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dis qu'à peine songent-ils aux vérités les plus importantes. Ils veulent tout savoir, excepté la seule chose indispensable. Leur orgueil se complaît dans des spéculations presque toujours dangereuses, ou au moins stériles pour le salut. En s'efforçant de pénétrer des mystères impénétrables, ils s'égarent dans leurs pensées, et ne saisissent que l'erreur, au moment même où ils croient ravir à Dieu son secret. Voilà le fruit des travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de profondeur et de véritable science de l'homme, dans ce conseil du Sage: Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse ce que Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses œuvres car il ne vous est pas nécessaire de voir de vos yeux ce qui est caché1. Songeons à nous-mêmes, à nos devoirs, au compte rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos œuvres et de nos paroles. Il y a bien là de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne nous est donné que pour cela.

CHAPITRE LIX.

Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu seul.

1. LE F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre à mes regards sous le ciel?

N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la miséricorde est infinie?

' Eccles., III, 22, 23.

Où ai-je été bien sans vous? et avec vous, où ai-je pu être mal?

J'aime mieux être pauvre à cause de vous, que riche sans vous.

J'aime mieux être avec vous voyageur sur la terre, que de posséder le ciel sans vous. Où vous êtes, là est le ciel; et la mort et l'enfer sont où vous n'êtes pas.

Vous êtes tout mon désir : et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous, que soupirer, gémir, prier.

Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni espérer dans mes besoins de secours que de vous seul, ô mon Dieu!

Vous êtes mon espérance, ma confiance, mon consolateur toujours fidèle.

2. Tous cherchent leur intérêt1; vous seul vous ne cherchez que mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien.

Même quand vous m'exposez à beaucoup de tentations et de peines, c'est encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'éprouver ainsi ceux qui vous sont chers.

Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces épreuves, que si vous me remplissiez des plus douces consolations.

3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon espérance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dépose toutes mes afflictions et toutes mes angoisses;

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car je ne trouve que faiblesse et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous.

Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de livre qui me console, ni de trésor assez grand pour me racheter, ni de lieu assez secret pour m'offrir un sûr asile, si vous ne daignez vous-même me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire et me prendre sous votre garde.

4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est rien sans vous, et réellement ne sert de rien pour rendre heureux.

Vous êtes donc le principe et le terme de tous les biens, la plénitude de la vie, la source inépuisable de toute lumière et de toute parole; et la plus grande consolation de vos serviteurs est d'espérer uniquement en

vous.

Mes yeux sont élevés vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon Dieu, père des miséricordes.

Sanctifiez mon âme, bénissez-la de votre céleste bénédiction, afin qu'elle devienne votre demeure sainte, le siége de votre éternelle gloire, et que, dans ce temple où vous ne dédaignez pas d'habiter, il n'y ait rien qui offense vos regards.

Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bonté; et, selon l'abondance de vos mi

séricordes, exaucez la prière de votre serviteur misérable, exilé loin de vous dans la région. des ténèbres et de la mort.

Protégez et conservez l'âme de votre pauvre serviteur au milieu des dangers de cette vie corruptible; que votre grâce l'accompagne et le conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'éternelle lumière. Ainsi soit-il.

RÉFLEXION.

Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir à cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: DIEU SEUL. « Considérez, << disait un humble religieux de saint François, des « mille millions de créatures plus parfaites que celles « qui sont à présent, tant dans les voies de la nature « que dans les voies de la grâce. Réitérez à l'infini « votre multiplication, et comparez ensuite ces créa«<tures si parfaites au grand Dieu des éternités; dans «< cette vue, elles deviennent à rien. Je prenais, ajou << tait-il, un grand plaisir dans cette multiplication; « et de voir qu'en même temps que l'Etre de Dieu << paraissait, ces créatures qui se montraient si excel« lentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une << rapidité incroyable dans leur centre qui est le néant. « Et voyant que le grand Dieu était en moi, et plus « en moi que je n'y étais moi-même, j'en ressentais << une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre «< comment il était possible d'avoir Dieu en soi et << partout au dehors de soi, et de s'occuper des créa«tures. J'étais ravi qu'il fût seul éternel, seul immua«ble, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en di« saut: En mon Dieu tout est Dieu, ma volonté << était touchée d'un si grand et si ardent amour, ̧« qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait

1 Ps. LXVIII, 16, 17.

devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé « que de Dieu seul. Je ne puis expliquer l'infinie jubila. «tion de mon cœur à la vue de ses immenses per«fections: mais voyant ses grandeurs incompréhensi«bles, et d'autre part mon néant avec toutes les misères « qui l'accompagnent, j'allais de l'infini à l'infini, « et je me trouvais incapable, de l'infini à l'infini, de << l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me faisait « souffrir inenarrablement; car plus je me trouvais «< impuissant à l'aimer d'un amour réciproque, plus << un secret amour me dévorait intérieuremeut. Alors << j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, «< comme navré et enivré d'amour, ne connaissant « pas ce que je faisais et, chose étrange, dans ce « travail de l'âme, ces saillies de l'infini en perfection « à l'infini de ma bassesse, m'étaient autant de feux « d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs 1.

1 L'homme intérieur, ou la Vie du vénérable père Jean-Chysostome, religieux pénitent du tiers-ordre de saint François; pag. 158, 175, 176.

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

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