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soins aux savans; les maisons voisines ne sont bientôt plus que des monceaux de cendres. Qui a fondé cette bibliothèque? On conjecture que c'est Domitien. Car ce prince ayant été élevé dans le Capitole, et ensuite devenu empereur, y fit construire un temple; mais y fit-il établir cette bibliothèque? C'est ce que l'on ignore. Suétone (1) dit seulement et assez vaguement: Il fit, à grands frais, relever les bibliothèques qui avaient été incendiées, et, à cet effet, il envoya de tout côté des savans pour chercher des livres, et surtout à Alexandrie; quand on ne put pas se procurer les originaux, on les copia et on les corrigea. On voit par-là que la bibliothèque d'Alexandrie était la source où l'on allait toujours puiser, soit pour fonder des bibliothèques, soit pour en enrichir, soit pour réparer celles qui avaient éprouvé quelques accidens, ou renouveler celles qui avaient été entièrement détruites. S'il en eût été autrement, comment aurait-il existé tant de bibliothèques du tems de Constantin? Victor remarque que, dans les choses curieuses que l'on voyait alors à Rome, on distinguait vingt- neuf bibliothèques publiques, dont les deux principales étaient les bibliothèques Palatine et Ulpienne. Combien d'autres dont on n'a point conservé la mémoire; car, de ces vingtneuf, il n'y en a que sept sur lesquelles nous avons fait quelques découvertes, et dont nous avons tiré les noms de l'oubli !

(1) Chap. XX.

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CHAPITRE VILL

De la Bibliothèque Tiburtine, - et de quelques Bibliothèques particulières considérables établies, soit dans les bains, soit dans les maisons de campagne.

JE

E

Je n'ai rien découvert, comme je l'ai dit, sur la plupart des bibliothèques publiques, pas même sur celles qui étaient à Rome. Il en existait encore une à Tivoli, près de Rome. On lit dans Agellius ( 1 ): Nous nous rappelons d'avoir vu cela écrit dans le même livre de Claudius, qui se trouve à la bibliothèque de Tivoli. Et plus loin: Cela vient de la bibliothèque de Tivoli, qui était alors placée assez avantageusement dans le temple d'Hercule (2). Remarquez que nous avons déjà vu et que nous voyons ici que les bibliothèques sont toujours placées dans les temples, ou près des temples. Pourquoi les productions sacrées du génie ne seraient - elles pas déposées dans les lieux sacrés? On croit que c'est l'empereur Adrien qui a fondé cette bibliothèque; il se plaisait beaucoup à Tivoli, et il a embelli cette charmante retraite de quantité de beaux et de vastes édifices.

Il me parait certain que les villes municipales et les colonies ont eu aussi des bibliothèques, et qu'on y cultiva les beaux-arts.

De riches particuliers se sont aussi formé des bibliothèques, soit pour leur usage, soit pour faire parler

(1) Liv. IX, chap. XIV.
(2) Liv. XIX, chap. V,

avait

d'eux. Suidas raconte qu'un nommé Epaphrodite, Charonée, grammairien, qui a vécu à Rome dans l'intervalle du règne de Néron à celui de Nerva, une telle passion pour les livres, qu'il s'en est procuré jusqu'à trente mille, tous très-bien choisis. Je loue ce grammairien plutôt sur le choix que sur la grande quantité des ouvrages qu'il réunissait dans sa bibliothèque. Je pencherai à croire que cet Epaphrodite est celui qui eut Epictecte, le plus célèbre des vrais philosophes, au nombre de ses esclaves ; ils sont bien du même tems, mais la charge qu'occupait Epaphro dite semble laisser des doutes et donnerait à penser qu'il y eut deux Epaphrodite, dont l'un fut grammairien, et l'autre garde-du-corps de Néron, selon que le rapporte le même Suidas. Mais quelque soit cet Epaphrodite, Sammonicus Sérénus le surpassa encore par son goût pour les livres. Il avait une bibliothèque composée de soixante-deux mille volumes, qu'il laissa en mourant à Gordien le jeune, depuis empereur. On la déposa au Capitole, avec cette inscription flatteuse : Ce don immortalise Gordien, qui, ayant reçu une aussi riche et aussi vaste bibliothèque, doit être mis au nombre des savans. On voit par-là que le goût des lettres est une source inévitable de gloire et de faveurs.

