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Vous êtes mon prisonnier, dit le perfide Anglais, j'ai promis de vous » conduire en Angleterre.

• Jean-Bart, furieux, allume sa mêche, crie: A moi! renverse quelques ⚫ anglais présents sur le pont et dit :

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Non! je ne serai pas ton prisonnier ; le vaisseau va sauter !

» En même temps, avec sa mèche allumée, il s'élance vers un baril de » poudre qu'on avait tiré de la sainte-barbe. »

Voilà dans sa pureté native la relation des almanachs, tel est le sujet des enseignes.

Sur le tableau des débitants de tabac, la mèche fume, Jean-Bart l'approche du baril; les Anglais reculent d'effroi. Bien entendu, les Français accourent, montent à l'abordage, délivrent leur valeureux capitaine, hachent les ennemis comme chair à pâté, et s'emparent de la berge anglaise.

Je n'ai jamais douté du commencement ni de la fin de l'histoire, mais le milieu ne jouit pas également de ma confiance; or, ce milieu est justement le sujet des enseignes, le moment dramatique, l'instant où Jean-Bart pose la mèche sur le baril de poudre.

Que Jean-Bart dans un port neutre accepte l'invitation à déjeuner d'un ennemi, que cet ennemi lui tende un piége, que le héros dunkerquois ne s'y laisse pas prendre et appelle au secours, que ses matelots l'aient délivré et vengé: rien de plus vraisemblable; mais ce baril de poudre tiré à point nommé de la sainte-barbe on ne sait pourquoi, cette mèche que Jean Bart trouve on ne sait où et allume si vite on ne sait comment, me paraissent d'abord passablement apocryphes. Cependant, je m'en accommoderais à la rigueur, si un baril de poudre placé au grand air, sur le pont, pouvait par son explosion faire sauter un navire. Malheureusement, ou plutôt heureusement, il n'en est rien.

Au grand air, la poudre non comprimée-brûle, flambe et voilà

tout.

Le baril du perfide Anglais, baril dont je me représente la dimension, d'après les enseignes des débitants de tabac, était nécessairement ouvert, sans quoi la mèche allumée n'aurait servi de rien. A force de me creuser la tête, je suppose que la poudre avait été

sortie de la sainte-barbe parce qu'elle était humide et avait besoin de sécher au soleil. Supposons encore qu'elle fût à peu près sèche, elle eût pris feu; et si le baril était mal confectionné, ce que je veux bien admettre, elle l'eût peut-être fait éclater, auquel cas, JeanBart courait risque d'être renversé, aveuglé, grièvement blessé, tué même par la commotion; je cave au pis par respect pour les relations d'almanach; mais attendu que les Anglais avaient

reculé d'effroi, ils n'auraient pas reçu la moindre égratignure.

En dépit de toutes les preuves historiques, nous sommes réduit en définitive, à la cruelle nécessité de déclarer que la soute où les poudres sont arrimées est située dans la cale, doublée de tôle et pourvue de robinets sous-marins pour la noyer au besoin, tandis que les saintes-barbes actuelles n'ont que des rapports éloignés avec ce. sombre et formidable magasin.

La marine est un art de progrès, où les installations défectueuses se corrigent de jour en jour.

A une époque déjà reculée, la sainte-barbe et la soute aux poudres n'étaient qu'un seul et même lieu commiş à la garde du maître et des aides canonniers; mais on sentit bientôt la nécessité d'isoler les artifices, et l'inutilité ou plutôt l'insuffisance d'un surveillant perpétuel.

La partie du bâtiment la moins exposée aux projectiles ennemis fut consacrée aux poudres; enfin, l'espace qu'elles avaient occupé garda seul le nom de la patronne des artilleurs et devint le logement du maître de canonnage. C'est là que couchaient aussi l'aumônier, le chirurgien-major, les gardes-marine et l'écrivain. Cette disposition, mieux entendue, subsista longtemps; mais des améliorations survenues l'ont également abolie.

L'aumônier, le chirurgien et le commis d'administration, assimilés aux officiers de vaisseau, ont habité des chambres dans le carré de l'état-major; les gardes-marine, sous le nom de volontaires, d'élèves et plus tard d'aspirants, ont eu un poste particulier; le maître canonnier, réuni aux autres maîtres, est allé s'établir sur l'avant la sainte-barbe, jadis si peuplée, est restée déserte. La

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barre du gouvernail y manœuvre désormais sans obstacles et sans occasionner aucun des accidents fréquents autrefois.

