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CHAPITRE DIXIÈME.

RÉSUMÉ.

SOMMAIRE. ENSEMBLE DU LANGAGE DES MARINS, SA PRÉCISION TECHNIQUE, SA FÉCONDITÉ, SON ÉNERGIE, SES QUALITÉS POÉTIQUES, SA RICHESSE, SON ÉCLAT.

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Le langage des MARINS comprend, d'une part, les termes généraux relatifs à la mer, aux vents, à leurs divers états et aux phénomènes divers qui influent sur la navigation, la nomenclature des outils et matériaux de tous genres nécessaires à la marine, et un très-grand nombre de verbes qui expriment la manière dont on en fait usage, des termes indispensables pour déterminer exactement telle position, telle opération, telle manœuvre, des abréviations utiles pour remplacer de longues périphrases, -et, en second lieu, des dérivés familiers de ces mots techniques, des tropes originaux et des idiotismes colorés, la plupart du temps fort remarquables pour quiconque s'est rendu compte de leur signification, de leur valeur ou de leur origine.

Dans ce livre nous n'avons pas eu le dessein de donner la nomenclature complète, d'examiner le vocabulaire entier, mais les éclaircissements qu'il contient suffisent pour que le lecteur attentif - comprenne désormais sans difficultés les définitions qu'il trouvera dans les ouvrages spéciaux, manuels, vocabulaires ou dictionnaires de marine. Pour atteindre ce premier but, nous avons expliqué tous les mots qui entrent comme éléments dans les définitions techniques. Ainsi celle du verbe ribomborder, courir de petites bordées multipliées, ne saurait être obscure après tout ce que nous avons dit des

expressions courir des bordées ou des bords, louvoyer, virer de bord, etc.

Nous bornant à traduire et commenter, soit dans le texte, soit à l'index, les termes cités dans cet ouvrage, nous avons élagué, autant que possible, ceux dont le sens propre ne devait engendrer aucune figure saillante. C'est pourquoi nous avons omis jusqu'ici, outre les noms d'objets d'un usage secondaire, les verbes :

Étarquer,

hisser à son point le plus haut, une vergue ou une voile, hisser à bloc, hisser à joindre.

Trévirer.

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retourner, chavirer une giène (un paquet de cordages), un cable, ou encore se servir de la trévire corde pliée en deux qui aide à faire rouler des barriques sur un plan incliné.

Oringuer raidir l'orin d'une ancre pour s'assurer qu'elle est bien mouillée.

Mais voulant faire sortir du chaos le génie d'une langue à la fois technique et pittoresque, nous nous sommes attaché à rendre extrêmement clairs tous les mots formant image ou employés dans des expressions imagées. Et nous avons assez multiplié les exemples pour qu'on puisse se prononcer en toute connaissance de cause.

Mais, les figures de mots, les catachrèses notamment, étant innombrables, nous n'avons indiqué que les plus maritimes. A peine avons nous touché au charpentage et au canonnage (1).

Nous sommes fort loin d'admettre, comme on le voit, que ce livre sur le Langage des Marins puisse suppléer à l'usage, arbitre souverain en fait de langues humaines. Les romanciers, paroliers ou auteurs dramatiques, en le consultant, éviteront à coup sûr les fautes grossières qu'ils commettent d'habitude; mais s'ils le feuillettent dans le dessein de fabriquer ensuite des expressions maritimes, ils courront encore le risque d'inventer les plus burlesques contre-sens. Suffisant pour les versions, notre ouvrage ne pouvait l'être pour les thèmes. Il aurait fallu décupler son volume, le surcharger d'explications interminables, illisibles, décourageantes, et encore aurions nous atteint le but? Non, car l'usage seul peut

(1) Voir la note D.

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faire saisir les nuances dans lesquelles résident toujours la précision, la finesse, le charme du langage. Ainsi, comme on l'a vu, mettre en mer et mettre à la mer ont des sens absolument différents, courir bon bord et courir un bon bord des sens diamétralement opposés, car le matelot qui court bon bord, qui fait des bamboches à terre au lieu d'être à son poste, court un mauvais bord puisqu'il se conduit mal.

D'un autre côté, nous avons craint d'insister trop fréquemment sur les termes et les expressions maritimes qu'on emploie figurément en terme ferme; en procédant ainsi nous aurions pu rattacher les neuf dixièmes des tropes au langage des marins.

Dans leurs phrases les plus techniques, dans les locutions qui ont trait aux manœuvres de force et aux nœuds, les gens de mer se servent continuellement de mots, tels que :

Mariage, marier, jumeler, se comporter, etc...

