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de Jacob.

roglyphique, dont j'ai parlé ci-dessus, auront conduit à la méthode encore plus abrégée des lettres alphabétiques, qui par leurs diffé- Ite PARTIE. rentes combinaisons, expriment toutes les articulations de la voix Depuis le Déluge d'une maniere simple & facile. Cette conjecture devient très-proba- jusqu'à la mort ble lorsqu'on jette les yeux sur les alphabets de quelques anciens peuples; les lettres qui les composent paroissent, tant par leur forme, que par leur nom, avoir été tirées des signes hiéroglyphiques. En comparant avec attention ce qui nous reste de caracteres Egyptiens, avec les figures hiéroglyphiques gravées sur les obélisques & les autres monumens, on apperçoit que les lettres Egyptiennes tirent leur origine des hiéroglyphes b. L'alphabet Ethiopien, & les lettres majufcules des Arméniens, fournissent aussi des preuves de ce que j'avance. On y reconnoît des vestiges assez marqués de l'ancienne écriture hiéroglyphique.

Je n'insisterai point au surplus sur une différence assez considérable qu'on remarque encore dans ce dernier genre d'écriture, où les mots font formés par l'assemblage de plusieurs lettres. On sçait que dans l'écriture de la plupart des langues Orientales, les voyelles ne sont point exprimées, mais seulement les consonnes (1); au contraire dans toutes les langues de l'Occident, les voyelles & les confonnes entrent également dans la composition de l'écriture.

Il est impossible de déterminer avec précision l'époque à laquelle on doit rapporter l'invention des caracteres alphabétiques: on voit seulement que cet art a dû être connu fort anciennement dans quelques pays. L'écriture alphabétique étoit en usage dans l'Arabie dès le tems de Job. Il en parle d'une façon très-claire & très-positive d. On n'a pas oublié que Job étoit, à ce que je pense, contemporain de Jacob, & qu'il vivoit dans l'Arabie. On pourroit même soupçonner que Moïse avoit appris l'art de l'écriture alphabétique dans ces contrées : il y avoit passe plusieurs années avant sa mission f. Quoi qu'il en soit, la manière dont ce divin législateur s'explique sur l'usage de l'écriture, témoigne assez que de son tems cette découverte ne devoit pas être absolument nouvelles. Enfin, on ne peut pas douter

Voy. Suprà, p. 165, & 166.

b Rec. d'Antiquit. par M. le C. de Caylus,

1.1. P. 70,710

Hist.

• Essai sur les Hiérog. p. 40, 41. de la vie & des Ouvrag. de la Croze. p. 126. in-12. Amsterd. 1741.

langues Orientales.

Chap. 13. 4. 26. C. 19. 8. 23, 24. C. 31.

8.35,36.

Voyez notre Dissertation à la fin du dernier Volume.

f Exod. c. 2. . 15. &c. Voy.aussi notre Dissert. sur Job.

Voy. Exod. c. 17. V. 14. C. 34. 4. 27. c. 24. V. 4. & 28. Num. c. 33. V. 1. C. 17. 18. C. 31. 8.9-19-26.

(1) Il y a des personnes qui pensent cependant que dans l'Hébreu, par exemple, l'aleph, le jod & le vai, sont des voyelles. On peut appliquer cette réflexion aux autres.

Ire PARTIE.

Depuis le Déluge jusqu'à la mort de Jacob.

que la connoissance des Lettres ne fût bien ancienne chez les Cha nanéens : dès avant Josué il y avoit chez ces peuples une ville nommée Dabir, qui primitivement portoit le nom de Cariath - Sepher, c'est-à-dire, Ville des Lettres a.

L'écriture alphabétique devoit aussi être d'un usage fort ancien en Egypte. Platon dit que Thaut fut le premier qui distingua les lettres en voyelles & consonnes, en muettes & liquides b. Je doute que cette distinction ait eu lieu chez les Egyptiens dès le tems où la chronique de ces peuples plaçoit Thaut. Ce que Platon rapporte peut néanmoins être regardé comme une preuve de la perfuafion où l'on étoit, que dès le tems de Thaut, c'est-à-dire, dès une très-haute antiquité, les Egyptiens connoissoient les caracteres alphabétiques.

