Page images
PDF
EPUB

avec plus d'impartialité. Déjà, dans plusieurs parties de l'Europe, et notamment sur nos frontières, il se met en mesure d'en profiter.

Quoi qu'il en soit, l'on ne peut se dissimuler qu'il faut réellement un esprit et un désintéressement supérieurs, pour consentir à admettre des doctrines nouvelles que l'on juge devoir battre en ruine tout ce que l'on a appris, avec tant de peine, pendant tout le cours de sa vie, et sur quoi on se plaisait à compter pour accroître sa réputation. Est-il bien certain qu'en ce sens, malgré le génie de Descartes, son amour-propre se fût aisément plié à adopter, sans contestation, les immortelles découvertes de Newton ? Les hommes sont tels en général, que leurs habitudes et leurs préjugés enracinés ont toujours été le fléau le plus terrible de toute espèce d'amélioration.

Galilée en fit la triste expérience; combien d'autres comme lui n'en ont-ils pas été les victimes? Faudra-t-il donc toujours, pour

conserver sa tranquillité, quelquefois même son existence, imposer à son génie des bornes qu'il voudrait franchir ?....

Les recherches de Carnot et ses nouvelles combinaisons, ne lui obtinrent donc de la part de ses chefs aucun encouragement; il ne tarda même pas à se convaincre qu'ils commençaient à le considérer comme un novateur qui pourrait devenir un jour dangereux pour leur quiétude. Ce fut pour lui le germe de plusieurs désagrémens qu'il eut à éprouver dans le cours de sa carrière militaire, ces mêmes hommes étant devenus près du gouvernement les arbitres de son sort aussi fut-ce vainement qu'il adressa, en diverses circonstances, plusieurs mémoires au ministère de la guerre; ces mémoires ne servirent qu'à affermir ses supérieurs dans leur opinion, sur les inconvéniens qui pourraient résulter pour eux, de prêter la main à un changement quelconque.

Plusieurs écrivains ont affirmé que Carnot avait eu un avancement rapide qu'il avait

dû à la protection du prince de Condé ; mais il est notoire qu'il ne parvint jamais, dans son arme, qu'à son rang qu'à son rang d'ancienneté. L'on verra plus tard que cette fable a été inventée dans l'intention de faire planer sur lui un reproche d'ingratitude, dans l'exercice rigoureux de ses fonctions politiques.

C'est dans le même esprit que certains écrivains l'ont accusé de s'être élevé contre les rois, dans sa réponse à Bailleul, lors de sa proscription au 18 fructidor; quand, disaient-ils, il ne devait la tranquillité dont il jouissait dans son exil qu'à l'extrême bienveillance des souverains. Pendant toute la durée de cette proscription, il n'a jamais cessé de conserver le plus stricte incognito, et d'ailleurs il n'a habité que des contrées républicaines; d'abord Genève, puis quelques cantons de la Suisse et Nuremberg, d'où il n'est rentré en France qu'après le 18 brumaire : c'est cependant ainsi que passion et l'ignorance écrivent l'histoire !... Carnot trouva dans l'étude d'amples com

la

posa

pensations aux désagrémens qu'on lui faisait essuyer: il chercha un nouvel aliment à sa laborieuse activité, dans la tâche qu'il s'imd'achever l'instruction d'un de ses frères qui se destinait, comme lui, au service dans l'arme du génie; il lui fit faire des progrès si rapides, qu'en moins de six mois il le mit à même de concourir avec les nombreux élèves qui suivaient les cours spéciaux des professeurs de Paris, depuis plusieurs années : il eut la satisfaction de voir couronner immédiatement ses efforts par le plus brillant succès.

Plusieurs années s'écoulèrent ensuite sans qu'il cessât de cultiver assidument l'étude des sciences, à laquelle son ardente imagination lui fit bientôt joindre, comme un délassement, celle des lettres.

L'académie de Dijon avait mis au concours, avec un double prix, l'éloge du maréchal de Vauban; Carnot pensa qu'étant le compatriote, et, par ses études ainsi que par son emploi, un des élèves et des succes

seurs de ce grand homme, il ne pouvait mieux faire l'essai de ses talens qu'en les consacrant à sa gloire. Il y fut encore déterminé par la haute estime qu'il avait conçue pour la plu

[ocr errors]

part des savans et des littérateurs qui devaient être ses juges, pour une académie célèbre qui avait eu le courage de décerner le prix à J. J. Rousseau sur une question où il avait fallu s'élever au-dessus des préjugés et de tout esprit de corps.

Le travail de Carnot fut couronné, avec le plus grand éclat, pendant la tenue des Etats de la province dont était gouverneur le prince de Condé; il reçut le double prix des mains du prince, qui, dans ce jour solennel, présidait l'Académie. Celui-ci ayant paru flatté du remercîment de Carnot, on supposa qu'il se ferait un plaisir de protéger un jeune officier né dans son gouvernement; mais Carnot n'eut jamais depuis aucune relation avec ce prince.

Cet éloge de Vauban parut à Dijon en 1784, et commença sa réputation dans le

« PreviousContinue »