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disent qu'elle est affolée, et c'est alors qu'ils en peuvent obtenir des nouveautés. Un excès de nourriture semble être, assez souvent, l'origine de cet affolement. Dans la majorité des cas, la cause de l'affolement demeure mystérieuse et, avec elle, la première des conditions nécessaires à la mutation.

Un jeune savant français, M. Blaringhem, vient de fournir une bien remarquable contribution à l'étude de la mutation en déterminant expérimentalement l'affolement d'une plante et en faisant sortir de la plante ainsi affolée plusieurs espèces nouvelles. C'est sur le maïs qu'ont porté ces recherches. Tout le monde connaît cette graminée si répandue et si caractérisée. Elle se distingue parmi les plantes de sa famille par la disposition exceptionnelle de ses fleurs. Le maïs porte sur le même pied deux sortes de fleurs entièrement séparées les fleurs mâles sont réunies en grand nombre sur les rameaux grêles d'une grappe qui se dresse au sommet de la tige principale; les fleurs femelles forment, dans la région moyenne, quelques épis gros et peu nombreux.

M. Blaringhem a remarqué que la végétation de cette plante, quoiqu'elle s'accomplisse entièrement dans le court espace d'un été, présente deux périodes distinctes. Les premières semaines qui suivent la germination sont employées à une sorte de travail préparatoire par lequel la plante développe beaucoup ses racines et s'accroît fort peu. Au bout d'un mois environ, cette préparation est terminée et alors, sous l'influence d'une humidité et d'une chaleur suffisantes, toute la plante grandit rapidement et arrive à l'épa

nouissement de ses fleurs, à la formation de ses fruits. Au début de cette seconde période, tous les organes de la plante sont ébauchés et leur nature est fixée, mais un peu auparavant cette détermination n'est pas encore complète et peut être influencée par des causes extérieures. Blaringhem a mis en œuvre, pour détourner la plante de sa voie normale, tantôt des blessures, tantôt des torsions de la tige qui modifient le cours des liquides nourriciers. Ces traitements appliqués pendant la seconde période du développement ne produisent aucun effet appréciable, s'ils sont modérés, et tuent la plante, s'ils sont trop énergiques. Il en est tout autrement si ces mêmes mutilations ont lieu pendant la première période, au moment où les fleurs vont s'organiser. Dans ce cas, la forme et la constitution des épis latéraux sont profondément altérées; de simples qu'ils devraient être, ils deviennent rameux; au lieu d'être exclusivement formés de fleurs femelles, ils présentent le plus irrégulier mélange des deux sexes.

Il était déjà intéressant d'avoir constaté l'effet d'une mutilation, convenablement et opportunément appliquée, comme cause de la production des monstruosités; mais ce n'était là qu'un premier pas. L'analogie de ces maïs monstrueux avec les plantes affolées n'était-elle que superficielle et de pure forme? Ou bien était-ce l'affolement générateur de mutations qui avait été obtenu ? Pour en décider, Blaringhem a recueilli et semé les graines de ces maïs déformés, et parmi les pieds issus de ce semis, il a eu la joie de rencontrer un certain nombre de formes qui différaient notablement de la plante primitive par la taille, par la nuance des

SERIE VI. t. v, 1907

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feuilles, par le nombre des graines dans l'épi et, surtout, par la précocité. Ces formes nouvelles, resemées les années suivantes, se sont montrées parfaitement constantes, elles constituaient des mutations véritables.

Il y a donc eu, d'abord, production de formes monstrueuses, affolement de l'espèce, puis, parmi les descendants des plantes affolées, apparition de mutations stables. L'expérience de Blaringhem nous apporte donc quelque chose d'absolument nouveau; elle nous révèle la circonstance qui a déterminé l'affolement du maïs. Hugo de Vries avait rencontré fortuitement des plantes affolées d'où étaient nées des mutations; c'est volontairement que Blaringhem a dérangé l'équilibre dans lequel son maïs s'était installé et fixé depuis longtemps. Le procédé qu'il a employé est de ceux qui peuvent être facilement réalisés dans la nature. La morsure d'un insecte, le froissement sous le pied de l'animal de grande taille, peuvent produire une blessure équivalente à celles qu'il a mises en usage.

Cette très suggestive étude de Blaringhem est de date toute récente, elle n'a pas encore subi le contrôle de la critique, surtout, elle n'a pas pu produire les conséquences que l'on est en droit d'en attendre. Il n'est guère douteux qu'elle ne serve de point de départ à d'autres tentatives.

Par la direction générale de ses travaux, comme par ses méthodes expérimentales d'étude, le néo-lamarckisme diffère profondément du darwinisme pur et du lamarckisme primitif. Réalise-t-il la forme définitive des théories évolutionistes? Je suis loin de le penser, et, sans pouvoir dire quelle sera la tendance domi

nante des doctrines futures, je ne doute pas qu'après la phase que nous traversons aujourd'hui, d'autres viendront qui ne lui céderont ni en originalité, ni en vigueur. Une chose cependant subsistera à travers ces changements, une chose que le siècle dernier aura vue naître la forme scientifique de l'idée évolutioniste. Il n'est pas téméraire d'affirmer que tous les naturalistes contemporains, quelle que soit la diversité de leurs opinions philosophiques, sont unanimes pour croire à l'incessante transformation du monde vivant. Tous savent que cette nature s'est modifiée dans le passé; tous pensent que les forces qui ont produit ces modifications subsistent de nos jours et que l'apparente fixité des espèces actuelles ne peut être qu'une illusion due à la brièveté de notre vie. Tous, donc, souhaitent de connaître les modalités de cette évolution et d'en pénétrer les causes, au moins les causes prochaines.

Désormais, la nature vivante sera conçue et étudiée comme étant en perpétuel changement. Le but des sciences biologiques ne sera plus seulement de dénombrer, dénommer et décrire un ensemble immense d'espèces vivantes ou disparues, désormais, et pour toujours, il s'agira de saisir dans le présent le mécanisme de l'évolution, d'appliquer les lois reconnues à l'interprétation du passé, peut-être à la prévision de l'avenir.

L'évolutionisme a évolué, il évolue sous nos yeux, il évoluera encore après nous; le reconnaître c'est simplement affirmer qu'il vit et qu'il vivra.

RÉPONSE DU PRÉSIDENT

M. IMBEAUX

AU RÉCIPIENDAIRE

M. LE MONNIER

MONSIEUR,

C'est en effet un représentant, et des sciences, et de notre chère Faculté des sciences de Nancy, que notre Compagnie s'honore d'accueillir aujourd'hui en votre personne; et puisque vous nous rappelez votre âge, qui vous fait le plus ancien des professeurs, laissezmoi dire que votre modestie n'a que trop attendu pour venir à nous. L'Académie de Stanislas est heureuse et fière de s'adjoindre des compétences dans toutes les branches des connaissances humaines. Elle sait, en effet et je vais encore le prouver tout à l'heure que toutes ces connaissances, jusques et y compris la philosophie, se donnent la main et s'enchaînent, ayant besoin les unes des autres, et elle sait aussi qu'à côté des belles-lettres, ces charmeuses de l'humanité, celle-ci a besoin des sciences pour être ses fidèles servantes, pour remplir le rôle de Marthe, pendant que Marie chante ou pleure à ses pieds.

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