Mais le maître-canonnier, en émigrant, a emporté avec lui les boute-feux, les gargoussiers, les dégorgeoirs et tous les ustensiles de combat; il a emporté en même temps l'image coloriée de la sainte, et son nouveau réduit a reçu la même dénomination que l'ancien.

Aussi, à bord des frégates et corvettes à batteries couvertes, y a-t-il toujours deux saintes-barbes différentes : l'une, lieu de débarras pour le capitaine, ne contient plus la moindre parcelle de poudre; l'autre, qui ne renferme que quelques charges isolées pour les cas très-pressés et les besoins journaliers du service, est la chambre du maître-canonnier.

A bord des vaisseaux, on compte même jusqu'à trois saintesbarbes, dont deux à l'extrême arrière, l'une, dans la batterie basse, l'autre, dans l'entrepont, la troisième étant, comme sur les navires de rang inférieur, la chambre du premier maître de canonnage.

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Dans tous les cas, on devra lire soute-aux-poudres chaque fois qu'on rencontrera les mots sainte-barbe employés comme synonymes de poudrière.

Le dictionnaire de Boiste, revu păr Ch. Nodier, dit au mot cap: a cordage servant à une manœuvre, » définition qui ne serait à sa place que dans un vocabulaire des termes de mer tombés en désuétude, et qui devrait être accompagnée de l'indication vieux. La plupart des marins ignorent, en effet, que le mot cap ait été, à bord des galères, un terme générique désignant tous les cordages, et qui est la racine des mots câble, et cabestan autrefois capestan.

Au mot cape on lit a la grande voile d'un vaisseau, (1) » — acception absolument inconnue des marins de nos jours, car, depuis plus de deux cents ans elle ne serait qu'un non-sens.

(1) Inventaire des mots dont on use sur mer. G. FOURNIER, Hydrographie.

Les vieux vocabulaires nautiques ont fourni aux auteurs de glossaires et de lexiques des mots dont ils recopient textuellement l'ancienne définition, tandis que les progrès de l'art naval sont incessants, et que la langue technique se transforme en conséquence. De là, une foule d'hérésies qui choqueront les marins d'autant plus qu'ils seront moins au fait de l'archéologie de leur profession.

Certains termes, fort connus encore il y a cent ans, et dont quelques-uns sont restés dans la langue usuelle, sont désormais tellement hors d'emploi à bord, qu'ils y paraissent au moins ridicules.

Malgré tout cela, malgré le nombre considérable d'erreurs plus ou moins grossières, puisées très souvent aux sources les plus estimées et les plus respectables, la langue maritime a fourni à la langue vulgaire une multitude d'expressions parfaitement justes et d'un usage continuel.

Citons encore :

Baisser ou amener pavillon;

Enlever, emporter, prendre à l'abordage ;

Ramer, qui familièrement équivaut à se donner beaucoup de peine : « Il aura bien à ramer avant que de parvenir où il veut. » « Il a bien ramé pour faire sa fortune. » ACAD. FR.

S'établir, se poster en croisière, croiser;

Faire le quart, faire le guet, faire faction;

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C'est une galère !...

Avoir du vent dans la voile pour avoir des ressources, de la fortune, des chances favorables, etc... ou populairement, à Paris être pris de vin;

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S'orienter, étre désorienté. Mesdames les portières de Paris, quand elles emploient, dans un sens très-différent du sens figuré ordinaire, le mot s'orienter, pour faire sa toilette, ne s'imaginent guère qu'elles parlent comme de grossiers matelots. Allons, ma fille, oriente-toi donc mieux que çà! - Ton bonnet est mal orienté, etc...

On dit se radouber pour se restaurer, soigner sa santé, réparer ses forces; — passer au radoub.— « RADOUBER (se) se dit figurément au sens de se rétablir, de réparer une perte, un dommage qu'on a souffert. Il s'est bien radoubé. Il s'est radoubé tout à l'aise. Cela se dit surtout d'un homme qui a repris de la santé, de l'embonpoint. On dit aussi, Il a fait un radoub. L'un et l'autre est familier. ACAD. FR.

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Je ne sais pourquoi Boiste ajoute inusité, lorsque ce terme est journellement employé par les gens d'affaires, par les gens du monde, et surtout par les médecins.

-Passer au grand radoub.

passe,

Dans les hôpitaux on dit :

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Se trouver dans une mauvaise passe, dans une passe difficile, être en passe, en belle les passes de la vie. - ( Quoique passe signifiant passage soit essentiellement marin, plusieurs des expressions ci-dessus peuvent être contestées.)

- Passager, passage, traversée fournissent des locutions qu'on pourrait aussi nous refuser, comme n'étant pas suffisamment maritimes; mais on acceptera sans objections:

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