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à peu près complet, à l'occasion de l'effectif de l'artillerie de Picrochole (1. I, ch. xxvi) : « A l'artillerie fut commis le grand escuyer Toucquedillon, en laquelle feurent contées neuf cens quatorze grosses pieces de bronze, en canons, doubles canons, baselicz, serpentines, couleuvrines, bombardes, faulcons, passevolans, spiroles, et aultres pieces >>.

Cette énumération répond exactement à celle du Tableau de l'artillerie françoise de 1540 (mentionné dans Gay, p. 77): « Grande basilique, double canon, canon serpentine, grande couleuvrine, faucon, fauconneau ». Ce dénombrement est accompagné du poids des canons et des projectiles.

C'est à Messere Gaster que Rabelais attribue l'invention des pièces à feu (1. IV, ch. LXI): « Il avoit inventé recentement Canons, Serpentines, Couleuvrines, Bombardes, Basilics, jectans boulletz de fer, de plomb, de bronze, pezans plus que grosses enclumes, moyennant une composition de pouldre horrificque, de la quelle Nature mesmes s'est esbahie, et s'est confessée vaincue par art ».

Arrêtons-nous aux principaux de ces termes :

Basilic, pièce de fort calibre, dont le nom est ainsi expliqué par Claude Fauchet (fol. 530): « Lequel engin, pour le mal qu'il faisoit (pire que le venin des serpens), fut nommé serpentine et basilic, les plus longs et dommageables, et par autres noms diaboliques ».

Bombarde, canon à bossages ou cercles, en usage du xiv à la fin du xv siècle.

Canon, bouche à feu dont Rabelais mentionne deux variétés: Canon à fusée, appelé aussi canon à main, très court et adapté au bout d'un manche de bois ou d'une tige de fer, comme une fusée au bout de sa baguette.

Canon pevier (1. II, ch. 11), leçon fautive pour perrier, canon lançant des boulets de pierre, projectiles de la grosse artillerie, appelés anciennement bedaines (1. IV, ch. XL).

Espingarderie, groupe d'espingardes, dont parle Claude Fauchet (fol. 529): « Espingardes et instruments volans comme fondefles ou frondes ».

Serpentine, pièce plus allongée et plus faible, tirant des boulets de plomb.

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Les noms des milices en usage au xvi° siècle remontent également au passé. C'étaient, en premier lieu, les Suisses et les Lansquenets qui formaient l'infanterie (l. I, ch. xxxIII).

Les Suisses furent au service de la France pendant près de quatre siècles (1444 à 1830). Louis XI en forma, en 1481, un corps d'élite pour remplacer l'infanterie des Francs archers. Charles VIII s'en servit dans les guerres d'Italie; François 1er, après les avoir défaits à Marignan, les reprit à sa solde en 1522 (1). Ils usaient de la hallebarde à longue hampe et maniaient avec dextérité la pique de dix-huit pieds de bois et l'épée à deux mains.

Les Lansquenets, mercenaires allemands, apparurent en France sous Charles VIII. C'étaient des gens venus du plat pays (d'où leur nom), en opposition aux Suisses qui étaient montagnards. Les Lansquenets avaient adopté la même organisation que les Suisses. A la bataille de Marignan, fatale aux Suisses, François Ier eut à son service jusqu'à 26000 Lansquenets. On leur est redevable, aux uns et aux autres, de l'introduction de la hallebarde et de la haquebutte ainsi que du hallecret, les deux premiers antérieurs à Rabelais, le dernier du début du xvi° siècle (voy. Gay).

Le hallecret (1. 1, ch. 1x) était un léger corselet, couvert de lames en fer battu, qui serrait le buste des haquebuttiers. Les variantes du mot, halcriq (1536) et halkrik (1540) tous deux dans l'Historical Dictionary de Murray renvoient à l'allemand Halskragen, col du cou.

