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quelque sainct pontife, soutenu par des monarques pieux et sages, tels que sont le pape, l'empereur et de France d'à présent, la guerre à part.

le

roy

A cela quelques zélés, de part et d'autre, opposent qu'il est impossible à vostre party de donner les mains à cette réunion, dangereux au nostre de s'y commettre, et difficile d'y disposer les uns et les autres. On convient de la difficulté; mais elle doit plustost animer que rebuter les bien intentionnés, d'autant qu'il ne s'agit pas encore de l'exécution, mais seulement des mesures préalables pour sçavoir jusqu'où il seroit possible d'aller, en cas que les esprits feussent disposés; car c'est par là qu'il faut commencer, pour avoir quelque fondement solide de la négotiation. П y a moyen de satisfaire à ceux qui s'imaginent du danger du costé des protestans; mais présentement il ne s'agit que de respondre à ceux de vostre party qui tiennent qu'il n'est point loisible d'y consentir. Car, disent-ils, l'Église a décidé ces controverses dans le concile de Trente: or nous tenons l'Église pour in faillible; ainsi nous ne sçaurions laisser en suspen les controverses qui sont déjà décidées. Cette difficulté, quelque grande qu'elle paroisse, a pourtant esté levée par les habiles gens de vostre party. On convient donc que ceux qui tiennent le concile de Trente pour œcuménique ne doivent plus douter de ses décisions; mais cela ne les doit pas empescher d'estre réunis avec ceux qui, n'ayant point cette opinion de ce concile, par des raisons qu'ils jugent invincibles, ne sçauroient estre obligés de s'y sousmettre. Il y a des exemples de ce tempérament dans l'Église romaine mesme; car l'Italie reconnoist certains conciles

pour œcuméniques, et la France, d'autres ; chaque nation se tenant aux décisions du concile qu'elle approuve, et les croyant de foy, sans pourtant prétendre par là traicter d'hérétiques ceux du party contraire, parce que l'opiniastreté qui fait l'hérésie n'est pas dans ceux qui, par une ignorance moralement invincible, se trompent sur le poinct de faict, qui est l'authorité de quelque concile. De sorte que, si le nord de l'Europe estoit réuny avec le reste sous la hiérarchie romaine, aussi bien que l'Italie et la France le sont déjà, les différentes opinions de ces deux grands partis sur le concile de Trente et sur ses décisions ne seroient pas moins compatibles avec l'unité ecclésiastique, que nous voyons estre celles qu'on a en France et en Italie sur les décisions des conciles de Constance, de Basle, du dernier de Latran, et mesme d'autres. M. l'évesque de Meaux n'a point nié ces choses directement, il ne sçauroit; mais il a cherché des biais pour les éviter: Cependant l'opinion de M. de Loccum est que c'est là le fondement de toute la négotiation et de toutes les espérances d'une bonne paix, et j'ay tousjours esté du mesme sentiment; car des abus intolérables qui ont cours n'estant pas authorisés par une décision formelle de vostre Église, et mesme estant désapprouvés hautement par des personnes considérables parmy vous, nous ne les considérons point comme un obstacle invincible.

M. de Meaux semble différer de s'expliquer sur ce poinct de la suspension de certaines controverses. Nous demeurons d'accord qu'il le faut éviter autant qu'il est possible; mais il faut tousjours convenir qu'elle est loisible en cas de nécessité, lorsqu'il y faut

