[re PARTIE. jufqu'à la mort de Jacob. un art fi utile & fi effentiel. J'aurai foin d'indiquer dans la feconde Partie l'époque à laquelle la connoiffance de l'écriture alphabétiDepuis le Déluge que a été introduite dans l'Europe. Parlons maintenant des différentes matiéres dont on a fait ufage dans les premiers tems pour écrire; & fous ce terme je comprends toutes les efpéces d'écritures connues originairement, c'eft-à-dire, les repréfentations, les deffeins abrégés, les hiéroglyphes, &c. 1 Les pierres & les rochers ont été les matieres qu'on a d'abord employées pour écrire. On fçait que les Egyptiens, les anciens habitans du Nord b, & beaucoup d'autres nations fans doute, en ont usé ainfi primitivement. C'eft de-là qu'eft venu l'ufage prefque univerfellement établi chez tous les anciens peuples, d'écrire fur des colonnes ce que l'on jugeoit digne d'être confervé à la poftérité ©. Rien de plus fameux dans l'antiquité que les colonnes élevées par Ofiris, Bacchus, Séfoftris & Hercule, dans le cours de leurs expéditions, pour en perpétuer le fouvenir d; celles de Mercure Trifmégiste étoient encore plus renommées. Il y avoit, dit-on, gravé en caracteres hiéroglyphiques fa doctrine & fes préceptes. On voyoit en Crete de trèsanciennes colonnes chargées d'infcriptions, qui contenoient la defcription des cérémonies pratiquées dans les facrifices des Corybantes f. Du tems de Demofthenes il fubfiftoit encore une loi de Théfée écrite fur une colonne de pierre &. Ce que la fable rapporte des colonnes du monde qu'Atlas remit à Hercule, doit s'entendre, à ce que je crois, de quelques colonnes fçavantes, fi l'on peut se fervir de ce terme, dont Atlas expliqua les infcriptions au fils de Jupiter1. Quoique les peuples du Nord ayent eu très-peu de relation avec ceux de l'Afie & de l'Afrique, leur hiftoire parle également de l'usage. où ils étoient dans les premiers tems d'écrire fur des colonnes tout ce dont ils vouloient perpétuer le fouvenir. On prétend qu'ils en avoient de plus de quarante pieds de haut, enrichies d'infcriptions fimples & conformes à la rudeffe de leurs moeurs i. On peut afsurer que les premiers peuples n'ont point eu d'autres monumens pour a Lucan. Pharsal. I. 3. v. 222, &C. Diod. 1. 3. p. 211. Strabo, l. 3. p. 259. C Ire PARTIE. Depuis le Déluge conferver leurs loix a, leurs actes, leurs traités b, l'hiftoire des faits & des découvertes importantes d. La plupart des anciens Auteurs avoient compofé leurs écrits d'après ces efpeces de livres. L'usage a été auffi très-anciennement d'écrire fur des briques & jufqu'à la mort fur des tablettes de pierre. C'étoit fur des briques que les Babyloniens avoient écrit leurs premieres obfervations Aftronomiques f. Les plus anciens monumens de la littérature Chinoise, étoient gravés fur de dures & larges pierres &. Perfonne n'ignore que le Décalogue étoit écrit fur des tables de pierre h. Ce fut fur de pareilles matieres que Jofué avoit écrit le Deutéronome i. Ces pratiques étoient trop embarraffantes pour qu'on ne cherchât pas des moyens d'écrire plus fimples & plus commodes. On commença par fubftituer aux briques & à la pierre différentes efpeces de métaux tendres & faciles à graver. Il paroît que du tems de Job on étoit principalement dans l'ufage d'écrire fur des lames de plomb avec un ftilet de ferk. On fe fervoit auffi très-anciennement de lames de cuivre 1, & de tablettes de bois m. ". On peut conjecturer que les archives des villes, & des empires n'ont été compofées pendant bien des fiécles que de titres de cette efpece ". Les premiers peuples en avoient ufé ainfi par plufieurs motifs, dont le plus probable eft l'ignorance où l'on a été pendant très-long-tems des matieres propres à l'écriture. On peut préfumer auffi que l'art d'écrire étant peu commun dans les âges reculés, pour conferver les actes plus long-tems & plus. sûrement, on ne les écrivoit que fur des matieres folides & durables. * Chap. 19. . 