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tout dans les Provinces, ils n'offrent que de foibles reffources à l'oifiveté. Ils corrompent même prefque toujours, & l'inventeur & les inftrumens qu'on y facrifie. On fe fait illufion, en fe plaignant de la difette des cultivateurs, en demandant des fujets au cloître, en lui reprochant la prétendue inutilité de ceux qu'il enferme dans fes murs. Ces terres arides dont on propose tous les jours le défrichement, font des amorces de la cupidité, des pieges tendus aux fimples. Ces objets peuvent occuper les spéculateurs oififs; mais ils ne féduifent point l'homme fage.

Ce que nous difons des couvens de religieux, on peut le dire des couvens de filles. Nos nouvelles mœurs ont rendu ces fortes d'afiles indifpenfables. La foif des richeffes a fait mêler le fond des roturiers avec celui des nobles; mais les Provinces, plus fieres ou plus aufteres que la Capitale, ne connoiffent point ces mêlanges deftructeurs de l'ancien efprit. On n'y tolere point cet alliage des conditions extrêmes. La différence des Etats 6 propre à nourrir le caractere diftinctif de chaque ordre & leur rivalité, y eft foigneufement obfervée. Or à quel emploi deftiner cette partie du fexe, en qui circule le plus beau fang? Où la recueillera-t-on, fi après avoir enté les principales branches fur d'autres troncs auffi auguftes, on ne lui ménage une retraite convenable à fa dignité? Délaiffée, elle ne tardera pas à s'avilir.

Nous ne difconvenons pas qu'il ne fe pratique de grands abus dans les couvens ; mais ils font faciles à corriger, fi le gouvernement veut s'en donner la peine. Le miniftere public travailleroit à fon bien particulier, s'il vouloit prendre le foin de réformer, fur-tout, les vices de l'éducation que l'on y donne aux jeunes penfionnaires; fi dans certains temps de l'année, il y envoyoit de fa part des représentans pour affifter aux exercices publics. Les jeunes éleves déploieroient devant eux, avec leurs connoiffances, les principes d'adminiftration domeftique & autres qu'elles auroient reçus dans leur inftitution. En général l'éducation des couvens eft trop relâchée ou trop févere. Dans le premier cas, on ne fait préfent à la fociété que de cœurs flétris, d'imaginations corrompues par la lecture des Romans, par l'étude de toutes les frivolités; dans le fecond, il fe rencontre un tel mêlange des pratiques avec les préceptes, que l'ennui fait bientôt négliger P'un & l'autre; c'eft un or avec tant d'alliage, qu'on n'a pas le courage de les féparer.

Les mêmes abus régnent dans les colleges comme dans les couvens. Il eft d'autant plus effentiel au gouvernement d'y remédier, que ces abus peuvent être de la plus grande conféquence dans la fociété. C'eft dans ces écoles que fe préparent des fujets pour tous les états. Le jeune héros deftiné aux armes y étudie les exemples des grands Capitaines de l'antiquité. Celui-ci appellé aux fonctions de la Magiftrature, apprend par les traits d'équité des Payens, combien la juftice a toujours été chere aux hommes; que bannie du refte de la terre, elle doit trouver un fûr afile dans le Tome IX. L

il n'y a ni morale fixe, ni digue affez forte pour arrêter les ravages des paffions, parce que rien ne peut la remplacer dans aucune claffe d'hommes, depuis le fouverain jufqu'à l'humble habitant des campagnes. L'efprit ou plutôt l'orgueil humain s'eft laiffé abufer par des fpéculations brilÎantes fur la force prétendue de la raison & de l'éducation; mais la raison naturelle ne dicte que les penfées, la religion feule produit les actions.

Il est vrai que pour fuppléer en quelque forte à la Religion, on a imaginé des fyftêmes de gouvernement capables de féduire d'abord; mais ils manquent d'appui; c'eft un édifice de fable que le moindre vent peut renverfer. Il ne fuffit pas de conftruire un fuperbe temple, il faut que la gloire de la Divinité le vienne remplir. On affecte de méconnoître le pouvoir de la religion. Couvrant nos loix de fa majefté, elle regne presque à notre infu & malgré nous-mêmes. Ne peut-on pas dire que les Payens étoient plus fages, & qu'ils avoient mieux fenti la néceffité de lier la Religion à la Politique?

