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TRAGÉDIE,

EN VERS CROISÉS,

ET EN CINQ ACTES;

Par Mr. A. DE VOLTAIRE.

Représentée par les Comédiens Français ordinaires
du Roi, le 3 feptembre 1760.

Alten Cystitaclums

Gy

in

F129

Bibliothek
Alten Gymnasiums
Regensburg

A PARIS.

M. D C C. L X I.

AVEC PRIVILEGE DU ROI.

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A MADAME,

LA MARQUISE

DE POMPADOUR.

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MADAME,

TOUTES les Épîtres dédicatoires ne font pas de lâches flatteries; toutes ne font pas dictées par l'intérêt. Celle que vous reçûtes de M. Crébillon, mon Confrere à l'Acadé mie, que j'ai regardé comme mon maître dans un art que j'ai toujours aimé, fut un monument de fa reconnaiffance; le mien durera moins, mais il eft auffi jufte. J'ai vu dès votre enfance les graces & les talens fe développer ; j'ai reçu de vous, dans tous les temps, des témoignages d'une bonté toujours égale. Si quelque Cenfeur pouvait défapprouver l'hommage que je vous rends, ce ne pourrait être qu'un cœur né ingrat. Je vous dois beaucoup, MADAME, & je dois le dire. J'ofe encore plus: j'ofe vous remercier>

publiquement du bien que vous avez fait à un très-grand nombre de véritables Gens de Lettres, de grands Artistes, d'Hommes de mérite en plus d'un genre.

Les cabales font odieufes, je le fçais: la Littérature en fera toujours troublée, ainfi que tous les autres états de la vie. On calomniera toujours les Gens de Lettres, comme les Gens en place; & j'avouerai que l'horreur pour ces cabales m'a fait prendre le parti de la retraite, qui feule m'a rendu heureux. Mais j'avoue en même temps, que vous n'avez jamais écouté aucune de ces petites factions; que jamais vous ne reçûtes d'impreffion de l'impofture secrette qui bleffe fourdement le mérite, ni de l'imposture publique qui l'attaque infolemment; vous avez fait du bien avec difcernement, parce que vous avez jugé par vousmême: auffi, je n'ai connu ni aucun homme de Lettres, ni aucune perfonne fans prévention, qui ne rendît justice à votre caractere, non-feulement en public, mais dans les conversations particulieres, où l'on blâme beaucoup plus qu'on ne loue. Croyez, MADAME, que c'eft quelque chofe que le fuffrage de ceux qui fçavent penfer.

Continuez, MADAME, à favorifer tous les beaux Arts; ils font la gloire d'une Nation; ils font chers aux belles ames; il n'y a que les efprits durs & infipides qui les dédaignent : vous en avez cultivé plufieurs avec fuccès, & il n'en eft aucun fur lequel vous n'ayez des lumieres.

De tous les arts que nous cultivons en France, l'Art de la Tragédie n'eft pas celui qui mérite le moins d'attention des perfonnes principales; car il faut avouer que c'eft celui dans lequel les Français fe font le plus diftingués.

C'eft d'ailleurs au Théâtre que la Nation fe raffemble; c'eft-là que l'efprit & le goût de la Jeuneffe fe forme. Les Etrangers y viennent apprendre notre Langue, nulle mauvaise maxime n'y eft tolerée, nul fentiment eftimable n'y eft débité fans être applaudi. C'est une Ecole toujours fubfiftante d'éloquence & de vertu.

La Tragédie n'eft pas encore peut-être tout-à-fait ce qu'elle doit être. Supérieure à celle d'Athènes en plufieurs chofes, il lui manque fouvent ce grand appareil que les Magiftrats d'Athènes fçavaient lui donner.

Permettez-moi, MADAME, en vous dédiant une Tragédie, de m'étendre fur cet art des Sophocles & des Euripi des. Je fçais que toute la pompe de l'appareil ne vaut pas

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une pensée fublime, ou un fentiment de même que parure n'eft prefque rien fans la beauté. Je fçais bien que ce n'eft pas un grand mérite que de parler aux yeux: mais j'ofe être sûr que le fublime & le touchant portent un coup beaucoup plus fenfible; quand ils font foutenus d'un appareil convenable, & qu'il faut frapper l'ame & les yeux à la fois. Ce fera le partage des génies qui viendront après nous ; j'aurai du moins encouragé ceux qui me feront oublier.

C'eft dans cet efprit, MADAME, que je travaillai la faible efquiffe que je foumets à vos lumieres. Je la crayonnai dès que je fçus que le Théâtre de Paris était changé, & commençait à devenir un vrai Spectacle. Des jeunes gens, de beaucoup de talens, la représenterent avec moi fur un petit Théâtre que je fis élever à la campagne. Quoique ce Théâtre fut extrêmement étroit, les Acteurs ne furent point gênés ; tout fut exécuté facilement. Ces boucliers; ces devifes, ces armes qu'on fufpendait dans la lice, faifaient un effet qui rédoubloit l'intérêt ; parce qu'en effet, cette décoration, cette action devenait une partie de l'intrigue.

Il eût fallu que la Pièce eût joint à cet avantage, celui d'être écrite avec plus de chaleur ; que j'euffe pu éviter les longs récits; que les vers euffent été faits avec plus de foin. Mais le temps preffait, auquel on s'était propofé de donner ce nouveau Spectacle; la Pièce fut faite & apprife en deux mois. Elle fut jouée par des Français & par des Etrangers réunis ; c'eft peut-être le feul moyen d'empêcher que la pureté de la Langue ne fe corrompe, & que la prononciation ne s'altère dans les pays où l'on nous fait l'honneur de parler Français.

Mes amis me mandent, que les Comédiens de Paris n'ont représenté cet ouvrage, que parce qu'il en courait quantité de copies infidèles : il a donc fallu le laiffer paraître avec tous les défauts que je n'ai pu corriger; mais ces défauts mêmes inftruiront ceux qui voudront travailler dans le même goût.

Je ne fçaurais trop recommander, qu'on cherche à mettre fur notre Scène quelques parties de l'Hiftoire de France. On m'a dit que les noms des anciennes maifons qu'on retrouve dans Zaïre, dans le Duc de Foix, dans Tancrède; on fait plaifir à la Nation; c'eft encore peut-être un nouvel éguillon de gloire pour ceux qui defcendent de ces Races illuftres. Il me femble qu'après avoir fait paraître tant de

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