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La cavalerie légère, formée de Grecs et d'Albanais, portait le nom d'Estradiots (1. IV, ch. xxxix), du vénitien stradiotto, soldat. Louis XII employa ces troupes dans son expédition d'Italie. Voici la description qu'en fait Commynes: « Ils estoient tous Grecs, venus des places que les Venitiens ont en Morée et devers Duras (Durazzo), vestus à pied et à cheval comme les Turcs, sauf la teste où ils ne portent ceste toile qu'on appelle toliban » (2). Armés à la légère, ils portaient un yatagan que notre historien

(1) Voy., pour plus de détails, E. Fieffé, Histoire des troupes étrangères au service de la France, Paris, 1853, deux vol.

(2) Edition Maindrot, t. I, p. 257.

désigne par cimeterre (1). Brantôme en parle à son tour (t. II, p. 410): « On s'aydoit des dicts Albanois, qui ont porté à nous la forme de la cavallerie legere et la methode de faire la guerre comme eux. Les Venitiens appelloient les leurs estradiots... Les Espagnolz appelloient les leurs genetaires ».

Rabelais ne fait pas mention des Ecossais, compagnie d'élite de la maison militaire des rois de France, instituée par Charles V en 1445. Il ignore encore les Reitres, corps des cavaliers allemands au service de la France dans la seconde moitié du xvi° siècle (sous Henri II), en 1557.

Toutes ces troupes étaient faites de mercenaires étrangers, mais elles ont été précédées par les corps indigènes des :

Francs-archers, milice villageoise créée sous Charles VII par lettres royaulx du 28 avril 1448 (supprimée en 1488, rétablie en 1521). Ce corps était formé par les paroisses, chacune fournissant un homme armé qui était affranchi de tout subside (d'où le nom). Ils rendirent d'abord des services, mais finirent par dégénérer et leur lâcheté passa en proverbe (2).

Francs-taupins, nom ironique donné par les nobles aux Francs-archers (proprement mineurs). La « Chanson des Francs archiers et des Adventuriers », de 1521, attribue ce sobriquet aux adventuriers ou soldats volontaires de l'époque :

Mauvais adventuriers,

Vous estes bien mutins

De haïr francs archiers,

Les nommant francs taulpins (3)...

Quant aux adventuriers eux-mêmes, souvent genthilhommes

(1) Terme attesté dès 1453 (dans Gay): « Targettes et saumeterre qui est espée turque. » Rabelais écrit simeterre et cimeterre (1. V, ch. 1x), ainsi défini par Nicot: « Façon d'espée à la mode Turquesque ». La forme italienne cymitarre (scimitara, dans Pulci) est postérieurement attestée.

(2) L'Archer de Bagnolet (village des environs de Paris), monologue attribué à Villon, devint vite célèbre. Rabelais y fait allusion à propos de Panurge (1. IV, ch. Lv): « Car je ne crains rien fors les dangiers. Je le dis tousjours. Aussi disoit le Franc archier de Baignolet ». Rappelons aussi ce titre plaisant d'un des ouvrages de la Bibliothèque de Saint-Victor Stratagemata Francarchieri de Bagnolet.

(3) Voici ce qu'en dit Bouchet (Serées, t. IV, p. 106): « Ces francs taupins estoient levez du peuple le plus bas, c'est assavoir des rustiques et gens des champs, là où aujourd'hui on leve les gens de pied de toutes conditions et estats qu'on appelloit n'a pas longtemps advanturiers ».

déchus, Brantôme décrit ainsi leurs allures débraillées (t. V, p. 303): « Les Adventuriers de jadis prenoient plaisir à estre le plus mal en point qu'ilz pouvoient, jusques à marcher les jambes nues et porter leurs chausses à la sainture, comme j'ay dict; d'autres avoient une jambe nue et l'autre chaussée à la bi

zarre ».

Les chevaux légers (1. 1, ch. xxvi) désignaient des archers à cheval, cavaliers montés sur des courtauds et armés à la légère. Le terme se lit à la fin du xv° siècle dans Commynes.

Enfin, les mortes payes (1) étaient des soldats invalides préposés à la garde des places (Pant. Progn., ch. v).

