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de fatigue, d'induftrie : c'eft en Turquie que paffent les efpeces monnoyées de Tofcane, où elles gagnent foixante pour cent; celles de Venife y paffent auffi avec un gain de 50 pour . Les Anglois, les Hollandois & plufieurs autres Nations Européennes, portent par différentes voies, des fommes prodigieufes aux Indes Orientales, & paient une espece de tribut ruineux au Mogol, à la Perfe, à la Chine, au Japon & à tous les comptoirs des Royaumes Orientaux: fobres & peu curieux de nos modes, ces peuples nous achetent très peu de chofe, & nous vendent à haut prix let's foies, leurs toiles, leurs épiceries & leurs drogues médicinales dont nous avons l'imbécillité de croire ne pouvoir nous paffer, tandis que fi nous le voulions, nos fimples équivaudroient à leurs drogues, qui augmentent bien plutôt qu'elles ne diminuent nos liftes de mortalité. Les réflexions qu'il y a à faire fur ce fujet, fe préfentent en foule; tout le monde le fait, & perfonne ne remédie au mal, qui va toujours croiffant : enforte qu'il eft très-probable que tôt ou tard, fi les Souverains ne s'y oppofent plus efficacement qu'ils ne l'ont fait jufqu'ici, toutes les richeffes, tout l'or & l'argent de l'Europe iront irrévocablement fe perdre en Orient.

S. X X V.

Des Archives publiques, des Greffiers, des Notaires, & du foin que le Gouvernement doit prendre des Pauvres.

IL importe infiniment qu'il y ait, dans tout Gouvernement, des lieux où

foit dépofée une copie de tous les actes, teftamens & autres contrats, qui doivent y être confervés avec plus de foin encore qu'ils ne le font chez les Notaires. Jadis les Rois, les Princes & les Eglifes mêmes avoient leurs archives particulieres: mais les révolutions, les incendies, les invafions des Barbares, mille fâcheux événemens ont fait périr & ces lieux & les monumens qui y étoient confervés; de maniere que nos archives font très récentes, & que l'acte le plus ancien qui exifte encore de nos jours, ne remonte qu'à un très-petit nombre de fiecles.

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Le moyen le plus fûr qu'il y ait à prendre pour conferver les actes & les titres, eft que l'on faffe des copies fidelles de tous les actes dans des cadaftres ou regiftres, & qu'elles foient bien conformes aux originaux : que ces regiftres foient dépofés & ne fortent jamais des archives, dont la garde ne doit être confiée qu'à des perfonnes d'une probité reconnue & de la plus intacte intégrité. Mais au défaut d'archives, comme ce font les Notaires qui font les dépofitaires des actes, des contrats & des titres, ils ne devroient fe fervir pour leurs écritures que de papiers très-forts & de la meilleure encre; c'eft cependant à quoi ils ne paroiffent guere faire une attention particuliere. Auffi ceux qui font à la téte du Gouvernement ne fauroient regarder comme trop important au bien & à l'honneur de

l'Etat d'avoir de bons Notaires, qui ne devroient être reçus qu'après avoir fubi un rigoureux examen. Rien n'eft plus pernicieux que d'admettre des ignorans à cet emploi; car, des gens qui ne font pas au fait des loix générales & des coutumes du pays, ne fauroient rédiger & étendre comme il faut les intentions & les volontés de ceux qui contractent. Le peu d'attention que l'on a pour le choix de ces Officiers publics, & la négligence avec laquelle on fouffre leurs fautes, font à ceux qui font à la tête du Gouvernement plus de tort qu'ils ne le penfent, & c'eft avec raifon que c'est à eux qu'on attribue tous les maux qui résultent de l'impéritie des Notaires.

à

Les pauvres font la portion onéreufe & fouffrante du Gouvernement; & les Princes qui ne s'empreffent point à foulager leur mifere, à les fecourir dans leurs befoins, manquent effentiellement d'humanité. Comme le refte des citoyens, ils font les fujets du Souverain, & il doit s'en montrer le pere. De tous les établiffemens, ceux donc qui dépofent le plus en faveur de la bienfaisance & de l'humanité du Prince, font les hôpitaux pour les pauvres infirmes & pour les enfans trouvés. Toutefois il ne fuffit pas un Souverain d'avoir fondé de pareils établiffemens s'il veut les rendre auffi utiles qu'ils peuvent l'être, il doit au moins une fois tous les ans prendre des informations exactes pour s'affurer que toutes les obligations, impofées à ceux qui font prépofés à l'administration de ces lieux, font fidélement remplies car il peut arriver que les revenus de ces établissemens foient plus les revenus des adminiftrateurs que ceux des pauvres : il doit s'affurer que l'on fatisfait à l'intention des fondateurs ou des teftateurs, à laquelle il ne faut rien changer, à moins que d'en avoir les plus fortes raifons.

