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La forme moderne est dans Mathurin Regnier (Sat. xiv):

Mais après, en cherchant, avoir autant couru

Qu'aux avents de Noël fait le moine bourru.

Rabelais fait mention, à propos des Gastrolâtres, d'un autre monstre de ce genre, le lyonnais Maschecroutte, qu'il compare à l'italique Manducus, représenté avec une bouche énorme, ouverte, et des dents qu'il faisait claquer avec bruit (1).

Frère Antoine du Saix (2), Savoyard, auteur de l'Esperon de discipline (3), s'élève contre l'habitude des mères qui, pour rendre docile l'enfant, lui font croire:

Ou qu'il sera mangé des Loups garoux,

Ou qu'il y a une grand Maschecrotte,

Qui les petiz enfans bat, fesse et frotte... (4).

Ce croquemitaine est encore vivace dans le Forez, comme mannequin de carnaval.

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Les récits où l'élément moral l'emporte étaient connus au Moyen Age sous le nom d'Exempla, d'où l'expression alléguée par Rabelais : « ... les Exemples de sainct Nicolas ». Les prédicateurs du temps en sont largement pourvus et les recueils qu'on en a publiés sont devenus une source importante de la littérature narrative (fables, historiettes, nouvelles).

matias (1679) du sieur Deroziers Beaulieu (acte V, sc. v): « Ha, poltron retourné, gribouri d'allegresse» (Ancien Théâtre, t. IX, p. 501). (1) Voici la description qu'il en donne :

<< A Lion au carneval on l'appelle Maschecroutte: ils [les Romains] la nommoient Manduce. C'estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, et terrible aux petitz enfans: ayant les ceilz plus grands que le ventre, et la teste plus grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, et horrificques maschoueres bien endentellées tant au dessus comme au dessoubs les quelles, avecques l'engin d'une petite chorde cachée dedans le baston doré, l'on faisoit l'une contre l'aultre terrificquement clicquetter, comme à Metz l'on faict du Dragon de sainct Clemens » (1. IV, ch. LIX).

(2) C'était un des amis de Rabelais, qui l'appelle (1. I, ch. xvII) « commandeur jambonnier de sainct Antoine », ce qu'il était en réalité.

(3) Paru en 1532. Voy., sur ce curieux ouvrage, J. Plattard, dans Rev. Et. Rab., t. IX, p. 221 et suiv.

(4) L'Esperon de discipline, 1532, 1. II, fol. D 1j ro.

Les plus anciens recueils de ces Exempla sont: ceux de Jacques de Vitry, cardinal français, mort à Rome vers 1240 (1); ceux d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIe siècle (2), et ceux de Nicolas Bozon, franciscain qui vivait en Angleterre au commencement du xive siècle (3). On y retrouve plusieurs des historiettes citées par Rabelais.

« Comment les femmes ordinairement appetent choses defendues », titre du ch. xxxiv du Tiers livre, où est rappelée l'anecdote de la curiosité des Religieuses de Fontevrault - et qui reparaît également dans le xxxIII chapitre des Contes d'Eutrapel de du Fail - figure tout d'abord dans Jacques de Vitry (4), Etienne de Bourbon, etc.

De même la farce du Pot au lait, à laquelle notre auteur fait allusion au XXXIIIe chapitre de Gargantua:

La present estoit un vieux gentilhomme esprouvé en divers hazars, et vray routier de guerre, nommé Echephron, lequel ouyant ces propous (5), dist: J'ay grand peur que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au laict, duquel un cordouannier se faisoit riche par ruserie: puis, le pot cassé, n'eut de quoi disner (I. I, ch. xxxIII).

Ce récit, dont tous les détails sont déjà consignés dans les Exempla de Jacques de Vitry et des autres prédicateurs, est le sujet de la x nouvelle des Joyeux Devis de Des Périers, intitulée Le Pot au lait (6), et plus tard de la fable si connue de La Fontaine (7): « La laitière et le pot au lait ».

Les Souhaits ridicules ou extravagants entraînent la ruine, tandis que les souhaits médiocres sont réalisés. C'est là le thème du conte allégué dans le nouveau Prologue du Quart livre : « Le bûcheron et les trois coignées » (8).

