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NOTICE

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR

M. ANTOINE-ALEXANDRE BARBIER

Antoine-Alexandre BARBIER naquit à Coulommiers (Seine-et-Marne), le 11 janvier 1765. 11 fit avec succès ses humanités au collège de Meaux, et les termina en 1782. Dès ses premières années, on remarqua en lui une grande ardeur pour le travail : doué d'une mémoire excellente, d'une intelligence et d'une vivacité d'esprit peu communes, ses progrès furent rapides. Son père, qui avait fait lui-même de bonnes études, voyant les heureuses dispositions. de son fils, désirait l'envoyer à Paris, pour qu'il y fit ses cours de philosophie et de théologie; mais la nombreuse famille dont il était chargé était un obstacle à ses vœux.

Un grand-oncle, riche et généreux, nommé Thomas Desescoutes, offrit de contribuer à la dépense; son offre fut acceptée, et le jeune Barbier vint à Paris, au séminaire Saint-Firmin.

Lorsqu'il eut achevé ses études, ses supérieurs, qui l'avaient pris en amitié, le retinrent auprès d'eux, jusqu'en 1789, pour enseigner les mathématiques et la physique, en qualité de maître de conférences.

C'est au séminaire Saint-Firmin que se développa sa passion pour l'étude de la bibliographie et de l'histoire littéraire ancienne et moderne (1). Il con

(1) Ancien compagnon d'études de M. Barbier (dit L.-V. Raoul), j'ai vu naître en lui ce goût pour les recherches bibliographiques, qui depuis ne l'a pas quitté, et je mę

sacrait ses jours de sortie à des visites chez les principaux libraires de la capitale, ou à des promenades sur les quais, pour examiner les livres qui s'y trouvaient exposés, et pour faire l'acquisition de quelques-uns, car il sentit de bonne heure le besoin de se former une bibliothèque choisie, où il pût trouver, sous sa main, les matériaux nécessaires à ses recherches (1). Souvent aussi, il allait travailler dans les bibliothèques publiques de Paris, notamment à celle de Saint-Germain-des-Prés, ou dans celles de plusieurs hommes de lettres avec lesquels il était déjà en relation. Occupé, dès 1789,

rappelle encore le temps où, tous les soirs, il rentrait au collége avec ce que nous appelions un bouquin. Ce souvenir, qui se joint à celui de ses bons conseils et de ses bons exemples, m'est souvent revenu à la pensée, et je me plais à consigner ici, pour un ancien compatriote, des sentiments d'affection qui ne sortiront jamais de mon cœur. » (Extrait de l'article de L.-V. Raoul, professeur à l'Université de Gand, sur le « Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes », inséré dans les « Archives belgiques des sciences, arts et littérature », juin 1823, p. 368.).

A ce témoignage se joint celui de M. Buirette, ancien condisciple de M. Barbier : « C'est à Saint-Firmin que nous avons passé cinq ans ensemble, il y était déjà quand j'y entrai. J'eus occasion de me lier avec lui dès les premiers jours, et je m'en suis bien trouvé. Sa conduite sage et régulière le faisait estimer de ses maîtres et de ses condisciples. Ami du travail, il savait trouver le temps de se livrer à diverses études. Ses journées étaient pour ainsi dire coupées symétriquement; tant d'heures pour telle occupation, tant pour telle autre études théologiques, solutions de problèmes mathématiques, extraits d'ouvrages, recherches et notes bibliographiques, etc. Les sorties en ville que les autres employaient à leurs plaisirs, il en profitait pour son instruction. Il courait les boutiques de bouquinistes et de libraires, les bibliothèques publiques et même particulières, les ventes de livres pour y faire quelques découvertes, soit dans les ouvrages rares, soit dans la conversation des amateurs qu'il y rencontrait Quand il avait réussi dans ses courses, il rentrait content comme l'abeille avec son petit butin qu'il venait mettre à profit. Quelques-uns de ses condisciples désiraient-ils un ouvrage, c'était à lui qu'ils s'adressaient avec confiance, et il se faisait un plaisir de le leur déterrer. Aussi l'appelait-on par plaisanterie le bouquiniste, et l'on ne craignait pas de mettre souvent à contribution ce bouquiniste complaisant. Cette complaisance, il l'avait même pour quelques misérables revendeurs de bouquins à échoppe ou à paniers, qu'il initiait dans le secret du métier, et qui, profitant de ses leçons, acquirent des connaissances en librairie, étendirent peu peu leur petit commerce, et furent tout étonnés de se trouver plus tard libraires en boutique. Ses relations ne se bornaient pas à ses protégés, il les avait étendues avec les meilleurs libraires de la capitale, qui ne rougissaient pas de le consulter fort souvent. C'est ainsi qu'il préludait aux recherches savantes dont il a depuis enrichi la bibliographie.