Mais comment veut-on faire refpecter la Religion, fi le gouvernement ne prend un foin particulier d'en faire respecter les Miniftres? Ils ont dans la fociété deux rapports, l'un avec le Souverain, l'autre avec les peuples. Le lien qui les attache au Souverain, eft un lien d'obéiffance comme fujets; d'autorité, comme miniftres de Dieu. Auprès des peuples, ils expliquent les ordres du Monarque, font révérer fon pouvoir, aimer fon fang; ils intéreffent pour fes vertus, couvrent d'un voile refpectueux fes défauts, font honorer dans lui l'image du très-haut, & l'onction qu'il a reçue. Mais la conduite des Pontifes doit juftifier le choix du Souverain; ils doivent faire remarquer, dans la portion d'autorité qu'il leur communique, cette douceur, cette bonté qui caractérisent la puiffance d'en haut. Leur conduite, leurs mœurs, leurs difcours, leurs exemples, tout doit être dans eux un avertiffement; convaincus des droits de leur miniftere, ils ne doivent pas fouffrir que des hommes méchans, verfant le poifon dans des coupes enchantées, le préfentent au monarque leur devoir eft d'arrêter les fcandales, d'émouffer fes traits qui, en acquérant à la cour plus de force, vont faire une plaie plus profonde & plus fûre dans le cœur des fujets.

Ainfi le choix des Pontifes eft de tous les devoirs du Prince, le plus important. La fcience, la piété, font les premiers titres pour parvenir à l'Epifcopat; la Nobleffe ne vient qu'après, parce qu'elle n'ajoute qu'au poids de l'autorité. Certaines perfonnes ont prétendu mal-à-propos que les Evêques doivent être des Agens temporels, en même tems que Miniftres fpirituels; mais le véritable intérêt de l'Etat ne le fouffre point. Plus les Miniftres font mêlés ensemble, plus ils fe troublent, plus ils font réunis, plus l'attention eft partagée. D'ailleurs, la rivalité eft la premiere gardienne de l'ordre. La politique de Céfar, qui joignit le facerdoce à l'Empire, n'étoit que d'un ambitieux aveuglé par fa profpérité. Ce qu'il gagnoit

du côté de la dignité, & il le perdoit du côté de la confiance. Il rabaiffoit le caractere facré par l'appareil Impérial. Il plaçoit mal-adroitement le fceau de la Divinité dans les mains de l'Etat. Si l'accord fait la force, la réunion produit la confufion. Les Egyptiens féparoient les Prêtres du refte de la fociété. Ils firent bien d'abord, par un fentiment indifcret de faveur, ou par une fauffe politique, des Prêtres-Rois, mais jamais des Rois-Prêtres. Chez les Juifs, ils compofoient une tribu à part; cette politique devroit être celle de tous les Royaumes.

Comme il eft du devoir des Fontifes de veiller auprès du Souverain celui-ci doit à fon tour veiller fur le Clergé de fon Royaume, mais principalement fur les pafteurs des villes, entr'autres fur ceux de la campagne. Il n'eft point d'homme qui ne leur doive des hommages, à 1aifon des bienfaits qu'ils en reçoivent. L'impiété elle-même renverferoit tout, qu'elle conferveroit ces chefs de paroiffe. Par nos inftitutions, ils ont une influence très-fenfible fur le bien général; toute l'autorité que le cœur peut céder, les peuples la leur confient. Le Prince ne gere l'Etat que par des caufes fecondes, & les plus, efficaces, font les bouches facrées, d'où partent les exhortations. La paix des cités & des hameaux, eft le fruit de leur zele; ils réconcilient les peres avec les enfans, les époux, les amis divifés. Par leurs difcours, les diffipateurs font ramenés à l'économie, les avares à la générofité, les cœurs infenfibles à la piété, les ames corrompues, aux bonnes mœurs. Ils font adoucir pour les enfans le joug trop févere des peres, rendre à ceux-ci les devoirs que des fils dénaturés leur refufent. Le pauvre trouve dans leur charité un für appui; dans ce tribunal formidable, élevé à la juftice de Dieu dans le temple, un confolateur charitable. L'œil du Magiftrat s'arrête fur les fronts; celui du Miniftre perce jufques dans les confciences. Que de crimes enfevelis dans cette nuit profonde où font enveloppés le Prêtre & l'homme qui s'accufe!: Ici le repentir garantit la foi des engagemens; la pudeur fans expérience trouve des confeils; un cœur agité, un ancre ferme qui le préferve pendant les orages. Ainfi les Pafteurs font les affociés naturels du pouvoir, les co-miniftres des Rois, & telle eft leur glorieufe prérogative, qu'étrangers aux maux qui fe commettent dans les Empires, il n'y a prefque pas de bien qui s'y opere, fi leur zele ne l'a dicté..