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On marie deux cordages en les joignant de distance en distance par des amarrages. On marie des poulies en les attachant ensemble pour les faire concourir à un même effort. — Le mariage de la tourne-vire est la réunion des deux bouts de ce cordage, l'un avec l'autre. Marier s'emploie souvent pour amarrer, ajuster, accoupler. On jumelle des mâts, des vergues, en les renforçant au moyen de pièces de bois creusées dites jumelles, auquelles on les lie étroitement. Jumeler équivaut fréquemment à raccommoder, consolider. Un navire se comporte bien ou mal à la mer, suivant que ses mouvements sont doux ou durs, qu'il fatigue peu ou beaucoup. Tel bâtiment se comporte bien au plus près, qui se comporte mal vent arrière ou grand largue.

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Ces expressions faciles à comprendre ou très-connues, au moins, dans les arts mécaniques, ne devaient nous occnper qu'accessoirement, et c'est pourquoi nous en avons élagué la majeure partie.

Au point de vue technique, la langue maritime française est en général précise. On n'y rencontre guère de pléonasmes, et si quel

ques mots comme bord, border, chasser, quart, arriver, cale et lof, prêtent à l'amphibologie, ces mots sont très-peu nombreux.

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Au point de vue des figures, elle se distingue par sa fécondité et par son énergie. Nous avons été fréquemment obligé de reculer devant la multiplicité des synonymes rendant la même idée, et, forcé de choisir, nous avons recherché la variété par-dessus toutes choses. Nerveuse, même quand elle n'est pas concise, elle est rude parfois, vigoureuse toujours.

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L'existence des gens de mer étant subordonnée à l'état des éléments, les expressions majeures ont pour principe le vent maître et seigneur des flots. La rhétorique navale est l'outre d'Éole; les vents du large lui donnent la vie; la plupart des images qu'elle affectionne reposent sur les ailes des vents.

Le vent qui soulève les lames, qui gonfle les voiles, qui occasionne le plus grand nombre des manœuvres, qui donne lieu à la classification par allures et qui a si longtemps été la clef des mers, est en quelque sorte la clef du langage des marins. Il représente les chances de la navigation ou, en d'autres termes, celles de la vie.

Le vent c'est le bonheur, le malheur, la joie, la tristesse, la douceur et la colère, le bien-être, la misère, l'argent, la fortune. La manœuvre du navire à voiles dépend presque toujours du vent seul; or, l'idiome actuel de nos marins s'est formé à bord des navires à voiles.

Sous le règne de la vapeur qui rend au moteur interne son antique prépondérance, quelques locutions trop voilières, trop spéciales disparaitront, mais le vent, père et roi des tempêtes, toujours obstacle sinon moyen, occupera toujours conséquemment, la première place dans la rhétorique navale.

Après l'idée de vent, celle de locomotion qui en est inséparable dans la marine à voiles se présente avec le verbe naviguer dont les manœuvres du vaisseau sont les corollaires. L'appareillage et le mouillage s'offrent aussitôt comme deux extrêmes qui se touchent, puisque l'un, première grande manoeuvre, est le commencement, le départ, l'adieu, la mort, la fin (la fin du séjour) et l'autre,

dernière manœuvre, est la fin (du voyage) le retour, le revoir, le repos, le sommeil profond qui précède la léthargie de l'amarrage

au port.

L'atterrissage avec le pilotage, les sondes et les relèvements des côtes, le combat, ses préparatifs, la chasse, le tir du canon, l'abordage, - l'arrimage, le chargement, le déchargement et les travaux intérieurs du bord sont autant de sources secondes.

Les constructions navales, les usages des ports, les mœurs maritimes et quelques accidents ou phénomènes engendrent enfin des locutions accessoires dont quelques-unes sont très-usitées.

C'est ainsi que se lover signifie se blottir, se ramasser, se cacher, se tapir dans un coin, parceque techniquement on appelle lover un cordage, le ployer en rond, le rouler en écheveau, le rouer, le cueillir, le glèner, v. m., en faire une glène. Les matelots diront qu'un serpent se love quand il s'enroule sur lui-même.

La pince est un levier de fer qui sert à diverses manœuvres de force et notamment au pointage des canons. La comparaison raide comme une pince fait partie essentielle du langage des marins.

Les détails du même genre sont infinis.

On ne saurait, ce nous semble, refuser sans injustice des qualités poétiques à une langue aussi riche en images, en métaphores, en figures énergiques et hardies; avouons toutefois qu'elle traduit assez difficilement les idées douces et gracieuses. Aussi, est-ce bien moins au large qu'à terre, que les mots brise, agrès, parages, partance, et autres ont acquis un charme secret.

On ne peut cependant contester aux marins le joli terme de ruche signifiant corps du navire encore vide, terme par lequel l'équipage est assimilé au laborieux essaim qui en prendra possession. Comme les abeilles construisent les alvéoles, ainsi les marins gréeront, armeront, arrimeront, peupleront et animeront le bâtiment en lui faisant produire les fruits de leur incessante activité.

Les noms de bâtiments, frégate, corvette, goëlette, aviso, mouche, éclaireur, les noms de la plupart des voiles, ceux de plusieurs parties du navire, comme épaules, joues, etc.; celui de flèche, qui

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