Si l'on pouvoit compter sur ce que les anciens Auteurs rapportent de Sémiramis, l'histoire de cette Princesse nous fourniroit des preuves encore plus fûres de l'ancienneté de l'écriture alphabétique. Il eft parlé dans Diodore d'une infcription en caracteres Syriens, que Semiramis avoit, dit-on, fait mettre au mont Baghistan . Le même Auteur parle aufssi de lettres écrites à cette Princesse par un Roi des Indes d; mais j'ai déja remarqué qu'il y avoit eu plusieurs Reines d'Assyrie connues sous le nom de Sémiramis . Le fait dont parle Diodore ne peut donc point fervir à déterminer l'époque à laquelle l'écriture alphabétique a été en usage dans l'Orient.

On doit regarder l'invention des caracteres alphabétiques comme l'effort le plus furprenant de l'esprit humain. C'est une de ces découvertes fublimes qui n'est dûe qu'à un génie du premier ordre. Nous ignorons cependant quel en est l'auteur : fon nom perdu dans la plus obfcure antiquité, s'est dérobé jusqu'à présent aux recherches qu'on a faites pour le découvrir; je ne crois donc point devoir en rendre compte. J'examinerai seulement dans quelle partie du monde, un art si utile & fi précieux a pris naissance.

L'invention des caracteres alphabétiques appartient certainement aux peuples qui se sont policés les premiers. Ils ont eu besoin de fort bonne heure de signes propres à écrire promptement & facilement cette multitude & cette variété infinies d'actes & de faits sur lesquels roule la société civile. Ils auront fait en conféquence une étude férieuse & fuivie des moyens les plus propres à transmettre & à peindre les idées & les paroles.

• Josué c. 15. *. 15. b In Phileb. p. 374. Ε. Diod. 1. 2. p. 127.

Ibid. p. 129.

Voy. fuprà, Chap. V. p. 159.

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Ire PARTIE. Depuis le Déluge de Jacob.

Différentes nations se sont disputées autrefois la gloire d'avoir inventé l'écriture alphabétique: je ne m'arrêterai point à discuter leurs prétentions: je suis perfuadé qu'elles étoient des plus mal fon- jusqu'à la mort -dées. Je ne vois que deux peuples dans l'antiquité auxquels on puisse -raisonnablement attribuer l'invention de l'écriture alphabétique : les - Assyriens ou les Egyptiens (1); c'est de l'une ou de l'autre de ces deux nations que dérivent les différentes especes d'alphabets dont on ait aujourd'hui connoissance. Si l'on examine en effet quels font les élémens de toutes les écritures tant anciennes que modernes, on - verra qu'ils dérivent d'une feule & même origine. Je n'excepte de cette proposition que les caracteres des Chinois qui font encore, comme autrefois, de purs hiéroglyphes (2). J'en dis autant de l'alphabet Ethiopien, & de celui de quelques peuples de l'Inde; ces nations, comme je l'ai déja remarqué, ont retenu l'écriture sylla-bique b.

:

:

Mais à qui des Assyriens ou des Egyptiens appartient l'honneur d'avoir inventé l'écriture alphabétique, c'est une question que je ne crois pas qu'on puisse aujourd'hui déterminer: il paroît seulement par le peu qui nous reste de l'écriture de ces anciens peuples, que leurs caracteres avoient entre eux beaucoup d'affinité. La forme en étoit assez semblable; ils les rangeoient aussi de la même maniere,

• Voy. Diod. 1. 1. p. 19.1.3. p. 175.1.5.p. | racteres inconnus qu'on voit dans les rui290. Lucan. Pharfal. 1. 3. v. 220. Plin. 1. 7. c. 56. p. 412. = Tacit. Annal. 1. 11. n. 14.Clem. Alexan. Strom. 1. 1. p. 362.

