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extravagant qui, pour corriger une méchante femme,

n'a que

ce moyen: «Elle n'a pas mangé d'aujourd'hui, elle ne man>> gera rien encore; la nuit dernière elle n'a pas dormi, cette >> nuit elle ne dormira pas davantage; si elle vient à fermer » les paupières, je ferai un vacarme épouvantable, et je sou>> tiendrai que c'est par égard pour elle. Voilà la manière de >> tuer une femme par les caresses. >>

Ses fautes sont trop légères pour mériter de si rudes châtiments; et je suis sûr qu'à la représentation on applaudit toujours le soufflet qu'elle donne à Petruchio dans leur première entrevue. On la voit avec peine, dès les premiers moments de son mariage, obéir en tremblant, entrer, sortir, fouler aux pieds ses parures, et cela sans le moindre motif, seulement suivant le caprice de son mari.

Avant sa première entrevue avec Catherine, Petruchio développe le système de galanterie qu'il se propose de suivre :

« Si elle crie avec emportement, je lui dirai tout net que sou >> chant est aussi doux que celui du rossignol. Si son front se » courrouce, je lui dirai qu'il est aussi riant que la rose du >> matin nouvellement baignée de roséc. Si elle affecte de rester >> muette et s'obstine à ne pas ouvrir la bouche, je vanterai sa >> volubilité et son éloquence persuasive. Me dira-t-elle de sor>> tir de sa présence, je lui rendrai mille grâces, comme si elle >> me priait de rester auprès d'elle pendant une semaine. Re>> fuse-t-elle de m'épouser, je la supplie de me dire quand je » ferai publier les bans et de fixer le jour de notre mariage. »

Une scène fort jolie, et qui contraste agréablement avec les entrevues orageuses de Petruchio et de Catherine, est celle qui a lieu entre sa sœur Bianca et ses deux prétendus, Tranio et Gremio, qui s'introduisent auprès d'elle, l'un comme maître de musique, sous le nom de Hortensio, et l'autre comme professeur de latin, sous le nom de Lucentio.

Bianca (A Hortensio).

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« Vous, prenez votre instrument; commencez à jouer; la leçon de monsieur sera finie avant que vous vous soyez mis d'accord... (A Lucentio.) - Où en sommes-nous restés la dernière fois?

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Hàc ibat Simoïs ; hic est Sigeïa tellus ;
Hic steterat Priami regia celsa senis (1)..

Bian.- Faites la construction de ce passage.

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Hac ibat, comme je vous l'ai dit,

Luc. Simois, je suis Lucentio, hic est, fils de Vincentio de Pise, - Sigeïa tellus, déguisé pour obtenir votre amour;- Hic steterat, et ce Lucentio qui demande votre main, Priami, est mon valet Tranio, —regia, vêtu de mes habits, — celsa senis, afin de tromper le vieux bon homme.

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Bian. Voyons maintenant si je pourrai faire la construction à mon tour.- - Hàc ibat Simois, je ne vous connais pas, — hic ·est Sigeïa tellus, je ne me fie point à vous;-Hic steterat Priami, prenez garde qu'il ne nous entende, — regia, ne présumez pas trop, celsa senis, et ne désespérez pas non plus. >>

Cette scène a probablement inspiré à Regnard, dans son Distrail, celle où le chevalier, surpris en tête à tête avec Isabelle, se fait passer pour maître d'italien et lui donne la leçon suivante:

Isabella bella, c'est vous, belle Isabelle,
Amante fidele, c'est moi, l'amant fidèle,
Qui veut toute sa vie adorer vos appas.

Il les faut accorder en genre, en nombre, en cas.

Le système de Petruchio lui réussit complétement; et, dans une scène fort piquante, à la fin de la pièce, Catherine déclare hautement sa soumission passive aux volontés de son mari et son amour pour lui, devant sa sœur Bianca et une autre dame, qui viennent d'épouser leurs amants, et qui n'en font pas moins de l'opposition dès les premiers moments du mariage.

Un moraliste a dit : « Non-seulement, dans le mariage, la » félicité parfaite est chimérique, mais on rencontre des gens >> qui s'ennuieraient d'un calme absolu, et qui pensent qu'un >> peu de contrariété met de la variété dans la vie. » Nous laisserons nos aimables lectrices se prononcer sur une question dans laquelle elles sont si vivement intéressées. Nous avons quelques motifs de croire qu'elles n'ajouteront pas une foi en

(1) Traduction de ces deux vers : « Là coulait le Simoïs; voilà le promontoire de Sigée; là s'élevait le palais majestueux du vieux Priam. »

tière à la conversion de Catherine, et qu'elles ne seront pas complétement de son avis, lorsqu'elle termine la pièce en di

sant :

« Une femme en courroux est comme l'eau trouble et bour>> beuse d'une fontaine, de laquelle personne ne daigne appro>> cher ses lèvres. Votre mari est votre maître, votre vie, votre » gardien, votre chef, votre roi. La soumission d'un sujet à son » prince, la femme la doit à son mari. Que les femmes mettent >> leurs mains sous les pieds de leurs maris, en signe de l'obéis»sance qui leur est due; et si le mien l'ordonne, pour peu qu'il >> y trouve son plaisir, ma main est prête. »

DE MONTIGNY.

TOUT EST BIEN QUI FINIT BIEN,

OU

LE SUCCÈS JUSTIFIE TOUT.

COMÉDIE.