à

» Sa société habituelle et, pour ainsi dire, exclusive, à Saint-Firmin, se composait d'un petit nombre de camarades qui partageaient ses goûts. On la désignait sous le nom d'académie, il en était regardé comme le président et le fondateur On se plaisait à le consulter sur différents points de littérature et à lui proposer quelques difficultés à résoudre. Lorsqu'il fut nommé maître des conférences, profitant du privilége attaché à cette place, il réunissait ses sociétaires dans sa chambre, pendant les heures de récréation, et là il était fait lecture de quelques journaux littéraires et souvent d'ouvrages dont ils rendaient compte; chacun ensuite faisait ses observations et motivait ses éloges ou ses critiques. Quelquefois ces discussions, renvoyées au lendemain, étaient faites par écrit et fues à la récréation suivante. Cela donnait même lieu de temps en temps à des correspondances avec les journalistes et les auteurs. Un des articles des statuts de la société obligeait d'aller, autant qu'on le pouvait, entendre les prédicateurs distingués de la capitale, tels que les abbés Maury, Lenfant, Boulogne, etc., et de faire l'analyse de leurs discours, pour être soumise ensuite au petit tribunal académique. »

(1) En 1788, il possédait déjà plus de 1200 volumes, et en avait même rédigé le Catalogue, à la tête duquel il avait écrit cette pensée de Saint-Évremont: « La vie est trop courte, à son avis, pour lire toutes sortes de livres, et charger sa mémoire d'une infinité de choses aux dépens de son jugement; il ne s'attache point aux écrits les plus savants pour acquérir de la science, mais aux plus sensés pour fortifier sa raison.... » « Portrait de Saint-Evremont fait par lui-même. »

à réunir des matériaux pour corriger et compléter la «Bibliothèque d'un homme de goût» (1), défigurée par des fautes et des omissions nombreuses, il avait aussi entrepris un travail semblable pour les «Dictionnaires historiques de Ladvocat et de Chaudon. Ces deux ouvrages avaient été ses lectures favorites durant le cours de ses études.

Il nous apprend lui-même (2) que la lecture attentive qu'il fit, dans la maison paternelle, de l' « Année littéraire, » de Fréron, et du « Journal de la littérature, des sciences et des arts, » rédigé par l'abbé Grosier, contribua beaucoup à fortifier son penchant pour la critique littéraire et la bibliographie. Ce fut vers cette époque qu'il fit, pour son usage, un choix des principaux articles du journal de Fréron. Voici le jugement qu'il porta plus tard sur cette collection, et qu'il consigna au commencement du premier volume: Ex privatis odiis respublica crescit. (CICERO in Sallust.) « Il a existé en France un ouvrage périodique, où les principes du goût étaient sans cesse rappelés, où les beautés des anciens étaient développées avec enthousiasme, où les défauts des modernes étaient indiqués avec sévérité, mais presque toujours avec justesse; c'était l'« Année littéraire » de Fréron, qui a été aidé par beaucoup de littérateurs. J'ai lu cet ouvrage à un âge où j'avais besoin d'un guide pour me diriger dans le choix des auteurs, où je voulais me rendre un compte exact de mes lectures, où j'aurais rougi d'admirer sur parole les écrivains dont j'entendais sans cesse vanter le mérite. Mais dans cette vaste collection, composée de plus de trois cents volumes, se trouvent mêlés et confondus ensemble, le bon et le mauvais, le vrai et le faux, l'utile et ce qui ne l'est pas. Accoutumé à distinguer les articles sortis de la plume de ses principaux auteurs, d'avec ceux que des amis lui ont communiqués ; ceux qui ont été rédigés d'après les principes du goût et du beau, qu'ils connaissaient fort bien, d'avec ceux qui ont été écrits sous l'influence de l'autorité, ou sous la dictée de la haine, j'ai recueilli les meilleurs morceaux de ce journal, etc. >>

La santé de M. Barbier se trouvant altérée par l'excès du travail, il se vit forcé de quitter la capitale, où il ne revint qu'en 1794 (cinq ans après en être sorti), lorsqu'il fut nommé, par le département de Seine-et-Marne, élève de l'École normale. Il y suivit les cours de physique, de morale et de littérature. Peu de temps après, il fut choisi pour faire partie de la Commission temporaire des Arts, adjointe au Comité d'Instruction publique de la Convention nationale, section de Bibliographie; ce qui eut lieu sur la présentation de M. Barrois l'aîné, membre de cette Commission, et qui connaissait

(1) Voy. col. 412 du « Dict. des anonymes ».
(2) Voy. Revue encyclopédique », t. 21, p. 740.

son goût pour les livres. Plus tard, et lorsque le Directoire exécutif, au moment de son organisation, réduisit le nombre des membres de la Commission temporaire des Arts, M. Barbier fut l'un de ceux qui restèrent attachés au ministère de l'intérieur, avec le titre de membre du Conseil de conservation des objets de Science et d'Arts.

C'est comme membre de la Commission temporaire et de ce Conseil, qu'il rendit aux lettres des services inappréciables, en recueillant ou en faisant conserver et placer dans les bibliothèques publiques de la capitale une grande partie des richesses littéraires de la France, dispersées pendant les orages de la révolution, ou entassées dans les dépôts formés à la hâte, après la suppression de différents établissements civils et ecclésiastiques. C'est ainsi qu'il contribua beaucoup à l'accroissement des bibliothèques Mazarine, de Sainte-Geneviève, du Corps-Législatif, de l'École de Médecine, de l'École polytechnique, du Jardin des plantes, de l'Hôtel des invalides, etc.