L'un des plus grands biens encore que le Souverain puiffe faire à l'Etat, eft de procurer, par tous les moyens poffibles, aux pauvres de quoi travailler & gagner leur vie, & fur-tout en les employant aux arts qui mettent en œuvre la foie & la laine en féviffant contre les pareffeux & les vagabonds, toujours prêts à mal faire; il faut ou les forcer à travailler, ou les bannir comme des citoyens dangereux, ou les punir s'ils s'obstinent à refter.

§. X X V I.

Des Jeux honnétes, de la Chasse & de la Péche.

UN travail trop affidu fatigue, ufe & affoiblit: le corps comme l'efprit

doit prendre des momens de relâche & de diftraction; il eft donc indifpenfable de laiffer aux citoyens de toutes les claffes des divertiffemens honnêtes qui les amufent & leur faffent pour quelques momens perdre de vue leurs pénibles occupations. Or, de tous les amufemens, le plus honnête fans contredit, & le plus utile, eft le fpectacle épuré, & bien dirigé. Car

il n'eft pas douteux que des tragédies & des comédies bien faites pourroient devenir des prédications très-utiles pour le peuple, & d'autant plus efficaces, fur-tout les comédies, que rien n'eft plus capable de faire imprefGion que de répandre du ridicule.

Mais toutes fortes de jeux & de divertiffemens ne conviennent point au fimple peuple, & ne doivent point lui être permis telle eft entr'autres la chaffe, qui fi elle étoit permife au peuple, lui feroit perdre une partie de fon tems, quand même il n'y auroit pas du danger à le laiffer vaguer armé dans les campagnes. Il eft très-jufte & naturel que la nobleffe feule ait le droit de chaffer: il y auroit de la cruauté à lui interdire cet exercice fi reffemblant à ceux de la guerre dont elle fait profeflion. Il eft plus jufte encore que le Prince fe réferve pour fon ufage le droit de chaffe fur fes domaines propres & allodiaux. Mais il ne l'eft pas autant, il s'en faut bien, qu'il accorde ce droit à fes vaffaux dans les dépendances de leurs fiefs; & rien n'eft plus fouverainement inique que ces défenses émanées de ces petits tyrans dans les Provinces, défenfes par lefquelles il eft féverement prohibé d'ôter les buiffons, d'arracher les racines auprès des foffés de couper des arbres dans fes propres biens; de faucher les prés au tems où ils doivent être fauchés, d'envoyer fes beftiaux dans les pâturages, à moins qu'on n'en ait la permiffion expreffe des capitaines des chaffes. Mais le comble de l'iniquité eft, lorfque pour entretenir des fangliers, des cerfs, des daims & des chevreuils dans des bois qui ne font ni entourés de murs, ni paliffadés, on veut que ces animaux ayent la liberté de fe répandre dans les terres enfemencées, & de les ruiner entiérement, fans qu'il foit permis de s'oppofer en aucune maniere au dégat.

On ne peut apprécier les pertes que caufent ces animaux deftructeurs; & il faut croire que le prince ni les grands ne fe forment point une idée de la défolation & du ravage que font à plufieurs milles d'alentour, ces animaux qui fortant des bois, fe trouvent maîtres des campagnes éloignées & voifines. C'eft leur faute cependant s'ils l'ignorent: & il en eft plufieurs qui fe montrent fi infenfibles aux cris du peuple qui fe plaint de cette vexation, qu'ils femblent au contraire prendre un fingulier plaifir à s'entendre maudire. Le peuple cependant ne peut que gémir, & malheur à quiconque, défefpéré de voir fes moiffons ravagées, attenteroit à la vie de quelqu'un de ces animaux privilégiés. Jamais un Prince animé d'un véritable amour pour fes fujets, ne permettra qu'on leur impofe de telles charges, & que les Grands ligués avec les cerfs, les fangliers, les daims &c. exercent, contre les habitans des campagnes, une telle rigueur, ou plutôt une auffi déteftable tyrannie.

L

S. XXVII.

Des Troupes, des Edifices publics, de la Police & de la Salubrité du fejour des villes & des campagnes.

A guerre en général, & quelle qu'en foit la caufe, eft un fléau pour les peuples, non-feulement par elle-même & la violence des hoftilités; mais auffi par les maux qui en réfultent lors même qu'elle a ceffé, tels que la ruine des pays qui en ont été tour-à-tour le théâtre, & l'énormité des dettes que le public fe trouve avoir contractées pour la foutenir. Ce fléau eft malheureufement inévitable par l'ambition des Souverains & la paffion qu'ils ont prefque tous d'étendre les bornes de leur domination de maniere que ce défir leur étant commun, les nations font toujours obligées d'avoir des troupes fur pied pour être en état de repouffer les entreprises & les invafions. Dans tout mal néceffaire ce que l'on peut faire de mieux, eft de le rendre le plus léger qu'il eft poffible. Or dans cette vue le devoir des Souverains eft de fe tenir dans de juftes bornes & de ne prendre les armes que lorsqu'ils y font forcés par des hoftilités réelles & préfentes, ou que raifonnablement ils ont tout fujet de craindre. A l'égard des inconvéniens que peut entraîner le féjour des troupes dans l'Etat, les Princes juftes & équitables favent contenir dans la difcipline des hommes qui peuvent fi facilement abufer de la force qu'ils ont en main & maltraiter les foibles.

