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Tous ceux qui lisent sans prévention, ou qui voient représenter les pièces de Shakspeare, éprouvent la plus vive sympathie pour le caractère des femmes mises en scène par ce grand poëte. Le critique éclairé qui pèse les mots, le poëte romantique, dans les écarts de son imagination, le fashionable, dans sa loge, le tapageur incivil des troisièmes, sont, comme l'habitué du parterre, touchés, chacun à sa manière, du dévouement conjugal et du triste sort de Desdemona, de l'élévation d'âme et de la vertu sublime d'Isabelle et de Porcia, de l'amour enthousiaste et de la fin tragique de Juliette, de la tendresse maternelle de Constance, de l'héroïsme et de l'austére énergie de Marguerite d'Anjou, du courage, du dévouement, de la force d'affection et de la sublime conduite de Catherine d'Aragon, et d'Hermione, de l'esprit de Rosalinde, dont les pensées, à travers la gaieté du langage, pénètrent jusqu'au cœur, de la coquetterie raffinée de Cléopâtre, coquetterie que rachète et sanctifie, pour ainsi dire, une mort, sublime dévouement de l'amour. La tendresse romanesque d'Imogène et de Viola, la folie et le désespoir d'Ophélie, l'affection filiale de Cordelia, l'innocence et la naïveté de Perdita et de Miranda, la vivacité d'esprit de Béatrix, la douceur d'Anna Page, la résignation d'Anne Boleyn, cruellement déchue des honneurs qu'elle n'a que trop désirés, la folâtre gaieté de Jessica; enfin les innombrables beautés de toutes ces créations si variées et si ravissantes offrent le tableau le plus enchanteur. Que dire de « Titania et de son peuple de fées, de ces esprits qui vivent » de fleurs, courent en effleurant le gazon, dansent dans les » rayons de la lune, se jouent avec la lumière du matin, et >> s'enfuient à la suite de la nuit, mêlés aux douteuses lueurs » de l'aurore (1). »

Aux rivalités, aux jalousies, aux petites haines que tant d'auteurs ont reprochées aux femmes, on peut opposer la belle peinture que Shakspeare a faite de leur amitié, de leurs affections généreuses. Combien il se plaît à rendre justice à leurs nobles penchants, à leur bienfaisance intarissable! Avec quelle force, quelle simplicité, quelle conviction, il peint l'amitié de Beatrix et de Héro, de Rosalinde et de Célie! Quelle vérité dans l'attachement enfantin d'Hélène et d'Hermia, dans (1) M. Guizot.

ce pur sentiment qui n'est pas puisé à la source ordinaire des passions! Rapprochez de ces tableaux la générosité de Viola pour sa rivale Olivia, de Julie pour sa rivale Sylvie, et vous serez étonné de la souplesse de talent du génie qui les a créés.

C'est en vain que l'on chercherait dans les écrits des Romains eux-mêmes des portraits de femmes telles que les héroïnes des pièces de Jules César et de Coriolan.

Nous ne reviendrons pas ici sur le personnage étonnant de lady Macbeth, dans ce drame éminemment tragique, auquel on ne saurait trouver de parallèle qu'en remontant à cette scène effrayante où les furies se précipitent sur le théâtre, appelant avec des rugissements épouvantables la vengeance sur le fugitif Oreste, scène qui électrisa de terreur tout le peuple d'Athènes.

Gertrude, la criminelle Gertrude n'est pas représentée comme ayant déshonoré la couche de son premier époux. Toute criminelle qu'elle est, elle excite notre attendrissement en répandant des fleurs sur le corps d'Ophélie. « J'avais es» péré, s'écrie-t-elle, que tu serais la femme de mon Hamlet; je >> pensais, aimable fille, que je sèmerais de fleurs ton lit nup» tial, et non ton cercueil. »

Shakspeare aurait reculé devant les allusions qui se trouvent dans la plupart des productions du drame moderne, et nulle part nous ne voyons de scènes licencieuses.

