Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

B3

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

§ 1. La guerre a porté au premier rang le problème de la compétence dans le gouvernement des nations.

$2.

[ocr errors]
[ocr errors]

Condamnations sommaires prononcées contre la démocratie; elle aurait une tendance marquée à choisir, pour assu rer les fonctions de l'État, les individus les moins aptes intellectuellement et moralement.

§ 3. Le double aspect du problème de la compétence: 1o le problème de la technicité: amateurs ou professionnels; 2o le problème de la capacité : le choix des plus aptes soit parmi les amateurs, soit parmi les professionnels.

§ 4. Nécessité d'une place faite aux amateurs dans toute nation libre : le politique et le technique, l'absence de mètre pour les hautes capacités.

§ 5. — L'amateurisme dans les démocraties de l'antiquité : il est impuissant à sauver Athènes et à servir la politique de la grandeur romaine.

§ 6.

Le principe d'égalité amène les démocraties à négliger les différences de capacité d'homme à homme.

$7.

La démocratie tend à rendre la technicité plus nécessaire dans le gouvernement, et cependant l'exige moins chez les gouvernants.

§ 1.

Les grandes crises imposent, aux nations qu'elles secouent, un large examen de conscience qui pénètre jusqu'aux fondements mêmes de leur vie et les obligent à JOSEPH-BARTHÉLEMY, La Compétence.

495647

1

NO VIMU

« repenser les principes premiers de leurs institutions. La guerre est une grande renouveleuse de questions. L'épouvantable cataclysme déchaîné sur le monde par le crime de l'agression allemande a soulevé, dans toutes les branches des connaissances humaines, des problèmes nouveaux, a révélé dans les problèmes anciens des aspects inconnus, ou bien a impérieusement appelé sur eux l'attention générale. Dans le domaine. des sciences politiques, un des problèmes ainsi portés par la guerre au tout premier plan de l'actualité est celui de la compétence des hommes sur qui pèse la lourde responsabilité de diriger, au milieu de tant d'écueils, les destinées de la nation. La guerre tend, de plus en plus, à être autre chose que le conflit des armées; elle est le choc des nations elles-mêmes, avec toutes leurs ressources morales, économiques, politiques. Elle met face à face, dans une sorte de rivalité tragique, les gouvernements et les institutions, les gouvernants et les administrateurs.

Et dès lors s'impose aux nations ce problème angoissant de savoir si leur organisation politique possède cette vertu de confier leur fortune aux plus dignes, aux plus aptes.

Ceux notamment qui aiment, dans la démocratie, ses conséquences fécondes de liberté et de justice sociale. se demandent, non sans angoisse, si elle s'est montrée impuissante à porter à sa tête les hommes les plus capables de la sauver à travers tant de périls. A-t-elle trouvé d'autre part une formule satisfaisante des rapports entre ceux qui gouvernent par la volonté ou par la faveur du peuple et d'autre part les techniciens qui connaissent les problèmes pour les avoir étudiés ? La guerre a ainsi posé, sans qu'il ait été résolu d'une façon très nette, le problème des rapports entre le pouvoir politique et les techniciens militaires.

Mais ces problèmes, que la guerre a rendus tragiques, sont de tous les temps et de tous les ordres d'activité publique. Ils continueront à se poser après notre victoire quelle qu'en soit l'étendue. Pour n'être pas absolument de la même nature, les questions de la paix ne

1

seront pas plus faciles que celles de la guerre. Il s'agira de faire face à un passif qui aurait donné le vertige aux financiers les plus hardis du siècle dernier ; il faudra reprendre depuis les fondements, en reconstruisant tous les gros murs, l'édifice économique, financier de la France; il faudra renouveler son outillage national. Je ne parle pas ici d'une crise morale et sociale toujours possible après un pareil ébranlement. Il y a donc une œuvre formidable à accomplir. Le pays n'en viendra à bout que s'il en charge, non point les premiers venus qui flatteraient ses passions ou ses préjugés, mais de véritables compétences. Il n'y a pas de problème à la fois plus ancien et plus actuel que le problème de la compétence dans la démocratie.

§ 2.

Nous employons ici le mot de « compétence » non point avec la signification spéciale qu'il prend dans la terminologie juridique, mais avec le sens général que lui donne le langage courant : nous considérons la compétence non point comme le droit conféré par la loi d'accomplir certains actes juridiques, mais bien comme l'habileté particulière, l'aptitude intellectuelle et morale, à s'acquitter convenablement d'une tâche donnée. En nous cantonnant sur le terrain des principes summa sequar fastigia rerum nous rechercherons quelles qualités, quelles conditions de capacité la démocratie exige des hommes appelés à assurer les grandes fonctions de la vie publique : légiférer, gouverner, administrer, juger.

Des condamnations sévères ont été sur ce point, comme sur tant d'autres, prononcées contre la démocratie. Dans un petit livre plein de verve, d'esprit, et d'ailleurs fortement nourri d'idées, Émile Faguet relevait comme l'un des traits, l'une des tares de la démocratie le culte de l'incompétence. L'expression indique que la démocratie aimerait à trouver, chez ceux qu'elle appelle aux fonctions publiques, l'absence des qualités

nécessaires pour les bien remplir. Un des plus lettrés, des plus plus fins, des plus distingués, et aussi des plus spirituels parmi nos parlementaires ne va pas aussi loin dans la sévérité : il ne prétend pas que notre régime recherche volontairement l'incompétence, mais seulement et c'est assez-qu'il est indifférent à la compétence. Je fais allusion à la formule due à M. Ch. Benoist, et qui a atteint aussitôt toute la fortune que méritait sa frappe parfaite : « N'importe qui étant bon à n'importe quoi, on peut, n'importe quand, le mettre n'importe où 1. » Ce mot, lancé au cours de la troisième année de la guerre, tendait à qualifier toute une politique qui aurait été suivie depuis longtemps et que n'aurait pas interrompue l'agression allemande. L'«< amateurisme » (pour employer une expression devenue courante dans la presse anglaise) aurait été la règle dans la conduite gouvernementale de la guerre et expliquerait que la vaillance de nos soldats n'ait pas produit tous les résultats qu'on était en droit d'en espérer.

§ 3.

Tout métier suppose un apprentissage; on ne s'improvise pas horloger; mais on s'improvise législateur, homme d'État, ministre; tel homme qui se récrierait si on lui demandait de fabriquer une montre, alors qu'il ne s'est pas exercé dans cet art, accepte cependant de faire des lois sans préparation aucune. On ne connaît l'anatomie et la physiologie de l'homme que si on les a étudiées; on prétend connaître l'anatomie et la physiologie, tout aussi complexes, de la société, par l'effet d'une sorte d'instinct. Et tel qui hésiterait, parce qu'il n'y est pas préparé, à diriger une épicerie, accepte cependant, sans plus de préparation, de gérer les affaires de l'État. La gestion des affaires publiques serait, avec la critique littéraire, le seul métier que l'on puisse

I. Chambre des députés, 1o février 1916.

« PreviousContinue »