On demande fi les peuples doivent s'inftruire des opérations militaires & s'exercer au maniement des armes pour les guerres foit offenfives, foit défensives. Jadis, & fur-tout dans les Républiques où le peuple avoit part au Gouvernement, il étoit d'ufage, & même très-à-propos pour les befoins publics, que tous les citoyens fuffent aguerris. Mais dans les Républiques modernes où le Gouvernement eft entre les mains de la nobleffe, il seroit dangereux de rendre le peuple belliqueux. On fait quelles diffentions furvinrent à Rome entre le peuple & les nobles ou patriciens. Il n'en eft pas de même dans un Etat monarchique, où, relativement au Prince, tous les citoyens étant égaux, il n'y a nul danger d'inftruire le peuple comme les nobles dans l'art militaire. Mais ce n'eft pas affez de les inftruire, il faut animer les plus intelligens & les plus braves par des récompenfes & des diftinctions, qui font fi cipables d'exciter l'émulation on fait combien font formidables des troupes animées par l'honneur: ne fut-ce pas l'honneur qui rendit la petite troupe de Léonidas fi terrible & fi redoutable au paffage des Thermopiles?

On dira peu de chofe au fujet des édifices publics; on obfervera feulement que c'eft d'après leur beauté & leur magnificence qu'on juge avec raifon de l'opulence des villes, comme c'eft à leur médiocrité qu'on connoît la pauvreté d'un pays. Mais dans les Etats où le public ni les parti

culiers ne font pas en état de faire des édifices fuperbes, du moins feroit-il néceffaire que le bon goût fe trouvât dans ceux qu'on fait construire. Il y a en France, comme en Italie, de petites villes où à la vérité il n'y a point de Palais, mais les maifons, les places & les rues y font jolies & agréables. Car fans magnificence, on peut obferver dans un petit bâtiment, comme dans un grand édifice, un bon ordre d'architecture. Il faut cependant avouer qu'il eft bien des pays & même de grandes villes où l'on bâtit fans goût & fans propreté. Il feroit pourtant bien aifé d'éviter ces deux difformités. Ce feroit que chaque ville, à l'exemple de l'ancienne Rome, choisit fes édiles, ou infpecteurs des édifices publics : & c'est ce qui fe pratique en plufieurs villes d'Allemagne & d'Italie. Pourquoi cet ufage fi fort utile n'eft-il pas fuivi par-tout?

Un plus grand inconvénient encore, & fur-tout très-nuifible à la fanté des citoyens, eft la mal-propreté qui regne dans beaucoup de villes. Il en eft plufieurs où l'on trouve des amas d'urine & d'immondices jusques dans les efcaliers des maifons publiques: ce n'eft feulement point une dégoûtante mal-propreté, mais une infection qui corrompt l'air & le rend trèsfunefte aux habitans. Car enfin, le moyen le plus für de conferver la santé eft de respirer un air pur, attendu qu'il entre dans le fang, dans les opérations & les mouvemens de notre corps; or, qu'eft-ce qu'un air imprégné de particules infectes d'urine, d'immondices, & fur-tout des miafmes cadavéreux qui s'élevent perpétuellement des cimetieres où l'on entaffe les morts, & qu'on refpire dans les églifes, où les vivans s'affemblent, deux ou trois pieds au-deffus d'une foule de cadavres qui y pourriffent : de toutes les inftitutions, la plus nuifible, eft fans contredit celle des inhumations dans les cimetières & les églifes; c'eft à ce barbare usage que doivent être attribuées ces maladies contagieufes & épidémiques, qui ravagent & dépeuplent fi fréquemment les villes. On a fi fouvent démontré les dangers de cette mauvaife & très-condamnable coutume, qu'il feroit inutile de s'arrêter ici aux inconvéniens & aux malheurs qui en résultent inévitablement.

Le féjour le plus pur eft fans doute celui des champs; mais il ne l'eft pas par-tout, il s'en faut bien, autant qu'il pourroit l'être; l'air y eft en bien des lieux gâtés par les eaux croupiffantes qu'on n'a pas foin de faire écouler , par des marais infects qu'on néglige de deffécher, & c'eft fur quoi le Souverain & les Magiftrats devroient avoir la plus grande attention. En Angleterre, la loi inflige des peines contre ceux qui font rouir le lin & le chanvre dans les rivieres, les lacs & les canaux publics. Chez cette nation, on penfe que l'eau où l'on a fait rouir le chanvre & le lin en eft empoisonnée, & fait un mal irréparable aux beftiaux qui en boivent & aux poiffons: il feroit bon qu'à ce fujet on pensât ailleurs ainfi 'qu'en Angleterre, peut-être la mortalité des beftiaux y feroit-elle moins fréquente. C'eft des différens objets dont on s'eft occupé dans cette analyse, que

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