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un équatorial. Un jeune artiste plein de zèle se proposait de MÉMOIRE. l'entreprendre, mais il avait besoin auparavant d'essayer encore ses forces.

Telle était notre situation à la fin d'août 1786. Il n'y avait pas encore dix-huit mois que notre atelier était monté, et nous pouvions déjà nous féliciter d'avoir rempli ce court espace de tems par des travaux nombreux et des essais heureux; pleins d'un nouveau zèle, nous étions bien éloignés de prévoir les obstacles tout prêts à s'élever, et d'apercevoir cette longue série de contradictions qui allaient retarder notre marche, fatiguer notre courage, et finir par envelopper nous et nos projets dans cette destruction générale qui n'a épargné ni les hommes, ni les choses, et qui, sur les débris du bien, a fait si long-tems régner le mal ou plutôt le néant.

J'avais espéré que dans la restauration générale du bâtiment de l'Observatoire il serait possible de conserver mon atelier placé au second étage de la tour occidentale : mais un examen plus scrupuleux de l'état des voûtes supérieures, fit connaître qu'il n'y en avait pas une seule qui pût être conservée; leur démolition générale fut donc arrêtée, ce qui nécessita de déloger l'atelier et de suspendre pour quelque tems nos constructions préparatoires. A la vérité notre fonderie se trouvant isolée du bâtiment, nous étions libres de nous occuper de la fonte du grand mural; mais un nouveau contre-tems, plus grave encore que le premier, vint jeter un moment le trouble et le découragement au milieu de nos entreprises. Le chef de notre atelier disparut tout à coup, sans que je pusse savoir d'abord ce qu'il était devenu, ni deviner les motifs de son départ. J'appris par la suite que ses affaires étant en fort mauvais. état lors de son entrée à l'Observatoire, il avait espéré trouver auprès de moi certaines facilités pour les rétablir promptement; mais qu'ayant reconnu, ainsi qu'il s'en était plaint,

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que j'étais encore plus économe des deniers du Roi que des miens propres, il avait pris le parti de chercher des ressources MÉMOIRE. ailleurs et en pays étranger (1).

Cette défection, au reste, me devint moins sensible dans ce moment, où je me trouvais forcé de suspendre mes travaux. Je ne désespérai pas de pouvoir à leur reprise remplacer mon chef d'atelier. Mais bientôt une nouvelle circonstance me fit naître de nouvelles idées et concevoir d'autres projets.

S. M. Britannique, sur une proposition qui lui avait été faite anciennement par mon père (2), avait ordonné d'exécuter en Angleterre les mêmes travaux géographiques que nous avions faits en France, et de former entre les deux méridiennes de Londres et de Paris une suite de triangles qui liât les îles Britanniques au Continent, et l'Angleterre à la France.

Cette opération devait naturellement se faire par le concours de plusieurs savans des deux nations. Je fus du nombre des Français (3) qui furent nommés pour opérer la jonction. Ma satisfaction fut extrême en songeant au parti que je pourrais tirer d'un occasion si favorable à mes vues dans un nouveau plan que j'eus bientôt formé, et dont je ne tardai à faire part au ministre.

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(1) Je m'étais toujours tenu sur mes gardes, ayant soin que tous les ouvriers qui travaillaient à l'atelier fussent régulièrement payés toutes les semaines ; je ne délivrais de l'argent au chef que proportionnellement à l'avancement des travaux, et à la valeur des pièces qui se terminaient. On se rappelle d'ailleurs la précaution que j'avais prise du cautionnement. Aussi le ministre, en partageant mes regrets, ne put qu'approuver ma conduite et ma gestion.

(2) Voyez : Exposé des opérations faites en France en 1787 pour la jonction des Observatoires de Paris et de Greenwich, Introduction, page XII,

(3) MM. Méchain et Legendre me furent adjoints.