(*) On doit comprendre sous ce nom les Syriens, confondus souvent avec les Afsyriens par les écrivains de l'antiquité. Voyez Thefaur. Ling. & Erudit. Rom. de Gesner. Edit de 1749. au mot Syria.

Je crois d'après ce que dit Diod. 1. 5. p.390. devoir renfermer sous le nom d'Assyriens les -peuples auxquels par la suite les Grecs ont donné le nom de Phéniciens.

(2) Si l'on en croit M. de la Croze, il en faudroit aussi excepter les caracteres Arméniens. Hist. de la vie & des Ouvrages de la Croze, p. 126. C'est une question que je ne fuis pas en état de décider, je m'en rapporte à cet égardau jugement de ceux qui sçachant T'Arménien, sont d'un sentiment fort opposé à celui de M. de la Croze. Ils trouvent que les caracteres Arméniens approchent affez, par leur conformation, des caracteres de la langue Grecque. Journ. des Sçav. Juillet 1738. p. 390.

nes de Persépolis; mais ne pourroit-on pas
dire, que si jusqu'à présent on n'est pas par-
venu à les lire, c'est faute peut-être d'en
avoir des copies exactes? L'exemple des Inf-
criptions Palmyréniennes doit nous appren-
dre à suspendre notre jugement. Les efforts
vains & inutiles qu'on avoit faits pendant près
d'un fiécle pour lire & pour expliquer les Inf
criptions de Palmyre, avoient déterminé en-
fin la plupart des Sçavans à regarder les ca-
racteres Palmyréniens comme une espéce
d'écriture particuliere. Cependant M. l'Abbé
Barthélemy vient d'expliquer ces Inscrip-
tions d'une maniere qui ne laisse plus rien à
défirer. A l'aide de copies fidéles, il a recon-
nu que l'alphabet Palmyrénien participoit
de l'Hébreu & du Syriaque. On peut con-
fulter sa Differtation, qui réunit dans le plus
haut degré la sagacité à l'élégance, la clarté
à l'érudition la plus variée & la plus agréa-
blement ménagée, & fur-tout ce ton de mo-
destie si estimable, mais si rare aujourd'hui.
Voy. fuprà, p. 167 & 168.
Rec. d'Antiq. par M. le C. de Caylus, to
1. p. 74. Voy.auffi Plut, t. 2. p. 577, &

C

• Il faudrait peut-être aussi regarder com-
me un genre d'écriture particulier les ca-suiv.

r

Ire PARTIE.

Depuis le Déluge jusqu'à la mort de Jacob

c'est-à-dire, de la droite à la gauche.

Cependant, dira-t-on, comment se perfuader que tous les caracteres alphabétiques connus dérivent d'une seule & même origine, Iorsqu'on voit une si prodigieuse variété dans l'écriture des différentes nations de cet univers? Le peu d'uniformité même qu'on apperçoit dans la façon dont la plupart des peuples ont disposé leurs caracteres, ne fuffiroit-elle pas pour prouver le contraire? Certaines nations ont placé & placent encore leurs caracteres perpendiculairement de haut en bas. D'autres les rangent horisontalement, mais avec une différence fort remarquable. Le plus grand nombre a suivi le mouvement naturel de la gauche à la droite, qui rend l'action du bras plus aisée, en ce qu'alors il se détache du corps. Cette maniere de disposer les caracteres, est celle des peuples de l'Europe & de beaucoup d'autres nations b.

Quelques-unes, mais en petit nombre, ont préféré le mouvement de la droite à la gauche en écrivant. C'étoit la pratique des Afssyriens, des Egyptiens, des Phéniciens, des Syriens, des Arabes, des Hébreux & des Chaldéens, pratique qui n'a eu que trèspeu de partisans. Cette maniere d'arranger les lettres eft embarrassante: la main & l'instrument dont on se sert pour écrire, cachent à l'œil une partie des caracteres qui viennent d'être formés

Toutes ces especes d'écritures, dira-t-on, ne paroissent-elles pas essentiellement différentes, & ne donnent-elles pas lieu de croire que plusieurs nations n'ont dû qu'à elles-mêmes l'art d'écrire, & qu'en conféquence elles se sont fait chacune une méthode particuliere? Il est facile de répondre à ces objections. Je n'employerai pour les détruire qu'un fait bien certain & bien établi: je le crois décifif pour faire entendre comment tous les alphabets connus peuvent dériver d'une feule & même origine..