Voilà les termes que l'ancien et le moyen français ont légués au xvi siècle. Mais dès le début de la Renaissance, une influence étrangère, celle de l'Italie, se fait sentir, et son action de plus en plus intense a pour effet de transformer ou rénover le domaine militaire. Nous allons en suivre les traces multiples et durables.

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Les expéditions d'Italie mirent réellement en contact intime deux nations et deux civilisations. Cette rencontre fut grosse de conséquences historiques et sociales. La vie tout entière s'en ressentit, dans l'habitation comme dans la vie mondaine, dans la société comme dans les arts. Ce fut surtout le vocabulaire de la guerre qui subit une profonde transformation.

Nous avons montré que l'ancien répertoire militaire subsistait encore à l'époque de Rabelais, lorsque l'influence italienne commença à s'exercer. Le roman rabelaisien nous offre à la fois les vestiges du vieux fond national et les nouvelles acquisitions venues d'outre-monts. On y assiste à la fusion des deux courants qui se croisent, vivent quelque temps côte à côte et finissent par se fondre en un ensemble unique. Toutes les branches de l'art militaire furent à cette époque élargies et développées ou complètement rénovées. Nous allons passer en revue les principales

(1) On lit le nom au xye siècle dans Guillaume Coquillart, et, au xvie, dans Brantôme (t. I, p. 244): « J'ay ouy conter à de vieux mortes payes du chasteau de Lusignan ». De même dans La Vefve, comédie de Larivey, 1579, acte IV, sc. I: « Elles [les femmes] font comme les morte payes, qui, pour honorablement rendre la place, veullent un assault ».

de ces transformations, qui subsistent pour la plupart dans la langue moderne.

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En 1523, François Ier, pour renforcer son infanterie de mercenaires étrangers, puisa dans les milices des communes, auxquelles il donna le nom de légion, réminiscence de l'Antiquité en pleine Renaissance. Ces légions, au nombre de sept, comptaient chacune 6000 hommes.

Vers la fin du règne, l'infanterie se divisait en compagnies appelées bandes ou enseignes, chacune ayant pour chef un capitaine, trois caporaux ou caps d'escouade et dix lancepessades.

Ces noms de chefs, comme guidon, synonyme d'enseigne, étaient d'origine récente et importés d'Italie. Rabelais en fait mention. Panurge appelle Xenomanes « mon caporal » (1. IV, ch. LXIV) et ailleurs on lit (1. V, ch. xL): « Les Satyres, Capitaines, Sergens de bandes, Caps d'escadre, Corporals », à côté de (l. 1, ch. xxvii): «... les porte guydons et enseignes avaient mis leurs guidons et enseignes l'orée des murs ».

Cette nomenclature nouvelle mérite quelques éclaircissements. Capitaine, reflet italien, à côté de chevetaine de l'ancienne langue. La forme queitaine, que cite d'Aubigné, est, à son tour, un reflet provincial (1).

Caps d'esquadre, synonyme de caporal, de l'ital. squadra, esquadre, escouadre et escadron (Oudin).

Caporal (1. IV, ch. LXIV), de l'ital. caporale, à côté de corporal (1. V, ch. XL), que Henri Estienne (2) prétend indigène, alors que le mot n'est qu'une forme corrompue (3).

(1) Henri Estienne mentionne une troisième variante (Dialogues, t. I, p. 390): « Ce nom de Capitaine a esté accoustré en trois façons diverses. Les uns en ont faict Kaytaine: les autres, Keytaine : les autres Kepitaines faillans moins que les seconds, et autant que les pre

miers >>.

(2) Cf. Dialogues, t. I, p. 290: « Nous avons bien Corporal qui tenoit encore bon et avoit opinion qu'il ne seroit point chassé... mais un je ne sçay quel Caporal vint... et peu de temps après la place de ce Corporal, qui estoit natif du pays, fut baillé à cest estranger Caporal ». Cette forme corporal, envisagé comme chef d'un corps de garde, se lit dans Monluc et Brantôme, et subsiste dans certains patois du Centre. (3) On lit dans la « Chanson contre la milice bourgeoise » de 1562

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