Toute la force de l'Etat eft, pour ainfi dire, entre les mains du curé de la campagne. Dans les villes, le miniftere facré n'a point la même vertu. Peut-être feroit-il à propos qu'au village, le jugement des curés eut, en plufieurs cas, force de loi. Que pourroit-on craindre de leur autorité? Ils ont au-deffus d'eux tant de pouvoirs. Les habitans des campagnes fe défient moins du Pafteur que du Seigneur, dont les intérêts s'accordent trop rarement avec leurs demandes, & dont la richeffe leur fait envie. D'ailleurs on cede plus volontiers à celui qui commande au dedans. Ce fentiment. eft dans la nature, & la politique doit l'entretenir,

temple des loix. Celui-là', deftiné au commerce, reçoit des exemples de droiture & de bonne-foi. Chaque éleve formé au talent qui lui eft propre, devient à fa maniere l'appui & l'ornement de l'Etat.

Depuis quelque temps il s'eft élevé une queftion délicate & importante: favoir s'il valoit mieux remettre l'éducation des colleges entre les mains des Eccléfiaftiques que de la confier aux Laïques. Le premier fentiment femble préférable au fecond. Il eft naturel, fi l'ordre public dépend des mœurs, de choifir pour maîtres ceux dont une conduite réguliere eft le premier devoir, & compofe effentiellement le caractere. La décence impose aux prêtres un joug difficile à brifer; les féculiers n'ont pas le même frein. D'ailleurs, l'éducation fe changeroit bientôt en inftitution privée. L'amour paternel feroit retarder ou avancer aux maîtres les leçons des éleves, fuivant les progrès de leurs propres enfans.

Au refte l'éducation, telle qu'elle eft dans les colleges, n'a pas moins besoin de réforme que celle des couvens de filles. La jeune nobleffe fu.tout ne fauroit y puifer les inftructions proportionnées au rang & à la place que chaque éleve doit tenir dans l'état. Un jeune Seigneur quitte pour l'ordinaire le college, fans avoir appris autre chofe que quelques mots de Latin, & n'ayant qu'une teinture légere des autres fciences. Elancé dans le monde, il ne fonge plus à acquérir des perfections; il vole à la cour afficher des vices plutôt que des vertus; cependant après le Monarque, les grands font l'objet de l'émulation générale. Si leurs vertus, ou leurs vices n'agiffent pas d'abord fur le peuple; copiés de proche en proche, leurs exemples arrivent enfin jufqu'au dernier rang. Ils font le canal par où découlent les graces; la foule avide ne les reçoit que de leurs mains. Chacun des cliens plie fon cœur au caractere de celui qui peut l'enrichir ou l'élever. Ainfi l'homme de la Cour tient en fon pouvoir le vice & la vertu; ses faveurs font une femence féconde d'où naît à fon gré le bien ou le mal.