Y a-t-il deux especes d'écritures, qui à l'œil paroissent plus éloignées l'une de l'autre, que le Samaritain & le François? cependant il est certain que nos caracteres alphabétiques dérivent du Samari tain: le fait est facile à établir. Nous tenons nos lettres des Latins; les Latins les tenoient des Grecs, qui les avoient reçues des Phéniciens. Tous les sçavans conviennent aujourd'hui que les caracteres des Phéniciens étoient les mêmes que ceux des Samaritains f.

Hérod. 1. 2. n. 36. = Bibliot. Choif. t.

11. p. 37.

▸ Acad. des Inscript. t. 6. p. 607. Ibid. t. 6. p. 618.

Mifcellan.

Reland, Differt.

VI.

d Tacit Annal. 1. 11. n. 14.

Voy. la 2de Part. Liv. II. Sect. 2. Chap

f Voy les Mém. de Trév. Juill. 1704. pè 18.3.

Indépendamment de la preuve historique, il ne faudroit, pour se convaincre de cette filiation, qu'une simple réflexion sur le nom & la FC PARTIE. disposition des lettres dans les alphabets des peuples que je viens de Depuis le Déluge nommer. Pourquoi dans le Phénicien, le Samaritain, le Grec, le jusqu'amore Latin & le François, les lettres porteroient-elles la même dénomination, & feroient-elles disposées dans le même ordre, fi elles ne dérivoient pas d'une seule & même origine?

Le peu de ressemblance qui paroît à présent entre l'écriture des différentes nations de l'univers, n'est donc pas une raison qui puisse nous empêcher de croire que tous les alphabets connus dérivent d'une feule & même source. La suite des tems a introduit successivement bien des changemens dans la maniere d'écrire de chaque peuple. L'histoire de l'écriture chez les Grecs, chez les Latins & chez les peuples modernes de l'Europe, en fournit des preuves plus que suffisantes. Il y a telle nation où l'écriture a fi fort varié, que les monumens des premiers siécles, comparés avec ceux des derniers tems, font presque méconnoissables, tant pour la forme que pour l'arrangement des lettres a. Il est certain néanmoins que toutes ces différentes écritures dérivent d'une seule & même origine.

On ne peut parler que fort imparfaitement de la quantité de caracteres dont étoient composés les premiers alphabets. Les Ecrivains de l'antiquité ne se sont point expliqués sur ce sujet. Plutarque dit qu'il y avoit vingt-cinq lettres dans l'alphabet des Egyptiens b: mais cette quantité de lettres avoit-elle été inventée dès les premiers tems? c'est ce dont il y a tout lieu de douter. On sçait qu'ori ginairement les Phéniciens n'avoient que seize lettres : leur alphabet n'étoit composé que de ce nombre, lorsque Cadmus le porta dans la Grece. Je suis perfuadé qu'anciennement il en a été de même chez les Egyptiens; on n'aura d'abord imaginé qu'un certain nombre de caracteres : ce n'est que successivement qu'on a inventé les lettres dont on manquoit pour exprimer clairement & commodément toutes les articulations de la voix.

Ne croyons pas, au surplus, que durant le cours des siécles qui font l'objet de cette Premiere Partie, la découverte de l'écriture alphabétique ait été fort répandue dans les différentes régions de l'Univers: il est prouvé, au contraire, que très-peu de peuples en ont eu alors connoiffance. A l'exception de l'Egypte & de quelques contrées de l'Asie, le reste des nations a ignoré pendant plusieurs fiécles

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de

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