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auspices, n'être pas si funeste que la précédente! Puissions-nous ne pas rester longtemps à Laon très encombré, où l'on manquera de tout! On parle ici de la réorganisation des gardes d'honneur demandée à l'Empereur, qui profitera de cette bonne disposition des esprits, sauf à en contrarier plus d'un.

Laon, le 26 mai 1815.

Partis le 24, nous voici arrivés le 25 ici, où les bourgeois sont de braves gens, bien accueillants. Ville agréablement située sur une hauteur d'où la vue s'étend à quatre lieues vers des coteaux garnis de vignes et semés de villages formant comme les faubourgs de la ville. Avec beaucoup de peine, on nous a logés chez une vieille demoiselle dont la maison avait été jusque-là épargnée, parce qu'elle a été entièrement saccagée par les Cosaques. Un magnifique salon, le plus beau de la ville, avait été choisi par eux pour leur boucherie; le clou du lustre servait à accrocher les boeufs écorchés; aussi les habitants sont-ils d'enragés bonapartistes. Bon exemple à donner!... Cette demoiselle consacre toute sa fortune à de bonnes œuvres et traite ses nouveaux hôtes somptueusement.

Laon, le 6 juin 1815.

On s'attend, chaque jour, à décamper d'ici. Le comte Lobau va arriver, précédant d'un ou deux jours l'Empe reur. Mon père attend sous peu la lettre officielle nouvelles fonctions.

...

pour ses

Flaumont, près d'Avesnes, le 11 juin 1815.

Ordre d'évacuer le 9, pour faire place à la Garde impériale, et de se porter sur Avesnes, où est le 2o corps; mais la ville, forte de 2 500 âmes, se trouve tellement encombrée, que nous dûmes être envoyés en cantonne

ment dans le village de Flaumont, d'où j'écris cette lettre, à une demi-lieue de la ville, logés on ne peut mieux chez des fermiers. Placé à quatre lieues de la frontière, je sais, de bonne main, qu'il ne se passe pas de semaine, sans qu'il nous vienne une centaine de déserteurs, saxons, hanovriens, et, chose étonnante, quelques Prussiens; ils sont tous bien reçus... Ici on redoute les Cosaques ; notre hôte n'est pas trop rassuré, ayant à conserver 240 moutons et le reste de sa ferme très considérable. Le prince Jérôme s'avance; il est déjà à Avesnes; un mouvement général dans la ligne est imminent.

Philippe-Ville, le 16 juin 1815.

Partis hier pour la Belgique, nous allons rejoindre le quartier général. Le manque de chevaux est un grand embarras; il est défendu de garder une voiture, ou, si l'on en a une, il faut rester à trois lieues de l'armée, ce qui est le plus sûr moyen de se faire prendre : l'Empereur vient de battre les ennemis qui sont en fuite.

Laon, le 23 juin 1815.

Nous revenons ici harassés, mais sains et saufs, et, chose étonnante, avec tous nos effets après avoir, dix fois, été au moment d'abandonner notre voiture dans les boues. Repos bien mérité pour les hommes et les chevaux qui sont sur les dents.

Les lettres écrites immédiatement après la bataille de Waterloo n'ont pas été retrouvées.

Paris, le 29 juin 1815.

Fallait-il périr au port ? Hier, ordre arrive de stationner dans un village et de ne pas en bouger sans de nouveaux renseignements. L'ennemi avait coupé la route à quelque distance de là. Ce contretemps fut au moins un répit, une

halte, du loisir, pour se rafraîchir et se restaurer. Dix minutes après, des éclaireurs prussiens arrivaient au village. Quelle chance! Depuis le matin, nos portemanteaux étaient attachés sur les chevaux; mais, en cas d'attaque, résolution fut prise de n'abandonner la voiture qu'à la dernière extrémité. Pas une épingle ne fut perdue, pendant que quantité de gens se plaignaient d'avoir été dépouillés de tout. Avoir manqué d'être faits prisonniers, à quatre lieues de Paris, et cela pour deux poules au pot, que force avait été de dévorer! Notre corps est campé près de Montmartre.

Blois, le 11 juillet 1815.

Ordre a été donné à l'armée de se retirer sur la Loire. Quittant la grande route, presque au sortir de Paris, à travers champs, privés de notre voiture qui ne put être emmenée, nous voici rendus ici. L'armée est dans la consternation; où devra-t-elle se replier? De la Dyle à la Loire, ce n'a été qu'une seule chevauchée sans presque ralentir la marche. Le repos est encore plus nécessaire aux chevaux qu'aux cavaliers, c'est moins le manque de nourriture que l'usage qu'on a été forcé de faire du blé en herbe, qui a diminué leurs forces.

Le père ajoute en post-scriptum : « Que de choses se sont encore passées depuis un mois ! Les papiers publics ont dû vous apprendre les grands événements et leurs résultats. Je ne pourrai jamais dépeindre tout ce que j'ai souffert dans cette courte et désastreuse campagne. »

Selles, le 6 août 1815.

Une lettre du ministre de la guerre vient d'arriver, qui annonce le licenciement à partir du 16 de ce mois, par une mesure générale.

L'OCCUPATION

DU

TERRITOIRE FRANÇAIS

A LA SUITE

DE LA GUERRE DE 1870-1871

PAR

M. Gaston MAY

I

L'acquittement de l'indemnité dans un délai relativement si court libérait la France de deux charges bien pénibles: l'occupation d'une partie de son territoire et l'entretien de l'armée étrangère qui y était installée. L'histoire du rétablissement des relations pacifiques normales entre les deux pays serait incomplète, si, revenant en arrière, on n'essayait pas de décrire ce régime transitoire, cette situation tout à fait anormale d'un pays qui, ayant signé la paix, n'avait pas, à raison des obligations financières mises à sa charge, reconquis la pleine possession de lui-même. Le régime de l'occupation, ses phases de décroissance alternant avec les menaces à peine dissimulées d'une prolongation au delà du terme convenu, ses périls toujours re

SÉRIE VI, t. v, 1907

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naissants, l'insécurité qu'elle engendrait par le fait de son existence même et de sa durée, les embarras qu'elle suscitait au dehors à un gouvernement discuté au dedans et peu assuré du lendemain, tout cela complète, en l'assombrissant encore, le tableau de ces trois années douloureuses succédant à l'année de la défaite. Autour de ces faits essentiels s'en groupent d'autres, dont l'importance s'accroît de la connexité qu'ils avaient avec les premiers: mesures relatives au logement des troupes occupantes, au fonctionnement des services accessoires réclamés par elles, difficulté de maintenir l'accord entre l'administration civile française et l'autorité militaire exercée par l'Allemagne, création d'une mission diplomatique spéciale auprès du commandant du corps d'occupation, rôle prépondérant du chef de cette mission et son influence au quartier général, appui inattendu trouvé par lui auprès du général en chef allemand. Plus de trente ans se sont écoulés depuis ces heures d'humiliation. Ceux qui n'en furent que les contemporains éloignés et distraits, ceux de plus en plus nombreux chaque jour qui ne les ont pas vécues, ont intérêt à les connaître. Les témoignages sont restés, ici, plus abondants qu'ailleurs. Leur sincérité, rendue évidente par leur concordance et par la qualité des témoins, rend plus facile la tâche de l'historien.

L'article 3 des préliminaires de Versailles réglait à la fois l'évacuation immédiate des départements de l'Ouest et du Centre et l'occupation de ceux qui devaient, jusqu'au paiement de l'indemnité, rester aux mains de l'Allemagne. Les premiers devaient être évacués, les

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