23, 24.=Voy. aussi Plin.› v. = 1 Plato in Min. p. 568. F. Sophocl. in "Voy. Polyb. 1. 3. p. 181. edit. Paris.= T. Livius, 1. 3. n. 57. Plin. l. 13, fe&t. 21. p. 689.1. 34. fect. 21.p.659. Tacit. Annal. 1. 4. n. 43. Suidas,in A'xuries. t. 1. p. 89. = Pauf. 1. 4. c. 26. Lettr. Edif. t. 14. P 332, 333. Bibliot. Anc. & Mod. t. 15. P.. 363,364. Ire PARTIE. Depuis le Déluge jufqu'à la mort de Jacob. Par la fuite on employa pour écrire différentes autres matieres, telles que les feuilles de certaines plantes, l'écorce intérieure de certains arbres, la peau des animaux, la toile, des tablettes de bois enduites de cire, &c.. Ces pratiques fubfiftent encore dans plufieurs contrées de l'Afie & de l'Afrique. Job parle d'écrire un livre b. J'ignore quelle pouvoit être de fon tems la forme & la matiere des livres. On voit feulement que dès-lors il falloit qu'on écrivît fur des matieres capables d'être pliées ou roulées; l'expreffion dont Job fe fert, le donne affez à connoître. Ces matieres pliables pouvoient être des lames de métal extrêmement minces, du cuir, des feuilles, des écorces intérieures d'arbres, ou de plantes, &c. J'ai déja parlé des lames de métal. A l'égard des cuirs, l'ufage d'écrire fur la peau des animaux est fort ancien & fort général d. Celui d'imprimer des caracteres fur les feuilles, ou fur les écorces intérieures de certains arbres avec un poinçon de fer émouffé, eft d'une égale antiquité, & auffi univerfellement pratiqué. On peut choifir entre toutes ces différentes matieres: il faut feulement obferver que dans les paffages où Job fait mention de l'écriture, il ne parle que de ftilet de fer. On en peut inférer que de fon tems, on ne connoiffoit point d'autre instrument pour tracer les caracteres. En général,on peut affûrer que dans les premiers tems, on gravoit plutôt qu'on n'écrivoit. On a trouvé enfuite l'art de tracer les lettres fur certaines matieres par le moyen de quelques liqueurs colorées. Pour les appliquer, on s'eft d'abord fervi du pinceau, pratique que les Chinois & plufieurs autres peuples ont confervée jufqu'à préfent. Au pinceau ont fuccédé les rofeaux taillés, qui, avec les ftilets de fer, dont l'ufage étoit indifpenfable, lorfqu'il étoit queftion d'écrire fur des lames de métal, ou fur des tablettes enduites de cire, ont été les feuls inftrumens dont on fe foit fervi pendant bien des fiécles. L'ufage des plumes, de l'encre & du papier a été inconnu à toute l'antiquité. Ces faits montrent affez qu'anciennement toutes les manieres d'écrire étoient embarraffées, longues, pénibles, & pleines de difficultés rebutantes: il falloit pour les vaincre bien de la patience, & beaucoup d'application. Ces obftacles ont dû retarder infiniment les progrès de l'écri Ire PARTIE. jufqu'à la mort de Jacob, ture. Ajoutons que dans les premiers âges, les hommes étant peu nombreux, & occupés, pour la plûpart, des befoins de la vie les plus preffans, peu de perfonnes avoient le loifir, ou peut-être l'incli- Depuis le Déluge nation de s'attacher à un art qui demandoit tant de tems, de peines & de foins. Ainfi quoique l'écriture fût connue dès les