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Peut-être, car après tout, les belles régions que nous venons d'explorer, vastes domaines des sciences et des arts, nous étaient bien moins connues que les parages rocailleux au milieu desquels nous nous aventurons; - peut-être, car nous n'avons accompli la première partie de notre tâche, ni sans fatigues ni sans dangers parfois diaboliques, et notre Purgatoire qui commence nous fera pardonner sans doute les fautes que notre inexpérience ne nous a point permis d'éviter.

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<< Beau temps, belle mer, bonne brise! Attrape à prendre le large! Pour filer rondement en pleine mer, virons au cabestan! — Bordons et hissons huniers et perroquets! - Aux drisses des focs! -Dérapons! -Faisons notre abattée! - Orientons! - Le cap en route ! »

C'est ainsi que je paraphrase en termes ultra-marins ma dernière citation tirée du Dante, j'aurais pu dire en un seul mot:

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Et maintenant plus d'embardées et plus de dérive s'il se peut. Timonnier inhabile, n'embardons pas, ne donnons pas au gouvernail de faux coups de barre, qui feraient faire au navire d'inutiles zigzags et le retarderaient en chemin ; plus d'embardées, plus de digressions.

Navigateur contrarié par le vent ou le courant, ne dérivons pas, s'il est possible; ne nous laissons pas entraîner hors de la route à suivre.

Mais il fait beau temps, belle mer, bonne brise, nous l'avons constaté; le chef de timonnerie ouvrira le journal du bord par ces mots

sacramentels.

Le vent est favorable, sans quoi nous n'aurions pas commandé l'appareillage; la marée, loin de nous être contraire, nous pousse dans la direction voulue.

All's well!-Tout est bien! - Bon quart partout!

Et ne craignez rien, paisible lecteur volontairement passager à notre bord et tout ébloui par la promptitude de nos manœuvres, ceux des termes encore obscurs que nous laissons à la traine seront rentrés, hálés en dedans, inspectés, visités et soignés en cours de voyage.

A l'appel donc!... Et suivant la règle, - rôle d'équipage en main, que le commissaire commence par le plus haut et le plus puissant seigneur du bâtiment :- Amiral, commandant ou capitaine. Les ordonnances le veulent ainsi.

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Appareiller. — « Joindre à une chose une autre chose qui lui soit pareille. » (ACAD. FR.) -Rendre ou choisir pareils. Prendre deux rames bien semblables, assortir des avirons couple par couple, fut évidemment la première manœuvre ou plutôt le premier des préparatifs de départ qui dût être fait dès l'origine de la navigation.

On appareilla tout aussitôt les avirons en mettant à l'eau les deux pareils; l'on dit par suite appareiller les avirons, puis les voiles, pareilles ou non, puis enfin le navire.

Alors, appareiller devint synonyme de partir.

Nous appareillons à la vapeur, on appareillera par tous les systèmes à venir, qui la remplaceront successivement.

Voiles, vapeur, roues, hélices passeront; appareiller, qui date de l'origine du batelage, ne passera point. En marine, il signifiera toujours partir.

Par langue maritime, comme nous l'avons dit dès notre entrée en matière, nous entendons d'abord la langue technique des marins, mais nous appellerons plus spécialement ainsi la langue populaire, le langage des matelots, qui emploient sans cesse au figuré les expressions du métier employées au propre dans les commandements et les manœuvres.

La littérature du gaillard d'avant doit à ce langage son cachet principal; les discours, les récits, les contes et les rondes de bord, une originalité qu'il est utile de faire pressentir par quelques exemples saillants.

Appareiller, faire voiles, signifient partir, s'en aller. On appareillera sac au dos, la canne à la main; on fera voiles par le coche de Landerneau.

La vitesse étant mesurée par les nœuds faits sur une corde légère, appelée ligne de loch, qu'on jette à la mer de demi-heure en demi-heure, l'on file un certain nombre de nœuds dès que l'on est en marche. Filer son nœud est donc un synonyme familier d'appareiller et de faire voiles, aussi bien que de marcher.

« Nous filions notre nœud sur la route de Paris, quand sur a l'avant à nous, je relève un particulier à cheval, gréé en monsei«gneur, espalmé dans le grand genre, suivé, goudronné, galipoté, « flambant, tout dehors. a Voile! matelots, voile! » que je crie « aux autres. Il passe à contre-bord; c'était Madurec!.... »

Voilà le début d'un récit de voyage par terre.

Sur l'avant à nous, signifie clairement devant nous.

Je relève, c'est j'aperçois et j'observe avec attention; on relève la situation des terres à l'aide de la boussole; on relève l'aire de vent dans laquelle on a découvert une voile; on relève le soleil à son lever ou à son coucher, pour calculer, à l'aide de cette observation astronomique, les variations de l'aiguille aimantée; les pilotes prennent des relèvements à terre, pour déterminer le point où ils se trouvent.

Le gréement, c'est-à-dire l'ensemble des cordes et cordages, puis par métaphore, la chevelure du vaisseau, devient par extension le costume tout entier; étre gréé c'est être vêtu; un navire dégréé est nu en quelque sorte; le vêtement du navire n'est-il pas l'ensemble des cordages, des vergues, des voiles qui forment sa parure?

Espalmer, suiver, goudronner, galipoter, sont autant d'opérations utiles à la bonne tenue, à la propreté, à la marche ou à la belle apparence du navire. Un navire bien espalmé, bien suivé, bien

goudronné, est flambant, en vérité, comme vient de le dire notre auteur.

Mettre toutes voiles dehors ou dessus, c'est faire sa plus belle toilette. Les matelots voulant peindre une princesse en grand costume de cérémonie, ne manqueront guère de dire: elle avait toutes voiles dessus, ou par ellipse, tout dessus ou tout dehors.

Être prêt à tout, être paré à tout, sont des synonymes exacts. L'idée de parure et d'équipement s'associe continuellement à celle de péril, de dévouement et de sacrifice. Sous l'ancien régime, avant de livrer un combat naval, l'on ne manquait point de se mettre en grande tenue. Le capitaine de vaisseau s'habillait en costume de cour, se faisait raser et poudrer, changeait de manchettes, et se chaussait à talons rouges. Il était ensuite paré à combattre, il avait mis son plus brillant uniforme: il avait tout dehors!

Toutes voiles dehors ou toutes voiles dessus, signifiera enfin : par tous les efforts possibles. Le matelot qui met toutes voiles dehors pour sa vieille mère, entend exprimer que son dévouement filial est sans bornes.

Pour les enn'mis, feu des deux bords!

Ah! ah! ah! cheerly men!

Pour ma vieill' mèr' tout' voil' dehors!
Ah! ah! ah! cheerly men! (1)

-Voile est le cri par lequel le matelot de vigie annonce qu'il aperçoit un navire, car il est à remarquer que cet exemple de synecdoque, cité par Andrieux, Dumarsais et tant d'autres dans leurs traités de tropes ou de rhétorique, est plus fréquemment employé, sans aucun doute, par les marins de veille que par les versificateurs en quête d'une rime à étoile. Un navire est un voyageur de mer, on rencontre un voyageur de terre, on signale naturellement une voile. La synecdoque devient allégorique.

(1) Le cri anglais Cheerly, men! gaiement les hommes! aujourd'hui très-usité dans notre marine marchande, sera commenté au chapitre VIII.

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