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corde, toutes les fois que, dans la prière, je m'occupe d'autre chose que de vous.

Car je confesse sincèrement que la distrac

tion m'est habituelle.

Dans le mouvement ou dans le repos, bien souvent je ne suis point où est mon corps, mais plutôt où mon esprit m'emporte.

Je suis là où est ma pensée, et ma pensée est d'ordinaire où est ce que j'aime.

Ce qui me plaît naturellement ou par habitude, voilà ce qui d'abord se présente à elle. 6. Et c'est pour cela, ô Vérité, que vous avez dit expressément : Où est votre trésor, là est aussi votre cœur 1.

Si j'aime le ciel, je pense volontiers aux choses du ciel.

Si j'aime le monde, je me réjouis des prospérités du monde, et je m'attriste de ses adversités.

Si j'aime la chair, je me représente souvent ce qui est de la chair.

Si j'aime l'esprit, ma joie est de penser aux choses spirituelles.

Car il m'est doux de parler et d'entendre parler de tout ce que j'aime, et j'en emporte avec moi le souvenir dans ma retraite.

Mais heureux l'homme, ô mon Dieu, qui, à cause de vous, bannit de son cœur toutes les créatures; qui fait violence à la nature, crucifie, par la ferveur de l'esprit, les convoi

1 Matth., VI, 21.

et

tises de la chair, afin de vous offrir, du fond d'une conscience où règne la paix, une prière pure; et que, dégagé au dedans et au dehors de tout ce qui est terrestre, il puisse se mêler aux chœurs des Anges!

RÉFLEXION.

Les maladies, les peines, les souffrances, les tentations, l'invincible désir d'une félicité que rien ne nous offre ici-bas, tout nous rappelle sans cesse à cette grande éternité où la foi nous promet, dans la possession de Dieu même, le repos, la paix, le bien parfait, intini, auquel nous aspirons de toutes les puissances de notre âme. Et voilà pourquoi les saints gémissent si amèrement sous le poids des liens qui les retiennent encore sur la terre; voilà pourquoi l'Apôtre s'écriait : Je désire que mon corps se dissolve, afin d'être avec Jésus-Christ. Alors plus de crainte, plus de larmes, plus de combat, mais un éternel triomphe et une joie éternelle. Si un faible reflet 2 de la vérité souveraine ravit déjà notre intelligence, que sera-ce quand nous la contemplerons dans son plein éclat! et si, dès à présent, il est si doux d'aimer, que sera-ce quand nous nous abreuverons à la source même de l'amour! Oh! oui, Seigneur, je désire la dissolution de mon corps, afin d'être avec vous! Cette espérance seule me console; elle est toute ma vie. Qu'est-ce pour moi que le monde, et que peut-il me donner? J'ai séjourné parmi les habitants de Cédar, et mon âme a été étrangère au milieu d'eux 3. Votre royaume, mon Dieu votre royaume, je n'ai point d'autre patrie. Daignez ý rappeler ce pauvre exilé, et il célébrera éternellement vos miséricordes ".

1 Philipp., 1, 23.- 2 I. Cor., XIII, 12.—3 Ps. CXIX, 3. Ps. LXXXVIII,

2.

CHAPITRE XLIX.

Du désir de la vie éternelle, et des grands biens promis à ceux qui combattent courageusement.

1. J.-C. Mon fils, lorsque le désir de l'éternelle béatitude vous est donné d'en haut, et que vous aspirez à sortir de la prison du corps pour contempler ma lumière sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre cœur, et recevez avec amour cette sainte inspiration.

Rendez grâce de toute votre âme à la bonté céleste, qui vous prodigue ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous presse et vous soulève puissamment, de peur que votre poids ne vous incline vers la

terre.

Car rien de cela n'est le fruit de vos pensées ou de vos efforts, mais une grâce de Dieu qui a daigné jeter sur vous un regard, afin que, croissant dans la vertu et dans l'humilité, vous vous prépariez à de nouveaux combats, et que tout votre cœur s'attache à moi avec la volonté ferme de me servir.

2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point sans fumée.

Ainsi quelques-uns, quoique embrasés du désir des choses célestes, ne sont point néan

moins entièrement dégagés des affections et des tentations de la chair.

Et c'est pourquoi ils n'ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce qu'ils demandent avec tant d'instance.

Tel est souvent votre désir, que vous croyez si vif et si pur.

Car rien n'est pur ni parfait, de ce qui est mêlé d'intérêt propre.

3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui vous offre quelque avantage, mais ce qui m'honore et me plaît: car, si vous jugez selon la justice, vous devez, docile à mes ordres, les préférer à vos désirs et à tout ce qu'on peut désirer.

Je connais votre désir; j'ai entendu vos gémissements.

Vous voudriez jouir déjà de la liberté glorieuse des enfants de Dieu; déjà la demeure éternelle, la céleste patrie où la joie ne tarit jamais, ravit votre pensée. Mais l'heure n'est pas encore venue, vous êtes encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et d'épreuves.

Vous désirez être rassassié du souverain bien; mais cela ne se peut maintenant.

C'est moi qui suis le bien suprême : attendez-moi, dit le Seigneur, jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu1.

4. Il faut que vous soyez encore éprouvé

1 Luc., XXII, 18.

sur la terre, et exercé de bien des manières. De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez abondantes pour rassasier vos désirs.

Ranimez donc votre force et votre courage1, pour accomplir et pour souffrir ce qui répugné à la nature.

2

Il faut que vous vous revêtiez de l'homme nouveau , que vous vous changiez en un autre homme.

Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous renonciez à ce que vous voulez.

Ce que les autres souhaitent, réussira mille obstacles s'opposeront à ce que vous souhaitez.

On écoutera ce que disent les autres : ce que vous direz sera compté pour rien.

Ils demanderont, et ils obtiendront : vous demanderez, et on vous refusera.

5. On parlera d'eux, on les exaltera; et personne ne parlera de vous.

On leur confiera tel ou tel emploi; et l'on ne vous jugera propre à rien.

Quelquefois la nature s'en affligera; et ce sera beaucoup si vous le supportez en silence. C'est dans ces épreuves et une infinité d'autres semblables, que, d'ordinaire, on reconnaît combien un vrai serviteur de Dieu sait se renoncer et se briser à tout.

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