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pour éviter aux plaideurs la fatigue et les inconvénients du déplacement, soit pour s'éclairer plus facilement sur des faits souvent déguisés, que la proximité permettait d'approfondir.

Nous ne savons trop que dire de la présence des trois individus désignés comme clercs; ce ne sont assurément pas des religieux ni des prêtres, et nous penchons à croire que Vatilo, Wilheminus et Vernarius étaient des légistes appelés, soit pour diriger la procédure, soit pour fixer les points de droit, comme on le verra dans les affaires que nous citerons sous le règne de René d'Anjou; choses auxquelles les seigneurs que le souverain appelait à former la Cour étaient, souvent très-étrangers.

Le règlement fait par Sophie fut bientôt enfreint: Widon ou Guy, fils et successeur de Liétard, en en interprétant mal les dispositions, ou plutôt en les interprétant d'une manière qui servit ses intérêts, avait exigé des droits qui ne lui appartenaient pas. L'abbé Lauzon le traduisit devant la Cour des Grands-Jours de Saint-Mihiel : le jugement, auquel a présidé le comte Renaud Ier, et qui intervint, le six des ides de janvier, mal à propos qualifié d'accord entre Lauzon, abbé de Saint-Mihiel, et Guy, voué de Condé, assure encore à l'abbé son recours en la Cour: « S'il arrivait, y est-il dit, que le voué vint à enfreindre aucune des décisions ci-dessus, il devra s'en remettre au jugement de ses pairs réunis en la cour du comté. Fait en la cour de Saint-Michel. Actum in curiâ Sancti-Michaëlis (1).

Au nombre des personnes désignées comme présentes, nous en trouvons cinq sous le titre de clercs, savoir: Valterre, doyen de Bar, Rodolphe et Lambert, prêtres, Gérard d'Ersée et Hugues de Kœurs. Ici le titre de clerc ne se tire pas de la

(1) Calmet, t. VI, preuve V.

qualité de prêtre, comme on aurait pu le soupçonner dans le jugement précédent, puisque les deux derniers ne l'ont pas : ceux-ci sont donc encore des légistes appelés pour la légalité de la procédure et du jugement, comme nous le verrons encore au quinzième siècle. Nous y recueillons aussi les noms de quelques-uns des hauts hommes du pays, dont la Cour était composée sous le titre de pairs; ce sont: Vautier de Gondrecourt et son frère, Eudes de Floriac, Thierry de Sorcy, Thiéry de........, Falcon et Hély de Belrain, Richier de Saint-Médard, Gérard, châtelain de Bar, Richier de Bulrac, Geoffroy et Gérard frères.

Un acte émané de la même Cour, tenue en 1146, à Monçon, par le même comte Renaud, en présence de ses fils, se termine ainsi : Actum apud Montiacum in curiâ publicâ à Renaudo comite, coram filiis ejus. Les personnes appelées à composer la Cour, sont : Warin et Geoffroy, son neveu, Varnier, châtelain de Saint-Michel, Renaud, son frère, et Gérard, fils de Liétard.

Cet acte est la donation faite à l'église Saint-Thiébaut, sur le ruisseau de Marsoupe, de l'aleuf de Creuë, par un nommé Bernacrius. Il nous montre que la Cour du prince ne s'occupait pas seulement de la justice, mais qu'elle recevait aussi des actes de pure faculté, qui, passés en présence du souverain et sous l'autorité de son sceau, en acquéraient sans doute plus de force: Ut secundùm sacras legesrata sint ex antiquâ auctoritate sigilli mei impressione firmari.

Il est à remarquer que, dans cet acte, Renaud ne prend que la qualité de comte de Monçon, probablement parce qu'il est passé dans le comté. Il paraît que, dans ce temps, c'était l'usage, de la part du prince, de prendre le titre seul du comté dans lequel il faisait des actes de la puissance souveraine, témoin la comtesse Sophie, qui ne prend que la qualité de com

tesse d'Amance dans un acte passé dans cette ville en 1085, quoiqu'elle fût comtesse de Bar depuis près de 53 ans (1).

Ces trois jugements ou actes de la Cour des Grands-Jours sont les sèuls d'une période de cinquante-cinq ans qui soient venus à notre connaissance, et nous n'en avons vu aucun autre jusqu'au règne du cardinal Louis (1415-1419). Ils sembleraient déposer que la Cour n'avait point encore de siége fixé pour toutes les parties de la souveraineté ; cependant la manière dont est daté le jugement de 1155, dont nous venons de citer une partie Actum in curiâ Sancti Michaëlis, mise en opposition avec les dates des deux autres, prête à penser que l'établissement à Saint-Mihiel remonterait au moins au règne de Renaud Ier, opinion qu'étaye une enquête de 1215, citée par Calmet, qui eut lieu devant le bailly de Vitry, sur les limites du royaume de France et du comté de Bar, de laquelle il résulte que le ruisseau de Brieule, entre Sainte-Menehould et Clermont, les formait, et que l'appel des jugements rendus dans la partie barroise se portait aux Grands-Jours de Saint-Mihiel, d'où l'on peut conclure que dès avant cette époque de 1215, la Cour avait cessé d'être ambulatoire et avait son siége fixé dans cette ville.

