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tait un mélange d'accents et même d'idiomes divers qui faisait ressortir d'une manière plus touchante la communauté des sentiments. On se rappelait le don des langues et la première Pentecôte. Toutes les nations dispersées ce jour-là se réunissaient après trois siècles, fières des épreuves qu'elles avaient souffertes pour le signe de la foi, et des fils sans nombre qu'elles avaient enfantés à Jésus-Christ 1.

La discussion tarda quelques jours à s'ouvrir, parce qu'on attendait Constantin, retenu à Nicomédie pour célébrer l'anniversaire de la victoire qu'il avait remportée, deux ans auparavant, sur Licinius. Dans l'intervalle, des conversations s'engagèrent et des conférences s'établirent. On y pouvait pressentir les dispositions de la sainte assemblée. Elle se partageait évidemment en deux camps numériquement fort inégaux. Les plus nombreux étaient les esprits droits et simples, qui voulaient suivre sans détour la voie frayée par la tradition des anciens, et cherchaient en toute occasion quelle était l'antique foi de l'Église. C'étaient aussi les plus renommés par la sainteté de leur vie. Les autres, plus curieux, plus fiers de leur science, disaient qu'il ne fallait pas s'en rapporter à l'opinion des anciens sans la soumettre à l'examen 2. Ceux-ci favorisaient évidemment l'opinion d'Arius. Ils n'étaient guère plus d'une vingtaine, mais ils passaient pour les plus ha

1. Soc., 1, 8.

2. Soz., I, 17.

biles. C'étaient, après les deux Eusèbe, Théodote de Laodicée, Paulin de Tyr, Athanase d'Anazarbe, Grégoire de Béryte, Aéce de Lydde, Métrophante d'Éphèse, Narcisse de Néroniade, Patrophile de Sythople, Théogone ou Théognis de Nicée, Théonas de Marmarique et Seconde de Ptolémaïde', ces deux derniers déjà condamnés par Alexandre. Arius les avait suivis par ordre de Constantin, et conférait secrètement avec eux 2.

Des laïcs vénérables, des philosophes, des païens même, attirés par la curiosité, peut-être par le désir de se railler des divisions de l'Église, se mêlaient à ces entretiens, encore sans caractère officiel. Les païens en général, et principalement les philosophes, fort désintéressés d'ailleurs dans le débat, inclinaient naturellement du côté d'Arius dont le système semblait plus conforme aux raisonnements de la dialectique. L'idée de faire du Fils une être intermédiaire, instrument et gouverneur de toute la création, exécuteur de la pensée divine, leur souriait assez. Ils reconnaissaient là des traces de la philosophie platonicienne, et le Verbe chrétien ainsi travesti ressemblait au Démiurge du Timée. C'était donc, en général, dans l'intérêt d'Arius qu'ils pressaient d'arguments les évêques chrétiens avec qui ils entraient en dispute, ne se faisant pas faute, au besoin, de se servir des textes de l'Écriture que la science païenne

1. Théod., I, 5.

– Rufin, 1, 5. — Gėl. Cyz., 1, 1.

2. Rufin, 1, 5. Evocabatur frequenter Arius in concilium.

commençait à bien connaître. Ces entretiens donnèrent lieu à plusieurs controverses animées dont la singularité frappa vivement les assistants, et par la suite les discussions des philosophes païens avec les Pères de Nicée devinrent le texte, soit de légendes touchantes, soit d'exercices de déclamation sur lesquels se donnait carrière la rhétorique chrétienne. Gélaze de Cyzique, auteur du ve siècle, a ainsi consacré un demi-volume à un dialogue manifestement supposé entre le philosophe Phédon et les plus savants du concile, Eusèbe, Pamphile, Osius, Léonce de Césarée, et Macaire de Jérusalem. Le philosophe y prend la défense du système d'Arius avec une abondance de citations bibliques et une connaissance de la théologie chrétienne qui dépassent la mesure de la vraisemblance. On n'y trouve guère de sensé et de naturel que cette réponse d'un des Pères à une question du philosophe : « O mon très-cher, nous vous avons déjà averti une fois pour toutes, quand il s'agit de mystères divins, de ne jamais demander de pourquoi ni de comment'. »

D'autre part Socrate, Sozomène et Rufin rapportent unanimement l'anecdote suivante, qui joint à plus de simplicité le mérite d'une grâce touchante. Dans une de ces conversations qui duraient depuis longtemps et tournaient à l'aigreur, le païen qui la soutenait, doué d'une grande éloquence, s'emportait en raillant contre

1. Gél. Cyz., II, 23,

le culte nouveau et triomphait d'un ton insolent. Un vieillard sortit alors d'un groupe et s'approcha pour prendre la parole. C'était un homme vénéré qui avait confessé Jésus-Christ dans des jours périlleux, mais qui n'avait aucun talent de discussion. Son apparition fit passer le sourire sur le visage des uns et inspira aux autres la crainte qu'il ne prêtât au ridicule. Cependant personne n'osait l'arrêter, parce qu'il jouissait d'une considération générale. Le saint homme alors commençant : « Écoute, philosophe, dit-il, au nom de Jésus<«< Christ. Il y a un seul Dieu, créateur du ciel et de la << terre, de toutes les choses visibles et invisibles. Il a <«< tout fait par la vertu de son Verbe, et tout affermi <«< par la sainteté de son esprit. C'est ce Verbe que « nous appelons le Fils de Dieu, qui, prenant pitié des « erreurs des hommes et de leur manière de vivre,

pareille à celle des bêtes, a bien voulu naître d'une « femme, converser avec les hommes et mourir pour « eux. Il viendra de nouveau comme un juge des choses <«< auxquelles chacun aura employé sa vie. C'est là tout << simplement ce que nous croyons. Ne perds donc pas << tant de peines à demander la preuve des choses que la « foi seule comprend, et à leur chercher des raisons « d'être ou de ne pas être. Mais si tu crois, réponds-moi sans détour. » Le philosophe tout troublé, répondit en balbutiant : « Je crois. » Puis il assura à ceux qui avaient auparavant soutenu le même sentiment que lui, qu'il avait senti une impulsion inté

rieure irrésistible qui le forçait de confesser la foi du Christ'.

On put donc voir, dès le premier jour, que le débat allait s'engager entre l'orgueil de la science et la simplicité de la foi. Mais le triomphe de la vérité eût été mal assuré, si elle n'avait eu pour elle que la majorité numérique d'une assemblée pieuse et simple. D'ailleurs sur des questions aussi ardues que celles qui allaient se débattre, les évêques partisans d'Arius, habiles et versés dans toutes les ressources du langage, pouvaient trouver plus d'une manière de mettre en défaut la sagacité de leurs collègues, et de leur faire admettre. quelques expressions équivoques, innocentes en apparence et au fond captieuses, qu'ils se seraient résérvé ensuite d'interpréter et d'étendre à leur gré. La candeur charitable du grand nombre des évêques rendait même ce péril plus redoutable. Ce fut là l'inappréciable utilité de la présence d'Athanase. Quoiqu'il n'occupât encore qu'un rang inférieur, tous les auteurs s'accordent à reconnaître qu'il exerça dès le premier jour un grand ascendant sur toute la réunion. La qualité principale de son esprit l'y destinait naturellement. C'était un rare mélange de droiture de sens et de subtilité de raisonnement. Dans la discussion la plus compliquée rien ne lui échappait, mais rien ne l'ébranlait. Il démêlait toutes les nuances de la pensée de son

1. Soz., I, 18.

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