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inventions. « Le marquis de Worcester, dit Walpole, s'est montré >> sous deux caractères bien différents; savoir, comme homme >> public et comme auteur. Comme homme public, c'était un >> homme de parti ardent ; et comme auteur, c'était un mécanicien >> original et fertile en projets chimériques; mais il était de bonne >> foi dans ses erreurs. Ayant été envoyé par le roi en Irlande, » pour négocier avec les catholiques révoltés, il dépassa ses >> instructions et leur en substitua de son fait, que le roi désavoua, >> mais toutefois en le mettant à l'abri des conséquences fâcheuses » que pouvait avoir son infidélité. Le roi, avec toute son affection » pour le comte (il était alors comte de Glamorgan), rappelle » dans deux de ses lettres son défaut de jugement. Peut-être Sa » Majesté aimait-elle à se confier à son indiscrétion, car le comte >> en avait une forte dose. Nous le voyons prêter serment sur ser>> ment au nonce du pape, avec promesse d'une obéissance illi» mitée à Sa Sainteté et à son légat; nous le voyons ensuite » demander cinq cents livres sterling au clergé d'Irlande, pour >> qu'il puisse s'embarquer et aller chercher une somme de cin» quante mille livres sterling, comme ferait un alchimiste qui » demande une petite somme pour procurer le secret de faire de >> l'or. Dans une autre lettre, il promet deux cent mille couronnes, >> dix mille armements de fantassins, deux mille caisses de pisto>> lets, huit cents barils de poudre, et trente ou quarante bâtiments » bien équipés; et tout cela, au dire d'un contemporain, lorsqu'il » n'avait pas un sou dans sa bourse, ni assez de poudre pour > tirer un coup de fusil (1). »

(1) Robert Stuart va jusqu'à mettre en doute la réalité des inventions du marquis. « S'il est vrai, dit cet historien, que le marquis ait jamais fait des expériences sur l'élasticité de la vapeur (car il est permis de mettre en doute l'expérience du canon), ou ait tenté de mettre à exécution son projet, en construisant une machine, il est vrai de dire qu'il ne reste aucune trace ni de ses expériences, ni de son appareil : aussi il est plus raisonnable de révoquer en doute les travaux dont il se glorifie. La clause de l'acte du parlement par laquelle on lui accorde le privilége de son monopole fortifie singulièrement notre soupçon, et lui donne presque un caractère de certitude: car il y est expressément dit (et cette clause prouve que le procédé était tout nouveau) que le brevet a été délivré au marquis sur sa simple affirmation qu'il était l'auteur de la découverte. Il n'est pas vraisemblable qu'on eût motivé ainsi son brevet, s'il eût eu une machine à montrer ou une expérience à rapporter. »

Tel est le personnage auquel on veut faire jouer le rôle d'inventeur de la machine à feu. Il est difficile qu'au milieu des événements de sa carrière agitée il ait trouvé des loisirs à consacrer à l'étude des sciences. Ses écrits concernant la mécanique se bornent à son petit livre Century of inventions. Nous n'avons rien à dire en effet d'un autre ouvrage qu'il publia sous le titre de An exact and true definition, etc. (Définition vraie et exacte de la plus étonnante machine hydraulique inventée par le très honorable Edouard Somerset, lord-marquis de Worcester, digne d'être loué et admiré, présenté par Sa Seigneurie à Sa Majesté Charles II, notre très gracieux souverain). Cette définition vraie et exacte n'est consacrée qu'à l'énumération des usages extraordinaires de son admirable méthode d'élever l'eau par le moyen du feu. L'ouvrage ne contient pas une ligne relative à la description de l'appareil; tout se réduit à une exposition emphatique des services qu'il peut rendre. On y trouve ensuite un acte du parlement qui accorde au marquis le privilége de sa machine, quatre mauvais vers de sa façon en l'honneur de sa découverte, puis le exegi monumentum d'Horace, le tout glorieusement terminé par quelques vers latins et anglais à la louange du noble inventeur, dus à la plume de James Rollock, vieil admirateur de Sa Seigneurie.

Il est assez curieux de savoir comment est venue aux savants anglais l'idée d'attribuer l'invention de la machine à feu au nébuleux auteur du Century of inventions. Au commencement du XVIIIe siècle, lorsque furent construites les premières machines à vapeur qui aient fonctionné en Europe, des discussions assez vives s'élevèrent entre plusieurs mécaniciens qui réclamaient la priorité de l'invention. Le capitaine Savery, qui, comme nous le verrons, a construit la première machine à vapeur qu'ait employée l'industrie, voulait s'attribuer l'honneur tout entier de cette découverte. Denis Papin, informé de ses