venir pour procurer un si grand bien aux âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ; et il faut accorder, au moins conditionnellement et hypothétiquement, ou dans la théorie, que-si le Nord estoit disposé à se réunir avec Rome, et qu'il n'y eust point d'autre difficulté que le refus qu'il feroit de reconnoistre des décisions dont l'authorité luy paroist douteuse, il seroit possible au pape de recevoir tant de peuples, comme il reçoit les François, qui refusent le dernier concile de Latran, que Rome tient pour œcuménique. Si M. l'évesque de Meaux s'explique sur cet article avec sa justesse et sa modération ordinaires, il y aura moyen de concourir sincèrement et d'avancer seurement, et l'on pourra bastir sur un fondement si solide, en diminuant considérablement les controverses pour rendre la réunion encore plus aisée qu'elle ne semble estre d'abord. Je ne voy point le moindre danger ny aucune considération qui puisse détourner cet illustre prélat de l'aveu sincère d'une vérité si constante dans son party, puisqu'il luy reste tousjours la réservation de ce qui est nécessaire dans l'application et dans les dispositions préalables. Et je le tiens trop porté à la gloire de Dieu et au bien des âmes pour oser le soubçonner d'un ménagement mondain et politique dans cette rencontre, quoyque je ne voye pas mesme de danger de ce costé-là, à moins qu'on ne veuille porter la délicatesse à un poinct extraordinaire en craignant trop le jugement des hommes,. qu'on doit le moins appréhender.

C'est à vous, Madame, de faire icy la médiatrice et de nous procurer un aussi grand bien que seroit une démarche qui nous mettroit véritablement en train.

Servez-vous aussi du crédit que vous avez auprès de madame de Maubuisson. Cette princesse, dont les lumières sont si grandes, y pourra contribuer beaucoup. M. l'évesque de Meaux ne luy refusera pas une déclaration distincte sur ce poinct préliminaire, qui nous arreste tout seul. J'ay supplié madame la duchesse d'Hanover d'interposer encore son authorité. Cette princesse, quoyqu'elle soit du party de Rome, est pourtant si éloignée des fausses dévotions, aussi bien que mesdames les princesses ses filles, qu'on les peut proposer pour un modèle, et qu'on peut dire qu'elles sont capables de faciliter la réunion aussi bien par leur exemple que par la pénétration de leur esprit. On n'a qu'à les monstrer aux protestans les plus emportés contre les abus de Rome pour les faire revenir de leur entestement; et vous aviez eu raison de dire, dans vostre lettre, qu'elles ne donneroient pas une mauvaise idée des practiques de vostre religion. L'esprit élevé et les grandes connoissances que madame la duchesse a acquises mesme sur le faict de la religion, joinctes au poids que l'esclat de sa qualité peut donner à ses raisons, de part et d'autre, me donnent de l'espérance. L'électeur et l'électrice, avec toute la maison de Brunswick, ont pour elle une déférence des plus grandes. Et s'il estoit à nous de faire une démarche, asseurez-vous que sa seule présence suffiroit pour l'obtenir. Mais nos théologiens ayant faict depuis peu un pas solennel et authentique, dont on peut dire qu'il n'y en a pas eu de plus grand depuis le commencement de la réforme jusqu'à nous, ils ne sçauroient aller plus avant sans que vostre party fasse quelque chose de proportionné:

autrement ils seroient blasmés avec raison et feroient du tort à leur party, ou plustost au sainct ouvrage dont il s'agit. Et M. l'abbé de Loccum, en son particulier, ne sçauroit s'éloigner des principes dans une convocation dont il estoit le chef, ny entrer en matière qu'avec ceux qui en conviennent, comme firent ceux de vostre party avec lesquels on a commencé de traicter, parce qu'ils voyoient bien que sans cela on n'entreroit jamais en négotiation. Je vous conjure donc, Madame, à mon tour, de travailler à applanir cette difficulté, et de vous proposer, comme aux autres, que c'est effectivement le plus sainct et le plus grand dessein qu'on puisse entreprendre. J'auray bientost l'honneur d'escrire à M. l'évesque de Meaux et de luy envoyer une partie de ce qu'il désire. Je ne manqueray pas aussi de remercier M. l'abbé Ferrier, quand j'auray receu l'ouvrage posthume de feu nostre excellent amy M. Pellisson. Cependant, je suis avec zèle, etc.

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Vostre Altesse Sérénissime ayant paru surprise de ce que j'avois dict sur le concile de Trente, comme s'il n'estoit pas receu en France pour règle de foy, j'ay jugé qu'il estoit de mon devoir de luy en ren

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