Page images
PDF
EPUB

IV.

DES VOLS LITTÉRAIRES.

Le plagiaire qui ne dérobe que quelques lambeaux peut être comparé au filou qui s'empare d'objets d'une valeur minime; mais celui qui s'approprie un ouvrage ou un traité tout entier ne peut être qu'assimilé au voleur de grand chemin qui vous dépouille complétement nous avons eu bien soin d'établir cette distinction dans les deux catégories de délinquants que nous avons eu à signaler. Nous venons de parler des filous, parlons maintenant des voleurs.

«Tout condamnable qu'est déjà selon moi, dit Ch. Nodier (1), ce genre de plagiat, j'en vois un pour qui le nom de plagiat me semblerait encore trop honorable, et qu'on ne peut guère qualifier que de vol. Je ne doute pas qu'il n'ait été fort commun, surtout à la renaissance des lettres, où une foule d'écrits précieux de l'Antiquité ont pu se trouver à la disposition de quelques faux savants, aussi dénués de pudeur que de talents propres ; mais les précautions qu'on a dû prendre pour cacher une action aussi basse nous en ont dérobé la trace presque partout où l'on soupçonne qu'elle à été commise; et s'il en reste par-ci parlà quelques vestiges, il faut avouer qu'ils ne sont pas de nature à légitimer une accusation de cette importance.

<< L'impudence de ce plagiat que je viens de définir en termes tout à fait macédoniens, sous le nom de vol, continue Ch. Nodier, a été poussée quelquefois assez loin pour attirer les regards de la justice. Le bon Jehan de Nostredame, frère du fameux Nostradamus, et auteur d'une jolie « Histoire des plus célèbres et anciens « poetes provençaux,» raconte d'après Le Monge, où le Moine des îles d'Or, ́qu'Albertet de Sisteron, congédié par sa dame, mourut de douleur à Tharascon, « et qu'il « bailla ses chansons à un sien amy et fa<<milier, nommé Peyre de Valieras ou de << Valdernas, pour en faire un present à la << marquise (de Mallespine), et qu'au lieu « de ce faire, il les vendit à Fabre d'Uzes, « poète lyrique, se faisant ouïr qu'il les « avoit dictées et composées; mais avant « esté recogneus par plusieurs sçavants « hommes, au rapport qu'en feist le dict « de Valieras, le Fabre d'Uzes feut pris et « fustigé pour avoir injustement usurpé le << labeur et œuvres de ce poète tant re« nommé, suyvant la loi des empereurs. »

(2) Mème livre, p. 48 et 51.

Cette loi des empereurs est grandement tombée en désuétude, comme l'observe très-judicieusement Nodier.

Quelques vols littéraires du seizième au dix-huitième siècle, que nous allons signaler, confirment pleinement l'observation de Nodier.

Pellier ou P. du Pelliel, gentilhomme breton, publia, en son propre nom, un ouvrage de Lucinge, intitulé: «< Histoire << de l'origine, progrès et déclin de l'em<< pire des Turcs, » 1614, in-8. L'auteur, qui n'était point mort, comme le croyait Pellier, et se trouvait alors à Paris, attaqua le contrefacteur en justice, et obtint à grand peine la restitution de sa propriété.

La traduction de la « Polygraphie » de Trithème, par Collange, 1540, in-4. fut publiée de nouveau en 1620, à Embden, en français et dans le même format, par un Frison nommé Dominique de Hottinga, qui y mit son nom, et osa parler, dans la préface, des longues veilles que ce travail lui avait coûtées, sans faire la moindre mention de l'auteur ou du traducteur.

Un avocat, non moins obscur comme tel que comme écrivain, Louis Des Bans, vole le livre d'Esprit, de l'Académie française, intitulé « la Fausseté des vertus humaine. » (Paris, 1678), et en fait un « Art de connaître les hommes » (1702, in-12) qu'il publie sous son nom. En 1713, il se revêt de nouveau de la dépouille d'un autre mort. (Voy. Des Bans, dans ce livre.)