Concluons de-là, que fi nos jeunes Seigneurs étoient mieux inftruits dans le college de leurs devoirs, la Cour renfermeroit un plus grand nombre d'hommes exemplaires, défintéreffés, incorruptibles. Le mérite alors acquerroit un nouveau crédit; la vertu répandroit plus d'éclat; la vérité arriveroit par mille canaux jufqu'au trône. Les grands feroient rejaillir leurs vertus fur tous les ordres. Celui que la piété animeroit, s'intérefferoit à l'avancement des mœurs, l'homme fenfible aux opprimés. Celui à qui le ciel auroit départi des talens, encourageroit le mérite délaiffé, le défigneroit au Prince pour lui obtenir une jufte récompenfe; mais malheureusement le contraire eft la peinture trop fidelle des Cours; & ces abus de différens genres proviennent uniquement de la mauvaise éducation que reçoivent nos Seigneurs. Placé à la fource du pouvoir, l'homme de la Cour a la facilité de commettre toutes fortes d'injuftices avec impunité. Il lui eft aifé de prévenir les effets de l'autorité, en écartant du trône tous ceux que leurs plaintes im

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portunes lui rendont fufpects. Les loix fe taifent devant le crédit; le crime s'enhardit par l'impunité; la délicateffe des fentimens, réduite au fimple point d'honneur, n'en impofe point dans le refte de la conduite. Ce qui devroit flétrir, eft une prérogative du rang & de la condition. Quelques légeres bienséances obfervées femblent difpenfer des autres devoirs. L'abondance de toutes les commodités rend infenfible; l'appât des dignités, ambitieux; la difficulté de les obtenir, délateur injufte; la profpérité des rivaux, envieux & calomniateur; l'habitude du fecret, diffimulé; celle de l'intrigue, rufé & fourbe; l'atrocité des perfidies, foupçonneux & cruel; l'oifiveté, corrupteur; la continuité des fêtes, diffipé & frivole. Ainfi tous les vices croiffent autour du courtifan par la nature même du fol qu'il habite, lui préfentent des dangers toujours renaiffans, dont la plus ferme fageffe a peine à fe garantir.

Il n'en eft pas de même dans les villes. Le peuple y eft retenu par la crainte; le citoyen d'une claffe plus élevée, par la modération de fes propres défirs, par l'habitude & par la néceffité d'obéir aux loix; le miniftre des autels & le magiftrat font avertis par l'exercice de leurs fonctions; le guerrier fe repréfente l'opinion, plus forte que la loi. C'eft là que les. vertus des grands, prennent un libre cours; c'eft là qu'affranchis du joug de la crainte, rendus à leur grandeur naturelle, ils fe montrent à découvert. C'est là que leur gloire fubjugue malgré l'envie, leurs vertus, malgré les efforts de la malignité. En un mot on peut dire, qu'un grand vertueux eft, dans la capitale ou dans les autres villes, comme l'apôtre naturel du bien. A fa vue le crime fent des remords, le vice rougit & rentre en lui-même. Les arts à fes pieds, attendent le fignal pour faire fortir de la toile & du marbre le vice ou la vertu. Les lettres marchant à leur fuite, vont leur payer un tribut plus flatteur.

Mais de tous les abus qui dérangent parmi nous l'ordre de la fociété, if en eft un auquel il feroit bien effentiel, qu'on pût apporter un remede. C'eft que les jeunes gens des deux fexes font rapprochés l'un de l'autre de trop bonne heure. Ces caracteres tendres, ces efprits délicats font ufés avant que d'être formés. Le fubordination manque aux enfans qui naiffent de ces tiges; & les liens du mariage fe relâchent pour avoir été ferrés avant le temps.

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Un autre abus non moins dangereux peut-être, & d'où naît la plus grande partie des dérangemens qu'on éprouve dans la fociété, c'eft le goût dominant pour le théâtre. Nos jeunes gens y courent en foule; nos Seigneurs y étalent avec fafte leur déplorable oifiveté. Enflammés par les récits les plus féduifans; leurs cœurs amollis par les danfes les plus lafcives, dans lesquelles la volupté a furpaffé tout ce qu'avoit inventé la corruption de l'ancienne Grece, ils fortent embrafés des défirs les plus violens, & le fang des héros va fe perdre dans les lieux de la proftitution. Le poifon eft fur-tout fans remede pour les jeunes perfonnes du fexe qui

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