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Ma commission, lui dis-je, doit nécessairement me conduire MÉMOIRE. à Londres; il faut même qu'elle soit pour moi un prétexte spécieux pour y aller, et me procurer tous les avantages que je me propose de recueillir dans ce voyage: si vous daignez m'autoriser et me seconder, j'irai voir ces superbes instrumens anglais, examiner ces chefs-d'œuvre de l'art, et ces modèles que notre première ambition est d'imiter en France. Que ne puis-je mener avec moi nos meilleurs artistes qui d'un coup-d'œil sauraient bien mieux saisir les perfections, les inventions et les leçons que peut offrir l'examen de ces belles machines! Mais s'il y a un moment favorable de mettre à exécution ce que je vous ai précédemment proposé, c'est celui-ci. J'aurai occasion de voir et de cultiver les Dollond, les Strougton, les Ramsden ; je m'attacherai sur-tout à capter la bienveillance de ce dernier, et je ne désespère pas d'obtenir de lui la permission d'envoyer deux ou trois de nos artistes se former à son école et dans ses ateliers. Voilà nos travaux suspendus ; d'ici à quelques années nous ne pourrons guère les reprendre. Je n'ai plus de chef d'atelier, il faut tàcher d'en former un dans cet intervalle; et ce n'est qu'à Londres qu'il pourra suffisamment s'instruire à la vue des bons modèles et par les leçons des grands maitres. Autorisez-moi à commander quelqu'instrument à M. Ramsden; sans doute il sera flatté de travailler pour l'Observatoire royal de Paris, où il n'y a encore aucun de ses ouvrages; son amour-propre et son intérêt le disposeront en notre faveur, et il n'en écoutera que mieux la proposition que je lui ferai alors d'envoyer deux ouvriers dans son atelier pour suivre la construction de l'instrument commandé. Ne poussons pas trop loin, ajoutai-je, cet orgueil national qui voudrait ne voir à l'Observatoire de Paris que des instrumens faits en France. Cela pourra avoir lieu un jour; mais, quant à présent, la raison, le bien de la

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chose, et l'intérêt de la science nous conseillent de nous 'procurer ce qu'il y a de meilleur, ne fùt-ce que pour nous MÉMOIRE. servir par la suite de types et de modèles.

M. le baron de Breteuil goûta fort mes raisonnemens et ma proposition. Je fus donc chargé de commander à M. Ramsden une lunette des passages de sept pieds semblable à celle qu'il avait exécutée pour l'Observatoire de Palerme, instrument précieux et capital qui avait acquis entre ses mains le dernier degré de la perfection. On s'en remit d'ailleurs à moi pour la négociation de la réception des artistes dans les ateliers de Londres.

Il est une jalousie qu'on ne cherche point à désavouer lorsqu'elle n'est autre chose qu'un sentiment d'émulation entre des hommes instruits qui cherchent à se surpasser dans la carrière de la gloire : il est des larcins qui ne sont point honteux, quand ils n'ont pour objet que de s'emparer des lumières et des découvertes d'autrui pour en faire profiter les arts et les sciences, pour accélérer leurs progrès. J'avouerai donc, sans rougir, que fort jaloux de la supériorité de nos voisins dans la construction des instrumens d'astronomie, je ne me proposai d'autre but dans mon voyage en Angleterre que d'y ravir tout ce dont je pourrais profiter en lumières, en connaissances et en inventions relatives à mon objet. C'est dans cet esprit que je demandai encore au ministre la permission de mener avec moi un de nos meilleurs opticiens, sous prétexte de veiller à la conservation et aux réparations accidentelles du cercle répétiteur que j'emportais pour la mesure des angles, mais au fond pour le mettre à même de prendre une connaissance particulière et détaillée de ces fameux télescopes qui ont porté les regards de M. Herschell dans les régions les plus reculées du ciel, et sa réputation dans tous les points du monde savant. M. Carrochez avait déjà

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exécuté sous les yeux et la direction de notre illustre confrère MÉMOIRE. M. de Rochon des miroirs de platine parfaits, et qui promettaient les plus grands effets si on augmentait leurs grandeurs et leurs foyers, comme l'avait fait M. Herschell pour ses miroirs de métal composé. Il était donc bien précieux pour notre artiste de pouvoir connaître et examiner ces grands miroirs dont la composition, les dimensions, la monture et l'exécution absolument nouvelle attestaient l'habileté et le génie de M. Herschell. Le pied, la monture et les mouvemens du corps de son grand télescope n'excitaient pas moins notre curiosité et nous offraient les instructions les plus importantes. Le ministre sentit tout le fruit que M. Carrochez pouvait tirer de ce voyage, et il m'autorisa à l'emmener avec moi.

Enfin, pour faire ici ma confession toute entière, je dirai que voyant avec peine depuis long-tems les recherches, les essais, les dépenses et les prix proposés pour se procurer le flingtglass, ne produire aucun résultat heureux, j'avais pensé que le moyen le plus court et le plus sûr pour réussir serait peut-être d'attirer en France quelqu'un des premiers ouvriers des meilleures verreries anglaises; j'en parlai à M. le baron de Breteuil : il me représenta toute la difficulté et le risque d'une pareille négociation, mais il m'assura de sa satisfaction et de tout son appui, si je pouvais y réussir.

Je partis au mois de septembre 1787 pour l'opération de la jonction des deux méridiennes, avec l'autorisation de faire tout ce que je croirais avantageux à l'Observatoire royal et au progrès, en France, de l'art de construire les instrumens d'astronomie.

Après avoir fait le premier, et avec succès, l'essai en grand du nouveau cercle répétiteur de Borda; après avoir fait lutter avec avantage un petit instrument de dix pouces de rayon contre le grand théodolite du général Roy, chef-d'œuvre du

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