Rich. Simon inséra dans ses « Lettres choisies,» édition d'Amsterdam (Rouen), 1702-05, 3 vol. in-12, une « Dissertation touchant les antiquités des Chaldéens et des Egyptiens; » cette dissertation forme les première et troisième lettres du t. II. Toinard, dans un écrit qu'il a publié sous le titre de « Phénomène littéraire, causé par la ressemblance des pensées de deux auteurs, etc. (Paris, 1703, in-4 de 14 pag. et in-8 de 16 pag.), a démontré que cette dissertation était du savant Longuerue, et que Rich. Simon la lui avait pillée presque en entier.

H.-Ph. de Limiers publia, en 1713, sous le voile de l'anonyme, un volume intitulé: « Idée générale des études, de leur choix, but et règles, avec un état des bibliotheques, et le plan pour en former une bien curieuse et bien ordonnée. » Amsterdam, Chatelain, in-12. Cet ouvrage est une copie textuelle du « Traité des plus belles bibliothèques de l'Europe, » par Le Gallois (Paris, 1680, in-12), qui n'est lui-même qu'une traduction abrégée de l'ouvrage latin de Bibliothecis,» par Lomejer.

« L'idée générale, etc., » a été aussi insérée par de Limiers dans l'édition qu'il a donnée de la Science des personnes de la Cour, de l'épée et de la robe, » par de Chevigny, 1713, 3 vol. in-12.

Un des vols les plus singuliers est celuici: En 1735, l'Académie de Marseille proposa de décrire les avantages que le mérite retire de l'envie. » Un discours de l'abbé Moult fut couronné. En 1746, l'Académie de Dijon mit au concours une question sur le même sujet; vingt-deux écrits furent envoyés. Deux, venus de provinces différentes, se trouvèrent conformes, et chacun d'eux était la fidèle copie du discours de l'abbé Moult, jusqu'à l'épigraphe (1)!

L'auteur de l'article Lacourt, du Supplément à la Biographie universelle, nous apprend que Leveque de Pouilly a volé sa «Dissertation sur l'incertitude des quatre premiers siècles de Rome » à Lacourt, dont le manuscrit existe à la bibliothèque de

Reims.

L'Art de converser, poème (par Cadot), Paris, veuve Delormel, 1757, in-8, n'est que la reproduction du poème de « la Conversation» par le P. Janvier, chanoine régulier de Saint-Symphorien. Autun, 1742.

Si des voleurs ont été assez hardis pour s'emparer d'ouvrages entiers qui ne leur appartenaient pas, il y en a eu d'autres dont l'ambition fut plus timide, et qui se sont contentés de s'approprier quelques petites poésies. Ginguené raconte qu'il composa sa meilleure pièce de vers, « la Confession de Zulmé, » au fond de la Bretagne, à vingt ans; que, quatre ans après, en 1772, il vint à Paris et la communiqua à Roquefort celui-ci la lut dans diverses sociétés où elle fut fort applaudie, et la laissa copier; si bien que cette pièce, dont l'auteur était alors complétement inconnu, fut revendiquée par plusieurs personnes, tandis que tant d'autres, comme le duc de Nivernais, se la laissèrent attribuer dans plusieurs recueils. Ginguené eut toutes les peines du monde à s'en faire reconnaître pour le véritable auteur (2).

[blocks in formation]

Bacon-Tacon fit paraitre, en 1793, un « Discours sur les mœurs » in-12. Les deux premières parties de cet ouvrage sont prises presque entièrement du discours que Servan, avocat-général au parlement de Grenoble, prononça, en 1769, à la rentrée du parlement, et qu'il fit imprimer sous le même titre, à Lyon, en 1770.

Nous voici arrivé au dix-neuvième siècle. Mais les écrivains de cette époque sont trop gentilshommes pour se permettre tel larcin que ce soit. On ne plagie plus, on ne vole plus fi! c'est du rococo; on conquiert, c'est meilleur ton; et s'il advient que, comme dans les siècles passés, on s'approprie les œuvres des morts ou des vivants, on appelle cela tirer une fille de la mauvaise societe pour la faire entrer dans la bonne. Il n'y a plus guère que les tribunaux qui se permettent, lorsqu'une plainte est portée devant eux, de se servir de mots tombés en désuétude, et de nommer un chat un chat, et Rollet un fripon. Ce n'est donc plus, grâce à la parfaite moralité de notre siècle, par des exemples de vols littéraires que nous continuerons notre rapide aperçu, mais bien par des conquêtes.