Les limites que nous nous sommes imposées nous forcent à passer ici sous silence une partie des nombreuses créations que le poëte a tracées avec tant de vérité. En un mot, les femmes de Shakspeare sont douces et soumises quand le devoir ou l'affection le commande; fermes et intrépides pour résister au mal, à la honte ou à la disgrace; constantes en amour; fidèles et dévouées dans toutes les grandes épreuves de la vie, comme épouses, sœurs, filles, mères on amies; spirituelles ou fines, tendres ou romanesques, fières ou enjouées, leurs défauts sont cachés, et leurs bonnes et aimables qualités mises en relief; elles paraissent, dans les œuvres du célèbre tragique anglais, comme les filles d'un tendre père, les fiancées d'un amant passionné.

En terminant, nous croyons devoir indiquer les sources où nous avons puisé; les principales sont les œuvres de SCHLEGEL, de TIECK, LESSING, GOETHE, en Allemagne; de MM. GUIZOT, VILLEMAIN, LEMERCIER, Mme DE STAEL,

PAUL DUPORT, en France; DRYDEN, WARTON, CHALMERS, MACKENZIE, Mrs. MONTAGUE, JOHNSON, MALONE,

STEEVENS, REED, CUMBERLAND, GODWIN, RICHARDSON, MORGAN, JEFFREY, GIFFORD, DRAKE, Dunlop, LAMB, COLERIDGE, CAMPBELL, sir W. SCOTT, HAZLITT, et Mrs. JAMIESON, en Angleterre; qui ont fourni les matériaux de la plupart des notices et des notes que renferment ces volumes; nous n'avons pas hésité de profiter des travaux de ces critiques, afin d'offrir un résumé des jugéments que tant d'écrivains célèbres ont porté sur l'Eschyle anglais. Nous leur avons emprunté souvent des passages qui nous ont paru appropriés à notre but. Le plus souvent, pour maintenir l'unité parmi tant d'opinions, nous y avons intercalé la nôtre. L'exposé de ce que différents écrivains ont fait pour illustrer les œuvres du poëte anglais offre des avantages innombrables; un pareil tableau fournit une collection d'observations intéressantes sur l'auteur dont nous étudions les travaux. Ces opinions, d'ailleurs, éclairent et forment, pour ainsi dire, des jalons qui indiquent le cours et les progrès du génie d'un homme qui, après avoir dans son pays, ouvert à la poésie dramatique la route qu'elle n'a point quittée, y marche encore le premier et presque le seul..... C'est aussi une dette de reconnaissance que nous nous plaisons à rendre à tant d'auteurs illustres dont les ouvrages réunissent l'utilité et le plaisir.

Presque toutes les notabilités littéraires, qui ont travaillé à la Bibliothèque Anglo-Française, ont bien voulu se réunir à nous, afin de rédiger les notices contenues dans ce volume. En imprimant leur cachet à cette publication, ils ont eu pour but de recommander les œuvres de l'Eschyle anglais à l'attention des savants, et surtout de cette partie des lecteurs qui ont besoin de juges aussi éclairés pour apprécier tout ce qu'il y a de beau, de sublime dans ses productions. Qu'il nous soit permis de leur en témoigner notre gratitude, ainsi qu'aux collaborateurs de notre Galerie des Femmes de Shakspeare, pour cette sanction honorable, qui est à la fois un encouragement flatteur, et la récompense de nos efforts pour populariser en France la littérature anglaise.

D. O'SULLIVAN.

ESSAI

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR

SHAKSPEARE

PAR M. VILLEMAIN.

AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR.

Cet Essai, publié il y a douze ans, et plusieurs fois réimprimé, a été traduit en anglais par le docteur Drake, l'homme qui a le mieux étudié la vie, le génie et l'époque littéraire de Shakspeare. Encouragé par cette approbation, l'auteur, profitant des remarques de son célèbre traducteur, et de quelques recherches toutes récentes du savant Collier, a cru devoir corriger et étendre son premier travail : il en a fait un ouvrage plus complet, et en grande partie nouveau, qu'il offre aux admirateurs étrangers et nationaux du poëte anglais.

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