on n'ose

(3) Voyez dans le Magasin Encyclopédique, 111o. année,
tome, page 364, une dissertation sur ce romancier.

traduire dans nos langues modernes, ce qui le fait appeler, par notre éditeur, Zvyypapeùs rãs αἰσχρολόγο Μυθιστορίας, auteur d'un roman obscene. Mais cette apostrophe nous paroit un peu dure, car, à ce compte, il faudroit aussi l'adresser, je ne dis pas au divin Platon, auteur du Banquet, mais à quelques pères de l'église grecque et latine, qui nous ont laissé des pages bien autrement licencieuses. Le discours de Ménélas, qui termine le second livre, et que le docteur Coray avoit sans doute en vue, est un de ces tours de force, si nous osons nous exprimer ainsi, qui plaisoient tant aux rhéteurs Grecs; mais avec quelle grâce, quelle vivacité, quelle élégance et quelle mollesse de style il est écrit c'est là véritablement le molle atque facetum d'Horace.

Longus, dont on ignore la patrie et le siècle où il a vécu, mais qui florissoit probablement vers la fin du quatrième ou le milieu du cinquième, n'a pas trouvé grâce devant notre éditeur. Il lui accorde à la vérité la clarté du style, la propriété des termes, l'atticisme; il trouve ses périodes élégantes et bien arrondies; mais il lui refuse le bon sens et le jugement NOYN KAI KPIZIN. Ce n'est, selon lui, qu'un sophiste, dont la lecture est insipide, non seulement à cause des obscénités répandues dans son livre, mais parce qu'il ressemble à ces Amphytrions qui font servir à leurs convives des vases du plus grand prix, sans aucun mets dedans. Nous en demandons bien pardon au docteur Coray, mais nous ap

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