Henry Beyle publia, en 1813, des « Lettres écrites de Vienne en Autriche sur le célèbre compositeur Haydn. » Beyle avait oublié de dire que le livre était traduit de l'italien; or, Carpani, son véritable auteur, réclama. Bien en avait pris à Beyle de s'être caché sous le nom de Bombet, en publiant ce livre, car la bombe de Carpani l'atteignait nominativement.

Le professeur de grec, Planche, sortit un jour de chez lui pour aller proposer à la maison Le Normant le manuscrit d'une Grammaire grecque; chemin faisant, il oublia tout fait le nom de son auteur, Vandel-Heyl, ancien élève du professeur. Heureusement il se souvint... du sien propre; sans cela la Grammaire fût venue au monde sans nom (1).

De Rougemont publia, en 1820, un ouvrage intitulé « Raphaël d'Aguilar, ou les Moines portugais, histoire véritable du dix-huitième siècle, »> publiée par M. de Rougemont, Paris, 1820, 2 vol. in-12. Si

qui composa plus tard la tragédie de Marie Stuart, »> et qui est aujourd'hui membre de l'Académie française et directeur de l'Imprimerie royale. La pension fut restituée à ce dernier, au grand désappointement de son homonyme. L. LALANNE, Curios. littér.

(1) La première édition fut publiée, en 1818 ou 1819, sous le nom de M. Planche, seul. Dans les réimpressions, les titres portent les noms de MM. Vandel-Heyl et Planche, mais ce dernier n'y a rien fait.

M. de Rougemont a échappé à l'accusation de vol, il ne l'a dû qu'à l'équivoque que présente le mot publiée. Ce livre n'est autre que celui intitulé : « Histoire de don Ranucio d'Aletès (par l'abbé Porée), Venise (Rouen), 1736, 1738, 2 vol. in-12.

En 1828 parut un ouvrage intitulé: « De l'Education des chevaux en France, ou Causes de l'abâtardissement successif de leurs races et des moyens à employer pour les régénérer et les améliorer ; » par M. le comte A. de Rochau. Paris, Renard, in-8 de 200 pag. Qu'est-ce que c'était que ce livre? La transcription, mot pour mot, de l'ouvrage que J.-B. Huzard, de l'Institut, avait publié, dès 1802, sous le titre d'Instruction sur l'amélioration des chevaux en France... in-8 (1).

P. Massey de Tyrone publia, en 1829, un petit volume intitulé : «<les Deux Ecoles, ou Essais satyriques sur quelques illustres modernes.» Paris, ThoisnierDesplaces, in-18. En traversant Epinal pour revenir à Paris, Massey de Tyrone avait vu M. Pellet, de cette ville, et avait reçu de celui-ci le manuscrit d'un petit volume, afin qu'il lui trouvât un éditeur dans la capitale. Pour s'indemniser de ses démarches, Massey de Tyrone escamota gloire et profit à M. Pellet.

En 1836, on a imprimé à Paris, chez Belin, en 16 pages in-8, une pièce intitulée : << Saint-Thomas, » et précédée d'un envoi, où un M. E. Lajarry la donne pour " une rêverie émanée de ses loisirs (2). » Or, cette pièce est d'Andrieux, qui l'a publiée chez Dabin, en 1802, après la mort de mademoiselle Chameroy. Des cent soixante-dix vers d'Andrieux, un seul a été changé ; au lieu de Vestris, Millet, Delille, et cætera, on lit : « Taglioni, Vestris et cætera. >>

Le même délit a été commis envers P.-E. Lemontey, de l'Académie française, dont un audacieux voleur a réimprimé sous son nom, mais en changeant son titre, la critique d'une société philosophique qui s'intitulait les Observateurs de l'homme, et que Lemontey avait publiée sous le voile de l'anonyme, et avec l'intitulé de « Récit exact de ce qui s'est passé à la séance de la Société des observateurs de la Femme, le mardi 2 novembre 1802; par l'auteur de « Raison, Folie, etc. »> Paris. Déterville, 1803, in-18.