(1) Exempls of Jacques de Vitry, éd. Crane (t. XXVI de la Folklore Society).

(2) Estienne de Bourbon, Anecdotes, histoires, légendes et apologues, éd. Lecoy de la Marche, Paris, 1887.

(3) Contes moralisés de Nicole Bozon, Paris, 1889 (édition des An ciens Textes).

(4) Voy., dans l'édition Crane, la note bibliographique de la p. 139. (5) Il s'agit des projets extravagants de Picrochole pour conquérir l'univers.

(6) Jacques de Vitry en donne la plus ancienne version, éd. Crane, p. 154-155.

(7) Voy. l'édition Regnier, t. II, p. 145, des Euvres de La Fontaine. (8) L'auteur prétend en avoir emprunté le sujet à Esope: « A propos

Après avoir raconté l'histoire d'« un paouvre homme, villageois natif de Gravot, nommé Couillatris, abateur et fendeur de boys », il en expose ainsi la moralité : « Soubhaitez doncques. mediocrité, elle vous adviendra; et encores mieulx, deument ce pendant labourans et travaillans ».

C'est le thème déjà traité par les Fabliaux: « Les quatre souhaits saint Martin », qui a joui d'une si grande popularité au Moyen Age (1).

Au xvIe siècle, ce même sujet revient dans un conte qu'on lit dans la Nouvelle fabrique des excellents traicts de verité, par Philippe d'Alcrippe, conte ainsi intitulé: « Des trois jeunes garçons, freres du pays de Caux, qui dancerent avec les Fées (2) ».

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Les divers noms, individuels ou collectifs, qu'ont porté au xvIe siècle les récits populaires Contes de la Cigogne, Contes de ma Mère l'Oye, Contes de Loup

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fait à des contes d'animaux, fables ou apologues.

remontent en

On a vu également, dans l'énumération des Propos rustiques de du Fail, plusieurs titres se rapportant au Renard et aux autres animaux du cycle du Roman de Renard, constitué par des apports successifs en grande partie de source orale (3).

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La formule initiale « Du temps où les bêtes parlaient >> dérive, elle aussi, des contes d'animaux, des récits ésopiques, comme l'avait déjà reconnu Henri Estienne (4). Celui-ci l'attribuait avec raison aux Fables d'Esope, « lesquelles se trouvoyent dès lors traduites en nostre langue », et « que nos predecesseurs lisoyent fort curieusement (5) ». Le Moyen Age et la Renaissance attribuaient à Esope tous les apologues connus: Esopet désignait tout recueil de fables.

de soubhaictz mediocres en matiere de coingnée (advisez quand sera temps de boire) je vous raconteray ce qu'est inscript parmy les Apologues du saige Esope ».

(1) Recueil de Fabliaux, éd. Montaiglon, t. V, p. 133. Cf. J. Bédier, Les Fabliaux p. 177 et suiv.

(2) Réimprimé par Jannet en 1853, p. 152 à 155.

(3) Voy. L. Sudre, Les Sources du Roman de Renard, Paris, 1893, et tout récemment Lucien Folet, Le Roman de Renard, Paris, 1912.

(4) Cf. ci-dessus, p. 215.

(5) Précellence, éd. Huguet, p. 252.

Du Fail, dans le vir chapitre des Propos rustiques, parlant du bonhomme Thenot du Coin, lui donne entre autres occupations celle d'« attiser son feu, faire cuire des naveaux aux cendres, estudiant és vieilles Fables d'Esope... ».

Rabelais cite souvent l'ancienne version de l'Esopet (1). Il en a tiré nombre de fables. Il lui doit l'Apologue des Membres et de l'Estomac que cite Panurge, dans sa déclamation sur les débiteurs et emprunteurs: «Somme, en ce monde desrayé, rien ne debvant, rien de prestant, rien ne empruntant, vous voirez une conspiration plus pernicieuse, que n'a figuré Æsope en son Apologue » (1. III, ch. 1).