M. de Rogéville cite, dans son Dictionnaire des ordonnances, des tenues de 1574, 83, 84, 91, 96, 1402, 18, 47, 97 et 1532; nous n'avons rien vu des six premières; nous connaissons celle de 1418, sous le cardinal-duc Louis, par un arrêt du 12 novembre; celle de 1497, présidée par le duc René II, par un arrêt du neuvième jour des Grands-Jours, qui commencèrent le 11 du mois de novembre, c'est-à-dire le 20 de ce mois, et lors de laquelle tenue le prince fut régalé de tortis ou couplets composés par le prieur de Saint-Blaise pour

(1) Calmet, t. IV, preuve V.

être chantés à sa table. (Comptes de la pitancerie.) Enfin, les tenues de 1446 et 1456, aussi par commissaires.

Le premier des arrêts dont nous venons de citer les dates maintient l'abbaye de Saint-Mihiel dans la jouissance des droits que, de toute ancienneté, elle avait à Condé, et dont l'exercice et la connaissance lui étaient contestés par le prévôt de Bar qui y prétendait, attendu que ce lieu était enclavé dans sa juridiction. Le prévôt-moine de Condé avait appelé de la sentence du prévôt par-devant le bailli de Bar en ses assises, dont le lieutenant appointa les parties; le prévôt-moine porta appel de cette décision par-devant la Cour des Grands-Jours, qui ordonna d'abord une enquête par-devant Pierre Macabre, licencié ès-lois, et Renaut Delacour, tous deux commissaires, et d'après laquelle intervint arrêt qui maintint les religieux aux droits par eux prétendus.

Ainsi, on voit l'action portée devant le prévôt, du prévôt devant le bailli, enfin de celui-ci devant la Cour.

Cet arrêt est intitulé du nom du duc Louis, il est ainsi conçu : Savoir faisons que vu et visité le dit procès, en sus icelui grande et mehure délibération, nos dits conseillers, par leur sentence et arrêt de nos dits Grands-Jours de Saint-Mihiel, ont dit et prononcé etc. etc. Il semblerait que le prince n'a point participé au jugement de cette affaire, que l'arrêt a été rendu et rédigé par des commissaires, et que si son nom est employé, c'est pour donner à la décision l'autorité nécessaire pour en venir à la consécration du droit reconnu ; ce qui fonde notre doute, c'est que des arrêts rendus postérieurement par commissaires, dont on connaît le choix par des lettres d'évocation sont d'une rédaction pareille. Cet arrêt est daté du septième jour des Grands-Jours qui commencèrent le sixième jour de novembre, c'est-à-dire du douze du même mois, manière de dater, même dans les tenues par commissaires que nous citerons.

T

Quant à la qualité de licencié és-lois donnée à Pierre Macabre, elle semble nous révéler, à supposer que le prince ait présidé la Cour composée de hauts hommes, que l'on avait continué à y appeler des légistes.

Nous avons cru devoir faire remarquer, par la date citée, que l'arrêt en question a été rendu le septième jour de la session, d'où l'on peut conjecturer que les six autres jours avaient pu être employés au jugement d'autres affaires qui y étaient portées, d'après l'usage de crier les Grands-Jours, soient qu'ils dussent être présidés par le souverain, soit qu'ils dussent être tenus par commissaire, ensuite d'évocations particulières, qui en attribuaient la connaissance aux mêmes dé légués investis par là du droit d'en connaître pour toute la

tenue.

La même difficulté ne se présente pas pour celle de 1446, et nous avons l'ordonnance de René Ier, datée de SaintMihiel, le 6 mai 1445, par laquelle ce prince, sur la poursuite des mêmes religieux, commet Joannes de la Reauté, lieutenant-général du bailliage, et Jacquemin de Gondrecourt, naguères nostre procureur audit bailliage, pour connaître de la cause de l'appel interjeté par Jean de Saint-Loup, bailli du Bassigny et voué de Jainvelotte, du « principal des dépendan> ces d'icelle, connaître, juger et déterminer comme on pour»rait le faire par devant nos féals les gens commis à tenir > iceux, si la cause était ventillée, laquelle appellation en fa» veur de l'église avons, de notre pleine puissance et auto> rité, évoqué et évoquons par devant nous. >

Encore bien que les faits constitutifs des affaires portées devant la Cour des Grands-Jours soient par eux-mêmes indifférents après quatre siècles, les circonstances qu'elles retracent demandent à être développées.

Mais, avant tout, il convient de faire remarquer qu'à l'avè

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