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conservation de la liberté. Le retour à l'ancien ordre de choses, lors même qu'il aurait été praticable, eût été une nouvelle révolution, et n'aurait pu avoir lieu que par des secousses encore plus violentes.

Carnot pensait, au surplus, que si la constitution devait être modifiée, un tel acte de souveraineté ne pouvait appartenir qu'à une nouvelle Assemblée, revêtue des pleins pouvoirs de la nation, et que les devoirs ainsi que les droits de l'Assemblée législative devaient se borner à conserver la liberté intacte.

Sans doute cette Assemblée eût pu imiter l'Assemblée constituante, et, en s'emparant de tous les pouvoirs, décréter elle-même une nouvelle constitution; mais outre que c'eût été donner aux législateurs qui devaient lui succéder un exemple dangereux, elle crut qu'elle devait en agir avec plus de modération, et qu'en appelant une convention elle satisferait mieux le vœu général qu'en conservant une autorité qu'on aurait pu lui

disputer, ce qui eût amené, peut-être, de nouveaux désordres. Elle se contenta donc de prendre les mesures préparatoires qu'elle jugea indispensables, pour qu'à son arrivée l'Assemblée qui lui succéderait pût discuter et adopter celles qu'elle jugerait les plus convenables.

Proposer une nouvelle Assemblée était renoncer à toute influence, et conséquemment à tous les avantages qu'on devait s'en promettre; c'était témoigner peu d'ambition, mais seulement l'ardent désir de voir succéder à un ordre de choses qui ne pouvait subsister celui qui, seul, pouvait assurer la liberté pour laquelle la nation avait déjà fait tant de sacrifices, n'importe par quelles

mains.

On ne peut se dissimuler que cette abnégation de ses intérêts personnels ne fit infiniment d'honneur à l'Assemblée législative, et particulièrement à ses membres les plus influens, au nombre desquels était Carnot; ne se trouvant pas sur les lieux au mo

ment des élections, il était à croire que très-peu d'entre eux seraient réélus. Carnot le désirait vivement, afin que les nouveaux députés, n'ayant point participé aux divers événemens qui avaient amené la crise, ils pussent mieux connaître, à cet égard, l'opinion publique sans se laisser entraîner par aucune passion particulière, étrangère au bien général.

Il souhaitait rentrer personnellement dans la vie privée; mais ayant été de nouveau élu par le même département qui l'avait nommé à l'Assemblée législative, il ne crut pas devoir se refuser aux marques réitérées de la confiance de ses concitoyens, quelques dangers qu'il prévît dans la nouvelle carrière qu'il allait parcourir.

A l'Assemblée législative il avait été successivement nommé membre du comité d'instruction publique, du comité diplomatique ainsi que de plusieurs commissions temporaires, tant dans le sein de l'Assemblée que dans les départemens et aux armées auprès

desquelles il fut chargé de diverses missions. Il ne cessa d'y déployer des talens, de la douceur et de la fermeté; ne fit jamais arrêter qui que ce fût, non plus que dans les autres nombreuses et importantes missions qu'il eut à remplir lors de la Convention; il se contenta d'écarter quelquefois des emplois les personnes qu'il jugeait pouvoir être nuisibles à la chose publique; encore ne fut-ce qu'après s'être convaincu qu'il y avait absolue nécessité. Il s'attacha particulièrement à connaître les hommes de mérite, dans quelques rangs qu'ils se trouvassent placés, pour les employer selon leurs talens; c'est ainsi qu'un très-grand nombre d'officiers lui ont dû un avancement rapide, et qu'ils ont presque toujours justifié ses choix.

Carnot pensait que rien n'était aussi facile que d'avoir d'excellens officiers dans tous les grades, en se faisant un devoir de les choisir dans les rangs d'après leur capacité et leur courage; aussi s'occupait-il essentiellement d'en tenir un contrôle exact et raisonné; il

était rare qu'un homme de mérite pût lui échapper, ne fût-ce qu'un simple soldat (4). Il ne concevait pas comment une armée commandée par des généraux, choisis seulement dans une classe obligée et peu nombreuse, pouvait espérer de lutter longtemps avec avantage contre une armée qui avait pour chefs des généraux tirés des rangs avec quelque discernement. Les Turenne et les Condé lui paraissaient des hommes trop rares pour compter qu'il s'en trouvât autant que les besoins pouvaient l'exiger, tandis que la riche mine qu'on avait à exploiter dans les rangs était inépuisable.

C'était à ces choix heureux que, par une modestie qui ne s'est jamais démentie, il attribuait les triomphes de nos armées : il se trouva néanmoins très-souvent en butte au mécontentement et aux menaces d'hommes à prétentions, ainsi qu'à l'ingratitude et à la jalousie de quelques-uns de ceux qui lui devaient, autant peut-être qu'à leurs talens, les emplois distingués où il les avait élevés. Il

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