Bertrand, comte de Roussillon, se dispose à partir pour la cour du roi de France; ce départ fait couler les larmes de sa mère et celles de la jeune Hélène, fille d'un médecin distingué, qui, en mourant, l'a confiée à la comtesse. Mais les larmes d'Hélène ont une autre cause; ce sont celles du violent amour qu'elle éprouve pour Bertrand, et qu'elle cache soigneusement dans son sein. Pendant ce temps, le roi est atteint d'une maladic mortelle qui résiste à tous les efforts de l'art. De son côté,

Hélène, en proie à son désespoir, voit son secret dévoilé à la comtesse par son intendant. Celle-ci, loin de s'en offenser, lui demande quel est son espoir. Hélène répond qu'elle a dessein d'aller trouver le roi, et de le guérir à l'aide de quelques remèdes infaillibles, dont son père lui a laissé le secret pour tout héritage.

L'indulgente et compatissante comtesse approuve non-seulement ce projet, mais elle l'encourage de son argent et de ses recommandations. Hélène part; elle est présentée au monarque par un vieux courtisan nommé Lafeu, qui lui annonce que cette jeune fille vient pour le guérir. Le roi, après avoir questionné longtemps cet Esculape en jupons, consent à prendre le médicament qu'elle lui présente, mais sous la condition que la mort d'Hélène sera le prix de sa témérité si ce breuvage ne produit pas sa guérison; dans le cas contraire, le roi s'engage à lui donner pour époux celui des jeunes seigneurs de sa cour qu'elle choisira. Hélène accepte ces propositions : le roi est guéri, et Bertrand désigné par Hélène. L'orgueil de celui-ci se révolte en songeant à un mariage si disproportionné; mais le roi commande, il faut obéir. Bientôt après, il part pour Florence, en faisant savoir à sa femme qu'il ne la reconnaîtra.jamais comme telle, à moins qu'elle ne parvienne à posséder la bague qu'il porte à son doigt, et à lui donner un fils. Tout entière à son amour, et ne voyant rien d'impossible pour le satisfaire, Hélène part, se déguise, et arrive à Florence, où elle apprend que le comte est passionnément amoureux de la fille d'une veuve, qu'elle vient à bout de gagner par son or et ses larmes. Trompé par l'une et par l'autre, le comte passe la nuit avec Hélène, et lui donne sa bague, croyant en gratifier sa maîtresse. Peu de temps après, il revient en France, où elle le suit, lui présente cette même bague, et l'instruit de tout le mystère. Touché de tant de persévérance et d'amour, le comte l'embrasse et la reconnaît pour son épouse.

L'intrigue de cette pièce est tirée de la riche mine anecdotique de Boccace (Dec. 3). Ce choix a été si heureux qu'il y a peu d'années qu'il a été reproduit avec succès sur la scène française (théâtre des Nouveautés) sous le nom de Gillette de Narbonne.

Dans ce drame, le poëte ne s'est guère écarté de l'original, si ce n'est pour rendre l'intrigue plus compliquée et se ména

ger des situations qui en augmentent l'intérêt. Parmi les personnages épisodiques qui sont assez nombreux dans cette pièce, Shakspeare s'est plu à en peindre un dont le caractère produit quelques scènes comiques : c'est un capitaine français, nommé Parolles, qui fait partie de la suite du comte de Roussillon.

Dans le drame de Shakspeare, c'est Hélène qui est la Gillette de Narbonne de Boccace. Avec quel brillant coloris il l'a représentée; avec quelle habileté il a triomphé des difficultés! Il n'y a peut-être pas un tableau plus parfait d'un amour de femme que celui d'Hélène en proie à une langueur silencieuse que n'éteignent ni la réflexion, ni les obstacles. Forte du sentiment qui la domine et de sa constance, elle vole sur les ailes de l'espérance vers ce brillant avenir qui doit la réunir à l'objet de toutes ses affections. La passion repose ici sur elle-même, et, malgré la puissance des moyens de séduction dont la femme est si riche, Hélène n'emprunte rien à l'art; elle ne consulte que la nature et son cœur. Elle n'a rien du charme pittoresque ou de la fiction brillante de Juliette, de la splendeur poétique de Porcia, ni de la grandeur virginale d'Isabelle; sa situation est la plus pénible et la plus humiliante où une femme puisse être placée. En proie à son désespoir, elle voit son secret dévoilé à la comtesse par son intendant. Celle-ci, qui chérit Hélène comme son enfant d'adoption, la fait venir et lui arrache l'aveu de son amour. Rien n'est plus touchant que cet aveu d'Hélène, si naïf, si vrai, et fortement empreint de cette éloquence d'un cœur simple et fasciné par les illusions de l'amour:

<< Eh bien! à vos pieds, je l'avoue devant Dieu et devant vous, » madame, j'aime votre fils encore plus que vous ne le chéris» sez. Après le ciel, c'est lui que j'aime le plus. Mes parents » n'étaient pas riches, mais ils étaient honnêtes, et mon amour >> est honnête comme eux. Que cet aveu ne vous offense point, >> car je n'ai fait aucun tort à celui que j'aime; aucune avance » présomptueuse ne m'a guidée; bien plus, je ne voudrais pas >> même obtenir sa main sans l'avoir méritée; cependant j'i>> gnore par quel moyen je pourrais y parvenir jamais..... De » grace! ne me rendez pas votre haine pour mon amour, parce » que j'aime ce que vous aimez ! »

Hélène est pauvre, et elle idolâtre un homme qui, appartenant à un rang supérieur, paie son amour d'indifférence et

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