Il lui est aussi redevable de l'Apologue du Roussin et de l'Ane, que Panurge raconte à Maître Editue (1. V, ch. vii), excellent exemple, par son ensemble et ses détails, d'un conte d'animaux, dont le sujet est à peu près celui de la fable de La Fontaine «Le Rat de ville et le Rat des champs ».

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Les Fabliaux du Moyen Age appartiennent au genre facétieux. Rabelais en a connu quelques-uns, par exemple le fabliau du Pays de Cocagne, auquel il a emprunté ce détail caractéristique :

Le païs a a nom Coquaigne,
Qui plus i dort, plus i gaaigne :
Cil qui dort jusqu'à midi,

Gaaigne cinc sols et demi...

(Ed. Méon, t. IV, p. 175).

qu'il a inséré dans son conte de Gorgias (1. II, ch. xxx11). Pantagruel, pour préserver son armée d'une petite pluie, la couvre de sa langue (2). Alcofribas, qui monte dessus, entre dans la

(1) « Et de ceste race [des bossus] issit Esopet, duquel vous avez les beaux faicts et dicts par escrits » (1. II, ch. 1), Et ailleurs : « En ce matin j'ai trouvé un bonhomme qui, en un bissac, tel comme celui d'Esopet, portait deux petites fillettes... » (1. II, ca. xv).

(2) Trait également traditionnel, suivant lequel le chef d'une armée protège ses fidèles contre la pluie en les couvrant de sa langue. Cf. Rev. Et. Rab., t. IV, p. 179, et Passion de Sémur (éd. Roy):

3324. Jobridam, le roy d'Esnaye,

Qu'il mectoit bien soulx sa narrie,

Quant il pleut, cent hommes en l'ombre.

bouche de Pantagruel. Il y découvre tout un monde, s'y entretient avec un planteur de choux et y gagne quelque peu d'argent: « Sçavez vous comment? A dormir, car l'on loue les gens à journée pour dormir, et gaignent cinq et six solz par jour, mais ceulx qui ronflent bien fort, gaignent bien sept solz et demy ».

Le long épisode de Quaresme prenant (1. IV, ch. xxix à XL11) contient plus d'un souvenir du fabliau « Bataille de Karesme et de Charnage » du XIIe siècle. Dans cette longue satire, qui prend souvent l'allure du conte populaire, Rabelais ne se borne pas à tracer le portrait du roi de l'Ile de Tapinois; il en fait ressortir les multiples aspects, physiques et moraux. Il passe ensuite à l'lle farouche, « anticque manoir des Andouilles », ennemies déclarées de Carême-prenant, où l'on trouve encore, çà et là, des traits traditionnels.

C'est toujours au genre facétieux qu'appartient chez Rabelais la dispute de Panurge et de l'Anglais : « Comment Panurge feit quinaud l'Anglois qui arguoit par signes » (1. II, ch. xvi). Ce thème - argumentation par gestes équivoques des plus répandus. On le trouve dans tous les pays, en Orient comme en Occident.

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est un

En Allemagne, par exemple, c'est la controverse de Rosenblüt avec un juif (1) et, dans l'Histoire d'Ulespiegel, la discussion a lieu entre ce personnage et le bouffon du roi de Pologne. Les personnages seuls varient: l'action essentielle est partout la même.

Rabelais, ici comme ailleurs, n'a fait qu'emprunter à une tradition orale un sujet qu'il a dramatisé à sa manière.

Une autre divination par signes est celle des cloches de Varennes, dont Panurge tire un oracle favorable (1. III, ch. xxvII):

Escoute (dist Frere Jan) l'oracle des cloches de Varenes. Que disent elles? Je les entends (respondit Panurge). Leur son est, par ma soif, plus fatidicque que des chauldrons de Jupiter en Dodone. Escoute: Marie toy, marie toy marie, marie. Si tu te marie, marie, marie, tresbien t'en trouveras, veras, veras. Marie, marie.

Mais Panurge entend à nouveau ces mêmes cloches et cette fois l'augure est tout différent (1. III, ch. xxvIII):

(1) Voy. Reinhold Köhler, dans Germania, t. IV, p. 482, et Toldo, Rev. Et. Rab., t. II, p. 40 à 43.

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