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Nous avons cru que c'était l'une des nécessités de notre œuvre. Deux grands chapitres sont consacrés aux innombrables emprunts faits au vocabulaire maritime par la langue générale, les autres langues spéciales et la littérature.

Les écueils de cette première partie de notre ouvrage étaient fort redoutables. Il importait de ne point prendre le Pirée pour un nom d'homme, erreur fréquente et pour laquelle tout écrivain prudent doit réclamer de l'indulgence. Justiciable de la critique jusque dans les moindres détails, nous ne nous sommes point hasardé sans craintes dans des parages dangereux et parfois inconnus. La grande question était de ne pas se tromper en déclarant marin un terme de cavalerie, d'histoire naturelle ou d'architecture.

Équipage, équiper, équipement, mots marins pour les marins, seront les militaires des termes d'art militaire, pour pour

les

maçons

des mots de maçonnage, tandis qu'ils semblent appartenir à l'équitation par l'étymologie equus, cheval; M. Jal, dans son Glossaire nautique, contredit cependant cette dernière opinion.

Le verbe filer qui, en marine, entre dans une foule de locutions techniques, pourrait être attribué à la musique, parce qu'on file un son en chantant ; ou bien, attendu que les marins filent un cordage comme les chanteurs filent un son, on pourrait supposer que le verbe filer est maritime, quand il est tout simplement issu de la première quenouille de fileuse avec son premier brin de fil.

Mille autres exemples prouveraient combien il est mal aisé de démêler l'origine d'un mot ou d'une locution. Renvoyons aux expressions désemparer et veiller au, grain, que nous discutons dans notre chapitre deuxième, et bornons-nous à demander si le mot glène est un terme d'anatomie ou un terme de marine ?

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La glène est la cavité externe d'un os dans laquelle un autre os s'emboîte; les marins appellent glène un cordage rassemblé, cueilli en rond et qui nécessairement laisse un vide en son milieu. L'étymologie grecque y tranchera la question en faveur de l'ostéologie. Encore reste-t-il à savoir où les marins ont pris le mot

glène, que M. Jal déduit du bas latin glana ou glena, du latin gleba, dans le sens de poignée d'épis, d'où, par extension, poignée de toutes sortes d'objets.

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La langue française abonde en termes de mer et en locutions maritimes d'un usage perpétuel. Il était trop intéressant de les faire ressortir pour que nous ayons reculé devant les périls de cette tâche. Combien ne serait-il point à désirer que des études semblables fussent faites par des auteurs spéciaux sur toutes les autres langues spéciales. Ces travaux divers se corrigeraient les uns les autres, et leur dépouillement méthodique permettrait de faire un ouvrage d'ensemble sur les expressions imagées de la langue française. Un tel livre serait véritablement classique; il redresserait les erreurs séculaires des grammairiens qui, n'étant pas universels, se recopient sans critique, et celles des écrivains qui faussent ou altèrent le sens d'une noble langue, dont la conservation dans toute sa pureté importe à l'extension des connaissances humaines. Nous apportons humblement notre petite pierre à ce grand édifice.

Malgré ses inévitables imperfections, notre livre ouvrira aux philologues un horizon nouveau; il leur permettra de faire des études comparatives entre les langages spéciaux déjà explorés et celui des gens de mer. Les locutions figurées des marins n'ayant plus d'obscurités pour eux, ils les apprécieront sainement et pourront s'appuyer sur notre travail pour faire d'intéressantes découvertes.

Les lexicographes dont les œuvres essentiellement pratiques sont les bases de tout enseignement, seront en mesure de se rendre un compte plus exact d'une foule de termes de mer, et nous leur aurons peut-être fourni l'occasion de rectifier dans leurs dictionnaires quelques erreurs regrettables.

Nous espérons que les marins trouveront un certain attrait à la lecture d'un livre qui défend leur langage contre des imputations mal fondées.

Les littérateurs emploient sans cesse des expressions maritimes; ils auront en main un instrument qui leur permettra d'éviter les

contre-sens, d'autant plus aisément que l'Index alphabétique et méthodique, placé à la fin de ce volume, facilitera leurs recherches. Enfin, les gens du monde ne sont pas les lecteurs sur lesquels nous comptons le moins.

Aujourd'hui, grâce au ciel, on s'intéresse de plus en plus en France aux hommes et aux choses de la mer. Les esprits judicieux s'en préoccupent, les esprits superficiels s'en amusent; pour les uns c'est une question à étudier, pour les autres une distraction. Les jeunes gens qui se destinent aux carrières maritimes, ceux qui ont des goûts marins et qui luttent avec succès contre les marins euxmêmes pour l'équipement, l'installation et la manœuvre de leurs charmantes embarcations de plaisance, sont avides de notions maritimes. Or, il n'en est point de plus agréable ni de plus utile pour eux que celle du langage des marins, car elle est en quelque sorte la clef de toutes les autres. Ce que nous disons à leur propos est tellement notre conviction que, voulant publier une série d'ouvrages sous le titre collectif de Tableau de la mer, nous en ouvrons la série par le volume qui traite du langage des marins. Grâce à notre livre, on pourra lire ou consulter avec plus de fruit, non-seulement les traités techniques, mais encore les œuvres purement littéraires, poëmes, romans ou relations de voyages, car on ne sera plus arrêté par des termes difficiles à comprendre même avec le secours des dictionnaires de marine.

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Notre public de lecteurs est fort complexe. Nous comptons sur les jeunes élèves des écoles préparatoires et sur les brillants canotiers de nos rivières, comme sur les aspirants, les officiers de la marine impériale ou les capitaines au long-cours, comme sur les linguistes et les doctes professeurs de rhétorique. Que les hommes graves nous pardonnent donc d'avoir fait quelques efforts pour donner à notre œuvre une forme légère. La vérité n'en est pas moins vraie pour être dite en souriant ; la science et l'érudition ne perdent rien de leur valeur pour avoir sur leurs vêtements quelques paillettes d'esprit badin.

Comme l'ingénieux auteur Della Fortuna delle parole, M. Giuseppe Manno, dont l'ouvrage, intraduisible en français, a obtenu en Italie le succès le plus brillant, nous n'avons banni ni l'humeur ni la fantaisie de ces pages où nous devions craindre que la technologie ne produisît la sécheresse.

Quelques savants trop sérieux nous blâmeront sans doute, résignons-nous d'avance à leurs blâmes; mais la victoire est du côté des gros bataillons, et nous en appelons dès aujourd'hui à la masse imposante du bon public, qui voudra toujours du miel au bord du vase.

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