duite que nous révèlent quatorze lettres qu'il écrivit au Conseil, du 25 décembre 1526 au 31 janvier 1527. On l'y voit lutter contre les droits des syndics, pour arrêter constamment la procédure de celui qui avait préparé sa perte, en conspirant pour faire passer la souveraineté de Genève entre les mains du duc, lui accorder sa grâce, quand il a été convaincu sans torture, et laisser échapper la plus belle occasion d'acquérir quelque popularité et de recouvrer son indépendance, en démasquant les projets perfides du prince qui la lui avait enlevée. Le 25 décembre, il écrit aux syndics de lui envoyer toutes les pièces du procès de Cartelier et leur défend de procéder outre. Le 2 janvier 1527, il déclare qu'il ne veut pas qu'on applique le prévenu à la torture et que l'on procède sans ses amės Grossi et Guilliet qu'il envoie. Le 8 janvier, il veut qu'on attende un docteur qui assistera les syndics. Le 10 janvier, il annonce qu'il enverra son grand juge et qu'il ne faut faillir de l'attendre. Le 13 janvier, il dit à peu près la même chose, mais le grand juge n'arrive pas de Saint-Claude. Enfin, le 22 janvier, il écrit qu'il a appris l'aveu de Cartelier, mais qu'il lui envoie des lettres de grâce, priant en conséquence le Conseil de ne pas passer outre quant aux conclusions criminelles. Quoi de plus inconséquent que cette conduite de l'évêque! Elle lui aliéna sans doute plus que tout le reste le cœur de ses sujets, car on ne douta plus qu'il ne s'entendit avec le duc contre la ville, et l'on ne se gêna pas pour le dire hautement. Pierre de la Baume parle lui-même, dans ses lettres à son chambrier, des soupçons qu'on exprimait contre lui: « J'ai su que aucuns ont voulu dire que je m'entends avec Mon« seigneur le Duc, enquérez-vous d'où viennent ces paroles. Il dit aussi, le 20 octobre 1527, à Besançon Hugues : « Je vous « écris volontiers cette, pour ce que l'on a dû dire que aucuns « de mes sujets disent que je m'entends avec Monseigneur le « duc de Savoie, etc. »> Néanmoins l'évêque ne tira aucun profit de sa servilité. Le duc ne fut point content de l'issue du procès de Cartelier, dont les biens furent confisqués; mais il fut surtout fort irrité, quand il sut que l'évêque, s'étant rendu, le 15 juillet, à Genève, y avait témoigné un vif désir d'entrer lui-même dans l'alliance des Suisses, et prié le Conseil général de le recevoir bourgeois de Genève, pour plus grosse démontrance d'approbation, et afin qu'à l'avenir il puisse de la dite combourgeoisie avec ceux de la dite cité user. Il paraît qu'immédiatement après l'évêque fut averti que le duc voulait le faire enlever. Il se sauva du moins en toute hâte, et fit parvenir au Conseil un billet qui fait partie de nos lettres et dont voici la teneur : « J'ai chargé à Besançon Hugues vous « dire les raisons pourquoi je me suis absenté pour le présent de ma cité, non pour ce que je ne veuille en temps et lieu « rendre mon devoir à vous aider et défendre, et m'avertissant toujours de vos occurrents, je m'essaierai de vous y assister « de tout mon pouvoir; qui me gardera vous faire plus longue « lettre, etc. Dès un lieu que je ne puis nommer, ce jour Saint« Pierre. » Ce lieu qu'il ne pouvait nommer était Saint-Claude, d'où il écrit, deux jours après, à Besançon Hugues, qui ayant travaillé sur l'esprit de l'évêque dans l'intérêt de la ville, ne fut pas oublié dans les persécutions dirigées contre celui-ci. Il paraît même que le duc ne songea à rien moins qu'à le faire massacrer, si l'on en juge par les lettres de l'évêque, qui, dès ce moment, s'attacha particulièrement à lui et commença une correspondance très-active, comme l'indiquent les 26 lettres qu'il lui adressa en moins d'une année. Besançon Hugues fut son confident, son chargé d'affaires, au moins tant que Pierre de la Baume resta avec quelque bonne foi attaché au parti de la ville. Les lettres du prélat, pendant la dernière moitié de l'année 1527, sont toutes relatives à la combourgeoisie qu'il espérait contracter avec les Cantons, et à ses plaintes sur ce que le duc avait mis la main sur ses abbayes de Suze et de Pignerol. Pour obtenir l'appui du Conseil, il vante vaguement ses précédents services, qu'il lui aurait été difficile de prouver, et fait, contre sa coutume, diverses offres aux Genevois, entre autres, de leur laisser prendre dans sa forêt de Jussy, tous les bois nécessaires pour fortifier la ville. Mais, je ne puis m'empêcher de transcrire quelques parties de la lettre qu'il adressa, le 28 août 1527, aux syndics, et qui résume en quelque sorte les autres: « Vous savez comme par « le passé nous sommes employés à l'entretènement et conser«vation de notre autorité et des libertés et franchises de notre « cité, sans y épargner notre personne ni nos biens, et par ce << sommes enchus en l'indignation et male grâce de celui qui « désirait l'envahir et réduire à son obéissance.