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CHAPITRE PREMIER

COSTUME

L'historique du costume en France pendant la Renaissance (1) est assez compliqué à faire. Certaines de ses parties. ont subi des transformations si rapides et si éphémères que le spirituel conteur du Fail fait remarquer dans ses Discours d'Eutrapel (ch. 1) que: « nos neveus et successeurs auroient bien à faire d'un Dictionnaire à cent ans d'icy, pour savoir que

c'est >>.

Rabelais traite abondamment du sujet à l'occasion de l'habillement de Gargantua (1. I, ch. vIII), où la description est volontairement teintée d'archaïsme; et surtout à propos du costume des Thélémites (1. I, ch. LVI), pages admirables d'exactitude qu'il suffit de transcrire et de sobrement commenter (comme l'a fait Jules Quicherat). Mais on trouve en outre, dans son œuvre, des détails épars infiniment nombreux, tous également précieux pour l'historien du costume en France dans la première moitié du xvi siècle.

Nous allons étudier ces renseignements multiples à la fois sous le rapport social et linguistique. Les auteurs contemporains

(1) Nous ne possédons pas de travail spécial sur ce sujet. Dans l'Histoire du costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle (1877), de Jules Quicherat, œuvre de vulgarisation plutôt que d'erudition, les pages consacrées à la Renaissance sont intéressantes, mais par trop sommaires et incomplètes.

Les tomes III et IV du Dictionnaire raisonné du mobilier français (1872) de Viollet-le-Duc, qui traitent des « vêtements », sont superficiels et sujets à caution.

La volumineuse publication de M. A. Racinet, Le Costume historique (1878), comprend un Glossaire (t. I, p. 167 à 246), qui condense les renseignements tirés de l'ouvrage de Viollet-le-Duc. Le tome IV est accompagné de planches et notices, 201 à 300, concernant surtout les xve et xvIe siècles.

En somme, peu de chose qui vaille, et le livre de Quicherat reste encore le meilleur traité d'ensemble sur la matière.

comme du Fail, Henri Estienne et surtout Brantôme fourniront des informations complémentaires.

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CHAUSSES. - Une des révolutions les plus importantes dans l'histoire du costume est le remplacement, pendant la seconde moitié du xv siècle, des anciennes braies par les chausses, pantalons collants auxquels, au moyen d'aiguillettes, était attaché le pourpoint. Vers la même époque, les chausses complètes se différencient en haut-de-chausses et en bas-de-chausses. Le premier est un caleçon court muni d'une braguette, l'un et l'autre prenant de l'ampleur principalement sous François Ier; le second, enveloppant la jambe et le pied, a donné naissance aux bas modernes.

Voici les détails que nous en donne Rabelais à propos de l'habillement des Thélémites:

Les hommes estoient habillez à leur mode: chausses pour le bas d'estamet, ou serge drapée d'escarlatte, de migraine, blanc ou noir. Les hault de velours d'icelles couleurs, ou bien près approchantes : brodées et deschicquetées selon leur invention.

Les dames portoient chausses d'escarlatte, ou de migraine, et passait les dictes chausses le genoul au dessus par troys doigtz, justement. Et ceste liziere estoit de quelques belles broderies et descoupures (1. I, ch. LVI).

La diversité de ces chausses était infinie au xvi° siècle. Rabelais en mentionne quelques variétés :

Chausses à la marinière, larges et flottantes comme la culotte des zouaves, portées par les marins et les lansquenets (1. II, ch. xxx1): « Habilla son dict Roy... des belles chausses à la mariniere... »

Chausses à la martingale (1. I, ch. xx), ou culottes provençales munies d'une sorte de bricole qui enveloppait l'entre-jambes et qu'un bouton retenait devant et derrière (1).

Chausses à queue de merlus, en queue de morue («< de peur d'eschauffer les reins, » 1. I, ch. xx): «... les chausses du pau

(1) Brantôme en parle également (t. II, p 404): « Ce brave chevalier d'Imbercourt portoit ordinairement des chausses à la martingalle ou autrement à pont levis, ainsy que j'en ay veu autresfois porter aux soldats espagnols ».

vre Lymosin estoient faictes à queue de merluz, et non à pleins fons » (1. II, ch. vi) (1).