prétentions, écrivit aussitôt pour établir ses droits de priorité : l'illustre physicien vivait alors en Allemagne; son refus d'abjurer la religion réformée lui interdisait l'entrée de la France. Il y avait alors à Orléans un savant abbé, nommé Jean de Hautefeuille, grand amateur de mécanique, et qui nous est connu par quelques travaux sur lesquels nous reviendrons. Le pieux abbé ne put supporter la pensée de voir décerner à un hérétique l'honneur d'une si importante découverte, et dans un de ses opuscules (1), il contesta les droits de Papin. Ce fut alors que les Anglais, entrant dans la querelle, produisirent l'ouvrage, jusque-là inaperçu ou méprisé, du marquis de Worcester. Cette intervention, qui semblait mettre les parties d'accord, termina le débat, et la victoire resta acquise au génie britannique. Mais, on le voit, le zèle de l'abbé de Hautefeuille avait été bien mal inspiré, car le marquis de Worcester, en sa qualité d'Anglais, était tout aussi hérétique que Papin; ainsi l'abbé de Hautefeuille n'avait rien fait gagner à la religion, et du même coup il avait dépossédé sa patrie de la gloire légitime qui lui revenait.

(1) Lettre de M. de Hautefeuille à M. Bourdelot, premier médecin de madame la duchesse de Bouillon, sur le moyen de perfectionner l'ouïe, 1702, p. 14.

CHAPITRE IV.

Naissance de la physique moderne.

Découvertes de Torricelli et de

Pascal. Expérience de Périer sur le Puy-de-Dôme. Invention de Application de ces découvertes à la

la machine pneumatique. création d'un moteur universel.

Cependant le moment approchait où les vagues et confuses notions de la physique du moyen âge allaient faire place à une science positive. L'institution de la physique moderne date, avons-nous vu, de la mort de Galilée. On aurait dit que les sciences n'attendaient que la mort de l'illustre philosophe pour prendre l'essor qu'elles devaient à son génie. La découverte du baromètre par Torricelli et Pascal marqua le premier pas de la physique naissante. Comme cette grande découverte se lie de la manière la plus étroite à celle de la machine à vapeur, ou plutôt comme la machine à feu proposée par Denis Papin, en 1690, n'est que la conséquence et l'application des faits mis en lumière par suite de l'invention du baromètre, nous devons rappeler la série de circonstances qui amenèrent les physiciens du XVIIe siècle à découvrir les effets de la pression atmosphérique.

En 1630, le doux et modeste Torricelli, qui, comme Pascal, devait mourir à trente-neuf ans, étudiait les mathématiques à Rome, et manifestait les dispositions brillantes qui devaient le placer bientôt au rang des premiers géomètres de son époque. Il se lia intimement avec Castelli, le disciple chéri de Galilée. Castelli retira le plus grand profit, pour ses travaux, des conseils du jeune mathématicien romain, et en retour il commu

niqua à son ami les découvertes et les vues scientifiques de Galilée. C'est ainsi que Torricelli fut amené à connaître le fait qui devait donner naissance entre ses mains à la découverte du baromètre.

Les fontainiers du grand-duc de Florence avaient construit, pour amener l'eau dans le palais ducal, des pompes aspirantes dont le tuyau dépassait quarante pieds de hauteur: quand on voulut les mettre en jeu, l'eau refusa de s'élever jusqu'à l'extrémité du tuyau. Galilée, consulté sur ce fait, mesura la hauteur à laquelle s'arrêtait la colonne d'eau, et la trouva d'environ trente-deux pieds. Il apprit alors des ouvriers employés à ce travail que ce phénomène était constant, et que l'eau ne pouvait jamais s'élever, dans les pompes aspirantes, à une hauteur supérieure à trente-deux pieds. L'ascension de l'eau dans les pompes s'expliquait alors par le principe de l'horreur du vide, axiome célèbre de la scolastique : la nature, disait-on, n'admettait que le plein, et comme elle ne pouvait souffrir le vide qui se serait trouvé entre le piston soulevé et le niveau de l'eau, celle-ci était forcée de suivre le piston dans son ascension. Sans rejeter entièrement l'opinion des physiciens de son temps, Galilée crut pouvoir expliquer le fait en disant que la longueur d'une colonne d'eau de trente-deux pieds produisait un poids trop considérable pour que la base de la colonne liquide pût le supporter. Il comparait ce phénomène à celui que présente une corde horizontale tendue à ses deux extrémités, et qui, à une certaine longueur, finit par se rompre, parce qu'elle ne peut plus supporter son propre poids (1).

Torricelli, méditant sur ce fait, soupçonna que la pression de l'atmosphère agissant sur la surface du liquide pouvait être la cause de l'ascension de l'eau dans le tuyau des pompes. Pour vérifier cette conjecture par l'expérience, il essaya de repro

(1) Dialogi di Galileo (Opera di Galileo Galilei, t. II, p. 489)

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