-Et, non con<< tent de l'outrage, qui nous cuida dernièrement être fait de sa < part sur notre personne, se perforce journellement nous faire « au pis qu'il peut, et naguères a fait prendre l'un de nos ser< viteurs venant delà les monts, qui nous apportait bonne somme « de deniers du revenu de nos abbayes de Pignerol et de Suze, « lequel, avec les dits deniers, il détient encore présentement << en étroite prison, sans, pour poursuite qu'ayons su faire vers « lui, le vouloir aucunement relâcher. Et encore se vante ré« duire à sa main tout le revenu temporel et spirituel des dites « abbayes, pensant par ce nous mettre en disette et nécessité, « pour parvenir à ce qu'il désire; dont vous avons bien voulu « avertir, espérant que nous donnerez quelque moyen et bon « expédient, pour obvier à telles entreprises et volontés. Et « pensant à ce qu'avez toujours si bien conduit les affaires envers << Messieurs des deux villes de Berne et Fribourg, qu'ils ont « usé envers nous et notre cité de grand amour et bonté, nous « désirerions avoir quelque bonne amitié et confédération avec « les dits Seigneurs, pour la sûreté de notre personne et de nos << biens, si trouvons par votre résolution que devions à ce pour« suivre, à quoi ne voudrions entendre sans votre avis, pour la « singulière affection qu'avons en vous, espérant que en ce nous << assisterez, et y employerez votre crédit et vos amis, jusqu'au << parachèvement de l'affaire; et par ce nous rendrez toujours « plus enclin et affectionné à vous faire toutes aides, faveurs, « adresses, etc. » Pierre de la Baume ne pouvait s'imaginer que les syndics séparassent, en quelque affaire, leur cause de la sienne, et quoi qu'il n'eût rien fait pour la communauté, il voulait absolument que celle-ci prît à cœur ses intérêts particuliers, et que, parce qu'il était évêque de Genève, elle soutînt ses droits comme abbé de Pignerol : « Vous savez assez, écrit-il le 2 octobre 1527, «les outrages que l'on s'est essayé nous faire en notre personne, « et la prise et détention que l'on fait de nos deniers et revenu « de nos biens; sur quoi entendions que fissiez plainte et pour« suite envers Messieurs des deux villes, pour en avoir répara<«<tion; et combien que, par vos lettres, les en ayez avertis, << encore semble que feriez mieux d'envoyer devers leurs Seigneuries gens exprès, pour faire les dits plaintifs et poursuivre << les dites réparation et restitution, car nous entendons les dits << outrages vous être faits comme à nous, etc. » On voit, dans les lettres suivantes, et surtout dans celles qui sont adressées à Besançon Hugues et à Guillaume de la Mouelle, quelles conditions le duc mettait à la restitution des bénéfices enlevés à l'évêque: « Monseigneur, écrit-il, a mandé qu'il me << relâcherait mes bénéfices, si je le remets en possession du << vidomnat, et que je fasse révoquer la bourgeoisie, avec d'autres << ouvertures fort honorables, etc. » Ces derniers mots ne semblent-ils pas indiquer que l'évêque allait se laisser gagner? le duc l'avait pris par son faible. Dans une lettre à Besançon Hugues du lendemain de Noël 1527, il lui dit : « Monsieur de Montrevel «et monsieur le bailli de Châlons sont été ici, pour me présenter <mes abbayes, mais il (le duc) veut que lui écrive sujet, pour, puis après avoir la loi de m'empoigner au collet, comme il a « autrefois porté parole. » Ce nom de sujet semble peu l'inquiéter dans les lettres suivantes. On voit enfin qu'il a obtenu la mainlevée de ses abbayes, et il n'est pas difficile de deviner à quel prix. Dès ce moment, en effet, il ne parle plus de la combour-. geoisie avec les cantons; dès juin 1528, il n'écrit plus à Besançon Hugues; il cesse peu après de correspondre avec Robert Vandel; et, comme il n'a plus besoin de la communauté, il reprend dans ses lettres son ton de reproche et d'humeur, dans lequel se réfléchissaient aussi les dispositions du duc, et dont je vais donner quelques échantillons tirés des lettres au Conseil de 1528 à 1530. « « Nous sommes très-déplaisant que, sous couleur de vouloir « maintenir vos franchises et libertés, vous voulez usurper et « attirer à vous notre jurisdiction et souveraineté. Vous aver<< tissant que ne comporterons jamais tels abus et entreprises. N'entendons point que notre peuple se veuille insurger ou « émouvoir contre nous ou nos officiers; mais, bien souvent << aucuns leur font entendre les choses à leur appétit, contre la << vraie substance et vérité, dont ne sommes content; et espé« rons, à l'aide de Dieu, en faire telle punition par justice qu'il << sera à l'exemple d'autres. Il ne vous appartient de connaître « de votre prince et seigneur. A rien que voyons, nous ne < pouvons connaître que ayez délibéré de vous mettre en devoir « envers nous, ni obtempérer à nos commandements.- Si vous <<< mandons et commandons, une fois pour toutes, que, dans «< quinze jours prochains de la date de cette, deviez désister de <tous actes appartenant à nos officiers. Autrement vous décla«rons être ennemis, et d'employer toutes nos puissances, pa« rens et amis à vous défaire et punir de l'outrage que nous faites, en quelque lieu que soyez trouvés. Si vous vouliez « rendre devoir envers nous, les affaires seraient en meilleure disposition qu'elles ne sont. Et n'est point à vous de vous « ébahir, mais à nous de trouver étrange les actes que tous les jours vous faites contre notre jurisdiction et prééminence. « Puisque venez à alléguer les temps et coutumes anciennes, il « « n'y a pièce de vous qui ne sache bien que jamais vous n'eûtes « connaissance des causes civiles, qu'à cette heure vous vous ap « propriez. Et, non pas contents de cela, vous avez entrepris sur « les spirituelles, comme matrimoniales et autres. Nous esti« mez-vous de moindre courage que vous? Le morceau que << voulez avaler est de trop plus forte digestion que pas vous n'en<< tendez..-Avisez bien que vous faites, car tout ainsi que l'avez << trouvée propice en vos dites affaires, pourrait bien venir le jour < (demeurant en l'obstination où vous êtes) qu'elle vous serait << contraire. >> |