Chausses à la Souice, amples et commodes comme les portaient les gardes suisses (1. I, ch. xx): «..... chausses de quelle façon duiroient mieulx... à la Souice pour en outre tenir chaulde la bedondaine ». Un document de 1541 (Gay, v° costume, p. 446) en précise ainsi les dimensions : « Douze aulnes trois quarts velloux jaulne pour faire une quarte partie de douze pourpoints et douze haulx de chausses pour les douze Souysses de la garde du Roy ». Du Fail, dans le xxvi des Discours d'Eutrapel, parle, lui aussi, des « grandes et amples chausses à la Suisse ».

Les chausses d'apparat étaient faites d'écarlate ou de migraine et présentaient de nombreuses déchiquetures ou taillades, agrémentées de bordures en cordonnet, ganse, canetille, etc. Rabelais décrit ainsi cette partie du costume de Gargantua (1. 1, ch. vIII): « Pour ses chausses feurent levez unze cens cinq aulnes, et ung tiers d'estamet blanc, et feurent deschicquetez en forme de colonnes striées, et crenelées par le derriere, affin de n'eschaufer les reins. Et flocquoit par dedans la deschicqueture de damas bleu, tant que besoing estoit >>.

Et au Ve livre, en parlant de l'embonpoint des habitants du pays d'Outre, il ajoute (ch. xvII) : « Ils deschiquetoient leur peau, pour y faire bouffer la graisse, ne plus ne moins que les sallebrenaux de ma patrie descouppent le haut de leurs chausses pour y faire bouffer le taffetas ».

Deux pièces accessoires des chausses ont laissé des traces dans la langue, alors que la mode elle-même des chausses avait depuis longtemps disparu:

L'aiguillette, cordon ou tresse.ferrée par les deux bouts pour attacher les chausses au pourpoint ou la braguette aux chausses: « Pour son pourpoinct furent levées huyt cens treize aulnes de satin blanc, et pour les agueillettes, quinze cens neuf peaulx et demye de chiens. Lors commença le monde attacher

(1) Du Fail, dans ses Propos rustiques, ch. x, décrit ainsi le costume de jadis « Les Vindellois, neantmoins que audacieux et glorieux, toutesfois ont le bruit d'avoir amené beaucoup de coustumes en ce pays, unes bonnes, autres mauvaises: mesmes sont les premiers que j'ay veu, qui ont porté bonnets à cropiere, chausses la à martingale et à queue de merlus, soulier à poulaine, et chapeaux albanesqs ».

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les chausses au pourpoinct et non le pourpoinct aux chausses» (l. 1, ch. viii).

De là courir l'aiguilette, courir le mâle, être débauchée, expression proverbiale dont Rabelais nous offre le premier témoignage (1. III, ch. xxx11).

La braguette, pendant méridional de brayette, partie antérieure et saillante des chausses, était souvent d'un aspect ridicule et inconvenant. Voici les passages de Rabelais qui nous renseignent à cet égard. Le premier concerne l'habillement de Gargantua; le deuxième, celui de Panurge :

Pour la braguette, furent levées seize aulnes un quartier d'icelluy mesmes drap, et fut la forme d'icelle comme d'un arc boutant, bien estachée joyeusement à deux belles boucles d'or, que prenoient deux crochetz d'esmail, en un chascun desquelz estoit enchassée une grosse esmeraugde de la grosseur d'une pomme d'orange. L'exiture de la braguette estoit à la longueur d'une canne, deschicquetée comme les chausses, avecques le damas bleu flottant comme devant. Mais voyans la belle brodure de canetille, et les plaisans entrelatz d'orfeverie garniz de fins diamans, fins rubitz, fines turquoyses, fines esmeraugdes et unions Persicques, vous l'eussiez comparée à une belle corne d'abondance, telle que voyez és antiquailles (l. I, ch. vi).