Après ceux que nous venons de nommer, il en est peu qui aient eu des bibliothèques remarquables; cependant les bibliothèques ordinaires étaient assez nombreuses, et Sénèque ( 1 ) se plaint de ce qu'elles étaient déjà trop communes de son tems; et ses plaintes ne portent pas sur la passion qu'on avait pour les livres,

(1) De la Tranquill. Chap. LX.

mais sur ce qu'on faisait des bibliothèques un objet de parade. Il arrivait que beaucoup d'ignorans avaient des livres, non pas pour s'instruire, mais pour décorer leur salle à manger. Il ajoute: On voit chez des oisifs des bibliothèques inutiles très-volumineuses, où se trouve tout ce que l'on peut désirer dans le genre de l'éloquence et dans l'histoire. Enfin une maison manquerait d'un meuble nécessaire, si l'on n'y voyait une bibliothèque dans la salle des bains. J'avoue que les bibliothèques ne devraient pas être un pur objet de luxe; il serait à souhaiter cependant que les riches de ce tems-ci, au moins les regardassent ainsi, et s'amusassent à former de belles collections; quand même ils n'y toucheraient, elles pourraient être utiles à d'autres.

Pourquoi plaçait-on les bibliothèques près des bains et des thermes, car nous avons déjà vu plus haut que la bibliothèque Ulpienne était aux thermes de Dioclétien ? Je crois que c'est par la raison qu'en prenant un bain, le corps est occupé, pour ainsi dire, sans l'être, et que c'est l'instant le plus favorable pour la lecture, soit qu'on lise soi-même, soit qu'on ait un lecteur.

On avait aussi des bibliothèques à la campagne et dans les maisons de plaisance, par la même raison qu'on n'y était moins occupé, et qu'on pouvait se livrer plus librement et avec plus de tems à la lecture; on le voit par cette décision du jurisconsulte Paul: Dans le legs d'un fonds, sont compris les livres et bibliothèques qui se trouvent dans ce fonds. Pline, en parlant de sa maison de campagne, dit: Qu'il a fait placer une armoire dans l'épaisseur du mur, ce qui lui forme une espèce de bibliothèque. Martial s'adresse

ainsi à la bibliothèque de campagne d'un autre Julius Martial : Bibliothèque d'une charmante campagne • d'où le lecteur apperçoit la ville voisine, s'il est permis à la folétre Thalie de se présenter à côté de nos grands poëtes, daigne réserver une petite place aux sept livres que je t'adresse.

CHAPITRE IX.

De la décoration des Bibliothèques, soit en ivoire, soit en vitraux. - Des Armoires des Tablettes, des Pupitres et des Gradins.

JE finis ce traité des bibliothèques, que j'ai composé d'après ce qui est échappé à la faulx du tems; j'ai dit bien peu sur un sujet bien vaste, et pour me servir d'une ancienne expression, c'est une goutte d'eau tirée d'un grand seau cependant cet opuscule suffira pour exciter l'émulation et pour servir de modèle à ceux qui voudront courir la même carrière. Je vais ajouter un mot sur la décoration et sur l'organisation des bibliothèques anciennes. Je lis dans Isidore que les plus habiles architectes ne pensaient pas que l'on dût décorer les bibliothèques de lambris dorés, ni les parqueter autrement qu'en marbre de Caristo, parce que l'éclat de l'or éblouit, au lieu que le beau vert de ce marbre repose agréablement la vue. Je crois cette remarque très-juste; je l'ai éprouvé moi-même, un trop grand éclat est de mauvais goût, et nuit dans une bibliothèque ; une cou leur verte plaît davantage et fatigue moins les yeux. Boëce en parle plus amplement dans son livre de la Consolation: il dit que les murs étaient couverts d'ivoire'

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