Dans le cours de ses diverses fonctions, il montra toujours le plus grand empressement à seconder les démarches des personnes qui sollicitèrent du gouvernement la restitution des livres de leurs bibliothèques, placés dans les dépôts confiés à ses soins.

En 1796, chargé de la réunion de la bibliothèque de l'ex-jésuite Querbeuf à l'un des dépôts littéraires, il découvrit, parmi des papiers qui semblaient mis au rebut, deux volumes in-4°, contenant trois cents lettres latines du savant Huet, la plupart écrites de sa main. Engagé par ses collégues à rédiger un mémoire sur cette découverte, il lut en entier cette correspondance, et fit une table des lettres qu'elle renfermait, des personnes à qui elles étaient adressées, des dates et des lieux où elles avaient été écrites, avec un sommaire de chacune. Ce recueil, précieux pour la littérature, par la variété des sujets traités par l'auteur, par la célébrité des savants qui y sont nommés, par le grand nombre d'anecdotes littéraires qu'il contient, et par l'étendue considérable de temps qu'il embrasse (depuis 1660 jusqu'en 1714), fut placé par ses soins à la Bibliothèque nationale. Dans la même année, il découvrit encore la collection complète des manuscrits de Fénelon, et donna l'indication de ceux qui avaient été publiés ou qui étaient encore inédits (1).

En 1798, M. François de Neufchâteau, alors ministre de l'intérieur, autorisa M. Barbier à choisir dans les dépôts de Paris et de Versailles, les ouvrages qui devaient former la bibliothèque du Directoire. Quinze mille volumes avaient déjà été placés dans la salle dite des Archives, au GrandLuxembourg, lorsque des réparations qui furent faites dans ce palais forcè

(1) Les manuscrits de Fénelon, rendus d'abord à ses héritiers, se trouvent maintenan dans la bibliothèque du séminaire de Saint-Sulpice.

rent de chercher un nouveau local. L'hôtel de Croï, rue du Regard, ayant été désigné, les livres y furent transportés, et l'année suivante, le même ministre nomma M. Barbier conservateur du dépôt provisoire de la bibliothèque du Directoire. Il continua à rechercher dans les dépôts littéraires les livres qui manquaient à cette bibliothèque. En peu de temps, elle fut composée de plus de trente mille volumes.

Pour avoir une idée des peines et des travaux occasionnés par le choix et la réunion d'un nombre aussi considérable de livres, il faut se figurer l'immense quantité de volumes de tous les genres, contenus dans les seuls dé-pôts de Paris (on les a toujours portés au moins à 1,500,000); il faut se représenter aussi la confusion que cette multitude d'ouvrages avait dû engendrer, la nécessité de parcourir des yeux plus de douze cents bibliothèques, dans lesquelles les mêmes articles étaient répétés, la difficulté enfin de trouver ce qu'elles pouvaient contenir de bon, et de le séparer d'avec ce qui était médiocre, inutile et souvent incomplet.

Sans exclure aucun des bons livres qui font partie du système des connaissances humaines, M. Barbier s'attacha spécialement, dans la formation de la bibliothèque du Directoire, à ceux qui concernaient la philosophie, la morale, la politique, le droit public, l'administration, le commerce, etc. A peine en eut-il terminé le catalogue, qu'il se vit forcé de se livrer à de nouveaux travaux.

En 1799, peu de temps après le 18 brumaire, les consuls arrêtèrent qu'il serait choisi, dans la bibliothèque du Directoire, des livres pour leur usage personnel, et que le reste formerait celle du Conseil-d'Etat.

En effet, le premier consul prit les livres d'histoire et d'art militaires; Cambacérès déclara que son intention était d'avoir les meilleurs ouvrages de droit public, de législation, de littérature et d'histoire; le consul Lebrun et l'ex-consul Sièyes firent également des choix en rapport avec leurs études.

M. Barbier fit encore de nouvelles recherches pour former la bibliothèque du Conseil-d'Etat, dont il fut nommé bibliothécaire en 1800. Transportée au château des Tuileries, elle fut alors placée dans un très-beau local, auprès de la salle des séances du Conseil.

Après trois années de travail, il publia le catalogue de cette bibliothèque. Sorti des presses de l'imprimerie du gouvernement, cet ouvrage, tiré à un petit nombre d'exemplaires, fut, malgré quelques imperfections, favorablement accueilli des savants français et étrangers; ils y trouvèrent le fruit des nombreuses recherches sur les anonymes, dont son auteur s'était occupé depuis plusieurs années. M. Barbier suivit pour ce catalogue, ainsi que pour tous ceux qu'il rédigea plus tard, le classement méthodique des ouvrages, qui présente beaucoup plus de difficultés, mais aussi plus d'avantages que

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