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DES JURIDICTIONS

ANCIENNEMENT ÉTABLIES

EN LA VILLE DE SAINT-MIHIEL;

DISSERTATION

DE FEU M. MARCHAND,

Avocat à Saint--Mihiel.

De la Prévôté.

Suivant toujours le système de l'omnipotence qu'il attribue à son monastère, D. Delisle, après avoir dit (p. L de l'introduction à l'Histoire de l'abbaye de Saint-Mihiel): « que la justice et la juridiction qui lui appartenait au temps du traité d'accompagnement (1251) était la seule qui subsistât à SaintMihiel,» ajoute (p. LI) : « qu'on ne trouve ni vestiges, ni documents de juridictions établies en cette ville par les comtes de Bar, et que celles-ci ne le furent qu'après le traité de Bruges (1301). :

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Rien n'est moins prouvé que l'assertion de ce bon religieux, et lui-même a fourni des armes contre ce qu'il avance en publiant la charte intitulée: Onera abbatum (1155). où l'on

trouve, d'une part, que l'abbaye n'avait que la moyenne et la basse justice, et de l'autre, que le prévôt-moine ne connaît des actions réelles qu'en première instance. Or, si d'après la première de ces déclarations, la haute justice n'appartenait pas à l'abbaye, on doit, à défaut d'autres indications, en conclure qu'elle appartenait au souverain en qualité de seigneur de la terre, et, comme les cas qu'elle embrasse étaient nombreux, qu'il existait des officiers chargés de l'administrer. Quant à l'autre déclaration, elle fait suffisamment supposer une juridiction supérieure, et la charte gardant le silence à cet égard, il faut en conclure encore que cette juridiction était comprise parmi les droits du souverain, qu'elle ne pouvait être autre que la Cour des Grands-Jours, et que celle-ci avait au moins à Saint-Mihiel la fixité qu'elle empruntait au séjour du prince dans cette ville. Mais peut-être y avait-elle été établie dès le principe, comme on peut l'induire d'un arrêt de 1135, qui se termine ainsi : Actum in curiâ Sancti-Michaëlis, tandis que deux autres arrêts, des années 1091 et 1146, rendus l'un à Bar, l'autre à Monçon, mentionnent simplement qu'ils l'ont été en audience publique in curiâ publicâ. En effet, les comtes de Bar, présidant la Cour des Grands-Jours, ils pouvaient la tenir, comme on voit, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, suivant que, dans leurs voyages, il se présentait des cas qui requéraient leur intervention.

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Mais le titre d'accompagnement (1251) que D. Delisle cite, dit le contraire de la prétention, car le couvent, en établissant que les halles doivent être assises en lor ban et lor justice, fait là une réserve ou une condition qui, loin d'exclure une autre juridiction, la démontre. En effet, s'il n'y avait eu que celle de l'abbaye pour les deux parties de la ville, la réserve était inutile, puisque l'attribution eût été de droit à celle-ci, et tout ce que l'on peut en induire, c'est que le couvent, qui

avait intérêt à ce que la halle demeurât toujours dans son ban comme elle y était depuis l'établissement qu'en avait fait l'abbé Etienne (vers 900), n'avait entendu rien autre chose que conserver un droit préexistant de plus de trois siècles à la concession qu'il faisait au souverain. Les droits de celui-ci sur le bourg n'étaient-ils pas certains et sans partage, et l'abbaye ne pouvait-elle pas craindre d'y voir ajouter, un jour, des droits semblables sur la halle (1) ?

Pour bien établir ceux des comtes de Bar sur cette partie, il faut se rappeler qu'elle avait été fermée de murailles par la comtesse Sophie, qui y avait ajouté une forteresse qui la dominait et dont les ruines portent encore le nom de cette princesse ; que le développement de son enceinte est assez grand pour faire supposer une population considérable, et autoriser à penser que les princes n'auraient pas négligé de lui donner les institutions propres à la protéger dans ses personnes, dans ses biens et dans son commerce; alors il ne sera pas étonnant de voir des prévôts de Saint-Mihiel établis dès l'an 1051, comme en dépose la charte de donation à l'abbaye de Saint-Mihiel de l'église de Domremy et de la chapelle de Lacroix, au nombre des témoins de laquelle signe le prévôt Etienne, et de trouver depuis cette époque jusqu'au temps, non-seulement du traité d'accompagnement, mais encore du traité de Bruges, une suite de ces officiers en assez grand nombre et à des dates assez suivies pour que l'on soit assuré, malgré quelques lacunes, que la succession n'en avait pas été interrompue. Tels sont, après le prévôt Etienne, en 1051, les prévôts :

Albric ou Albéric, en 1064,

(1) On sait que la Halle et le Bourg sont deux quartiers distincts de la ville de Saint- Mihiel, et que lear fondation remonte à des épo-ques différentes.

Hardouin, en 1090,
Varmand, en 1092,

Arnould, en 1106,

Rohard, en 1149,

Albéric, en 1216,

Eudes, en 1224,

Aubry de Clermont, en 1260,

Jehan, dit Renard, en 1315.

Nous faisons observer que D. Delisle nous a fourni les noms des deux premiers dans la publication qu'il a faite des actes à l'appui de son Histoire, et que, dans celui de 1149, où figure le prévôt Rohard, il est ainsi désigné : Rohardus prepositus comitis.

Ainsi il faut en conclure, contre le sentiment de D. Delisle, que les comtes de Bar avaient établi à Saint-Mihiel une juridiction toute particulière et distincte de celle de l'abbaye, qui ne pouvait s'étendre qu'à ses sujets. Il serait assez difficile, en effet, d'imaginer comment le bourg et ses dépendances seraient demeurés près de quatre siècles sans administration judiciaire; comment le traité de Bruges, en soumettant les comtes de Bar à l'hommage envers la France pour la partie du Barrois au-delà de la Meuse, aurait été sans influence sur leur puissance hors de la mouvance, et comment les choses auraient tellement changé à cette époque, qu'elles auraient demandé des institutions dont jusque-là on n'aurait pas même eu l'idée.

D. Delisle aura été trompé en confondant les deux parties de la ville, dont l'une était bien la ville de l'abbaye qui l'avait créée. Il est vrai que la charte Onera abbatum prête à l'idée de cette extension, quand elle dit : « que le prévôt-moine connaît de tout ce qui peut concerner la seigneurie foncière dans tout le finage de la ville de Saint-Mihiel ; » mais il au

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