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STANFORD UNIVERSITY LIBRARIES CECIL H. GREEN LIBRARY STANFORD, CALIFORNIA 94305-6004 (415) 723-1493

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tendent que ces paysans russes ont creusé les fondations d'une forteresse, les antiquaires éclairés pourraient aisément décider si ce lieu répond en effet à l'emplacement de la ville de Tomé : l'expression vague sur les bords du liman à l'embouchure du Danube, ne permet aucune discussion. Personne n'a pu mieux savoir qu'Ovide luimême le lieu où Auguste l'exila; or, Ovide s'explique clairement; il dit que le lieu de son exil était voisin du Pont-Euxin et des bouches du Danube; il parle des glaces qui couvraient souvent ce fleuve, et facilitaient les incursions des Gètes, des Daces et de plusieurs autres peuples barbares répandus sur les rives opposées. D'ailleurs, du tems d'Auguste, la domination romaine était bornée par le Danube dans ces contrées-là; cet empereur n'a donc pu reléguer Ovide au-delà de ce fleuve, c'est-à-dire, au-delà des limites de l'empire. Il s'ensuit que Tomé était sur la rive droite du Danube, non loin de l'embouchure, et qu'il est impossible que des paysans russes aient jamais pu creuser les fondations d'une forteresse sur les ruines de cette ville, et y déterrer le tombeau de l'amant de Julie.

Selon les rédacteurs, le lieu de l'exil d'Ovide cst connu depuis longtems sous le nom de Laculi Ovidoli. Il serait difficile de commettre en géographie une erreur plus grossière que celle-ci. Le lieu que les Moldaves nomment effectivement Lagoul Ovidouloni, non Laculi Ovidoli, est à plus de quarante lieues de la bouche méridionale du Danube non loin de laquelle la ville de Tomé était située. Lagoul Ovidouloni est un lac sur la rive du Dniester (l'ancien Tyras), non loin du liman de ce fleuve, et vis-à-vis d'Akirman, ville et forteresse turque située sur la rive droite; d'ailleurs le nom que lui donnent les Moldaves, ne signifie pas le lac d'Ovide, comme on le prétend ici; il veut dire lac des brebis. Cette circonstance seule serait suffisante pour détruire tout le raisonnement des rédacteurs. Nous avons été sur les lieux accompagnés de plusieurs boïars de Jassy, hommes très-versés dans l'histoire et les antiques. de leur pays voici ce qu'ils nous ont dit à ce sujet. Autrefois la Moldavie, maintenant resserrée par le Pruth, s'étendait jusqu'au Dniester. Cette province fut toujours vexée par les Turcs, et soumise à diverses espèces de tributs. Un des plus onéreux était et est

encore la livraison annuelle de plusieurs milliers de brebis, d'agneaux et de moutons destinés à la consommation de Constantinople. Une partie de ce bétail était rassemblée à Akirman et aux environs, pour être embarquée. Avant l'embarquement, les conducteurs avaient coutume de baigner et de laver leurs brebis dans les eaux du lac en question voilà la véritable origine du nom que ce lac conserve encore parmi les Moldaves. Nous nous souvenons et j'ai noté, que l'on nous dit dans le tems qu'Ovidouloni était le génitif pluriel d'un mot qui signifie brebis. On sait d'ailleurs que la langue moldave n'est autre chose qu'un latin corrompu, mêlé à des mots turcs, esclavons et grecs. Mais, dans la supposition même que Lagoul Ovidouloni signifiât en effet lac d'Ovide, en résulterait-il nécessairement que ce poète ait été relégué dans cette contrée, et que le tombeau trouvé par des paysans russes ne peut être que le sien? Nous sommes loin de le croire, puisqu'il est de fait qu'Ovide a été exilé sur la rive droite du Danube, et non au-delà de ce fleuve, et encore moins par-delà le Dniester, dans le pays des Gètes et des Sarmates, presque inconnu aux Romains du tems d'Ovide, et où se trouve aujourd'hui le lac qui doit porter son nom.

Le résultat de ces observations sera done:

1° Que les rédacteurs de l'article du Moniteur et du Journal de Paris ont confondu le Dniester et le Danube; qu'ils font creuser à l'embouchure de l'un les fondations d'une forteresse qui se trouve à l'embouchure de l'autre, et qu'ils placent par delà le Dniester, dans le pays des Sarmates, la ville de Tomé, qui existait en deçà du Danube, dans une contrée soumise aux Romains.

2° Que la ville d'Ovidiopol, nouvellement fondée, n'est point sur le prétendu liman du Danube, mais sur le liman d'Akirman, à la rive gauche du Dniester; que parconséquent Tomé, lieu d'exil d'Ovide, n'a pu être là.

3°. Que le tombeau déterré par les ouvriers russes n'a jamais pu être celui du poète latin; et que tout ce que disent les rédacteurs du buste comparé avec les têtes de la belle Julie, n'est qu'une fable inventée par la flatterie.

Nous dirons encore un mot de la nouvelle ville d'Ovidiopol, en

rapportant ce qui a donné lieu à l'erreur que nous croyons devoir détruire par nos observations fondées sur l'histoire et la géographie, et faites sur les lieux mêmes.

Lorsque vers la fin de septembre 1789, le fameux prince Potemkin' vint mettre le siége devant Akirman, il entendit parler du Lagoal Ovidouloni qui se trouvait dans le voisinage; la conformité des sons lui rappela le nom d'Ovide. Il en fut frappé; on en parla. Les complaisans connaissant le faible de ce prince pour tout ce qui concernait les antiquités d'un pays qu'il regardait déjà comme sa conquête, ne manquèrent pas de saisir cette occasion, de faire leur cour. Ils assurèrent hardiment qu'Ovide avait certainement donné son nom au lac en question, et que c'était là qu'il fallait placer l'ancienne ville de Tomé, sur la situation de laquelle les savans n'avaient pu s'accorder encore.

L'on aime à croire ce qui flatte. Le prince savait fort bien qu'Ovide n'avait jamais pu être relégué sur les bords du Dniester, à une aussi grande distance de l'empire romain, mais il fit semblant de le croire, et vit avec plus de plaisir encore que d'autres le crussent. Nous disons qu'il fit semblant de le croire, car nous sommes convaincus qu'intérieurement il ne le croyait pas. Il était trop éclairé pour donner dans une erreur aussi palpable; aussi n'ordonna-t-il ni fouilles, ni recherches quelconques. J'étais alors présent; et c'est à cette occasion que je fus visiter le lac avec quelques seigneurs Moldaves. Quoi qu'il en soit, pendant quelque tems on ne parla que d'Ovide, de son lac et de Tomé; mais lorsque Potemkin eut quitté cette contrée, il n'en fut plus question. Cependant on n'avait pas négligé d'instruire l'impératrice de cette prétendue découverte; elle en fut charmée, et y crut peut-être de bonne foi. Cette femme extraordinaire aimait le singulier, le merveilleux, et tout ce qui pouvait donner quelque lustre à son règne. Il est certain que la découverte d'un monument intéressant dans un pays conquis par ses armes, lui aurait fait autant de plaisir que le gain d'une bataille.

Lorsque par la paix de Jassy, en 1791, la Russie poussa ses fron

'L'auteur de cet article était l'un de ses aides-de-camp.

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