fiécles dont il s'agit dans cette premiere Partie, il paroît qu'on ne s'en fervoit guères. On ne voit point qu'on l'employât dans les ufages ordinaires de la vie civile. Quand Jofeph, après s'être fait connoître, renvoie fes freres vers fon pere, il ne les charge d'aucune lettre. Il leur donne fes ordres de bouche, & leur enjoint de les répéter de vive voix 2. Jacob, pour désigner le lieu de la fépulture de Rachel, fait élever deffus une colonne. Il n'eft point dit qu'il y mit d'infcription b. On n'employoit point non plus l'écriture dans les actes les plus importans de la fociété. Les ventes, les promeffes, les obligations fe paffoient verbalement, en présence d'un certain nombre de perfonnes. C'étoit d'après ce que difoient les témoins, qu'on instruisoit & qu'on jugeoit les affaires . L'écriture alors n'étoit donc point employée dans la plupart des occasions où nous la faifons fervir aujourd'hui. N'en foyons point étonnés. J'ai fait sentir pourquoi dans les commencemens cet art a dû être peu connu & peu répandu : la pratique, comme je viens de le dire, en étoit trop longue & trop pénible. C'est pour cette raison fans doute que le progrès général des arts & des fciences a été, à plufieurs égards, fi lent & fi tardif. Les connoiffances humaines ne peuvent s'étendre & fe perfectionner qu'autant que les premiers inventeurs ont quelques moyens de tranfmettre leurs découvertes à la poftérité, d'une maniere également sûre, claire & facile. Ces qua lités manquoient abfolument aux expédiens dont les hommes fe font d'abord fervis pour configner leurs penfées. Les arts & les fciences ne font pas au furplus les feuls objets qui fe foient reffentis de ces défauts: ils ont influé même fur les mœurs. L'homme pour fe former a besoin d'inftruction. Si les lumieres de l'efprit ne déracinent pas entierement les inclinations perverses, du moins contribuent-elles beaucoup à les adoucir & à les corriger? Mais comment, fans le fecours de l'écriture, inftruire un peuple & l'éclairer? Je ne crains donc point d'avancer qu'il n'y a peut-être jamais eu de découverte qui ait autant contribué à tirer les hommes de la barbarie primitive, que celle de l'ufage facile de l'écriture. La a Gen. C. 41. ¥.9. Ibid. C. 35..20 Voy. fuprà, Liv. I. Ch. I. Art. I. p. 25 & 26. Ire PARTIE. propagation de cet art a dû, plus que toute autre caufe,former le cœur & l'efprit des peuples, adoucir leurs moeurs, unir & entretenir les Depuis le Déluge liens de la fociété, &c. Si nous voyons encore aujourd'hui dans plujufqu'à la mort de Jacob. fieurs parties de l'un & de l'autre continent, des peuples fauvages dégrader l'humanité par leur groffiereté, leur ignorance & leur barbarie, c'est qu'étant privés de l'écriture, ils le font d'une multitude de connoiffances qui en dépendent néceffairement. Qu'on introduife cet art chez ces nations farouches, & qu'on parvienne à les y accoûtumer (1), elles feront bientôt humanifées. Que de matiéres à réfléchir, fi l'on s'attachoit à confidérer le changement que l'invention & la pratique aifée de l'écriture a dû opérer chez les peuples qui fe font appliqués à la cultiver! On ne finiroit point, fi l'on vouloit approfondir & relever tous les avantages que la fociété a dû retirer de cette découverte. (1) On ne peut pas imaginer les idées | peut bien juger d'après une Hiftoire fort fingulieres que les Sauvages ont des Lettres curieufe rapportée par Voffius, dans for millives, & en général de l'Ecriture. On en Traité de Quatuor Art. Popul. c. 2. p.7. FIN DU SECOND LIVRE. |