Or notez que Panurge avoit mis au bout de sa longue braguette un beau floc de soye rouge, blanche, verte et bleue, et dedans avoit mis une belle pomme d'orange (1. 11, ch. xvIII) (1).

Les fashionables de l'époque, les bragards, laissaient sortir leur chemise entre le pourpoint et le haut-de-chausses (1. IV, ch. xvi): «..... Quelques mignons braguars et mieux en point... >>

VÊTEMENTS DU CORPS. Passons maintenant aux autres parties du costume. Rabelais fait mention de deux variétés de capes ou manteaux :

(1) Un érudit du xvr° siècle, en décrivant vers 1570 la mode extravagante des braguettes, se fait presque l'écho de Rabelais : « Les chausses hautes estoyent si jointes qu'il n'y avoit moyen d'y faire des pochettes. Mais au lieu ils portoyent une ample et grosse brayette qui avoit deux aisles aux deux costez qu'ils attachoient avec des esguillettes, une de chascun costé, et en ce grand espace qui estoit entre les esguillettes, la chemise et la brayette, ils mettoient leur mouchoir, une pomme, une orange, ou autres fruicts, leur bourse... Et n'estoit pas incivil, estant à ta', de presenter les fruicts conservés quelque temps en ceste brayette comme aucuns presentent des fruicts pochetés ». Louys Guyon, Diverses Leçons, 1603, 1. II, ch. vi.

Cape à l'espagnole, manteau sans collet et qui se drapait autour du buste (l. 1, Prol.). Il est appelé par les Espagnols capa de muestro, manteau de Valence.

Cape de Biart, manteau à capuchon de grosse laine tel que le portaient les gentilshommes gascons (1. IV, ch. xxx), dit cape de Bearn dans la préface de l'Heptameron. Robert Estienne (1539) le définit « Cappe de Biar (1), ung manteau qui a un cocluchon » et le rend par bardocucullus (2). Nicot en parle longuement: «Cape de Bearn est un habit de gros drap tissu en coytis ou en cordeliere, faite de laine grossiere blanche, à capuchon, sans manches et longue presque à my jambes, que les viles personnes, gens de villages portent comme en Bearn, dont la dicte appellation est prinse, et en Gascogne. Bardiacus cucullus ».

Plusieurs termes de cette catégorie remontent à des époques et à des sources différentes :

1° L'ancienne langue avait transmis au xvi° siècle les appellations:

Cotte hardie, robe serrée à la taille (1. IV, ch. xv), à jupe flottante, complètement affranchie du surcot. La graphie rabelaisienne, déjà ancienne, est une transcription savante pour cottardie (on trouve cotardée vers 1240), d'où l'équivalent bas-latin tunica audax, « probablement par suite d'une méprise sur l'étymologie du mot (3) ».

Courtibaut, dalmatique (l. I, ch. x11), tunique portée jadis aussi par les rois : « Ad faciendum unam tunicam et unum courteby pro rege de panno viridi longo », lit-on, en 1347, dans les Comptes de la garde-robe d'Edouard III (Gay) (4).

Gippon, sorte de casaque à manches et à basques, vêtement

(1) La forme Biard, pour Béarn, se lit également chez Brantôme (t. vi, p. 235) : « sortis de Basque ou de Biard ».

...

(2) Le bardocucullus était un manteau gaulois à capuchon, dont l'usage s'est conservé de nos jours dans le costume des habitants du Béarn et des Landes (voy. Racinet, t. I, p. xxxш). Rabelais en a tiré le dérivé bardocucullé, encapuchonné (1. V, ch. 11).

(3) Voy. Quicherat, Le Costume, p. 195.

(4) Robert Estienne ne connaît que ce sens ancien (1539): « Courtibau, vestis regia, paludamentum » (encore dans Nicot), mais Monet (1635) ajoute: « Tunique de sous-diacre et diacre officiant à la messe »>, et Borel remarque à son tour: « Courtibaut, sorte de tunique ou dalmatique ancienne. On l'appelle encore de ce nom en Berry, dans la Saintonge et dans la Touraine ».

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