N'omettons pas le nom de Salvolini, cet Italien qui s'est fait à Paris une réputa

(1) Catalogue de la bibliothèque Huzard, t. III, n° 4214.

(2) Journal des Savants, avril 1836, p. 251.

tion de savant à l'aide des manuscrits qu'il avait dérobés à Champollion le jeune (1);

Ni celui de M. A. Dumas, l'Alexandre des conquérants en littérature. La « Revue britannique » de janvier 1847 ne lui a-telle pas reproché de lui avoir emprunté un jour, sans mot dire, une nouvelle intitulée « Térence le tailleur, » et la moitié d'un roman, « les Aventures du matelot Davy; elle eût pu ajouter << l'Alibi, anecdote anglaise » (2), mais elle ne l'a pas fait. Notre article Dumas signale quelques autres conquêtes du même

genre.

De 1839 à 1840, nous eûmes à Paris, comme acteur au théâtre du Panthéon, un M. Ch. Delacroix. Ses honoraires ne suffisaient point à ses besoins, et nous le croyons sans peine; il voulut y ajouter en se faisant auteur dramatique. Le 25 septembre 1839, on représenta sur le théâtre où il était attaché une pièce intitulée : << Sujet et Duchesse, » drame en cinq actes, comme étant de lui, et la pièce à été imprimée sous son nom. On ne tarda pas à découvrir que cette pièce n'était autre que la « Jacqueline de Bavière, » de M. Prosper Noyer, mais pas assez tôt pour éveiller des soupçons sur les futures productions de M. Delacroix. Il put encore faire représenter sur le même théâtre, le 28 avril 1840, et sous le pseudonyme de Lussini, une autre pièce intitulée : « les Briseurs d'images, » drame en trois actes. Comme la précédente, cette pièce avait été importée de la Belgique c'était le « Ferdinand Alvarez de Tolède. » de M. Félix Bogaerts. Si celle-ci ne fut pas imprimée, c'est que la fraude avait été découverte.

Nous ne sommes point encore au bout de nos graves accusations; mais, pour celles qui nous restent à signaler, nous sommes obligé d'user de prudence : les délits sont trop récents, et l'on pourrait voir, dans ce qui n'est qu'une critique littéraire, une véritable dénonciation, ce qui est loin de notre pensée. Nous allons donc nous borner à signaler les délits, mais nous tairons les noms des coupables, qui, du reste, se retrouvent dans notre livre.

En 1836, fut représentée avec beaucoup de succès, à la Comédie-Française, une

(1) Voyez la Notice sur les manuscrits autographes de Champollion le jeune, perdus en l'année 1832, et retrouvés en 1840. Paris, F. Didot, mars 1842, gr. in-8 de 47 pag.

(2) Fabrique de romans. Maison A. Dumas et Ce,

P. 47.

T. I.

4

pièce qui est restée le plus beau fleuron de la couronne littéraire de l'auteur sous le nom duquel elle a été représentée et imprimée. Eh bien, cette pièce avait été littéralement volée à Jules Pinot, professeur agrégé de botanique au Jardin-des-Plantes, et spirituel littérateur, son véritable au

teur.

En 1839, on a publié à Paris les Galanteries de Bassompierre, 4 vol. in-8. Ce nouvel ouvrage n'est autre qu'un vieux livre publié, en 1721, sous le titre de << Mémoires du maréchal Bassompierre, depuis 1598 jusqu'à son entrée à la Bastilse, » 4 vol. in-12.

Tout le monde se rappelle qu'en 1841, «<le National»> apprit à ses lecteurs que les Mémoires de Cagliostro, que publiait alors « la Presse, » n'étaient que la reproduction exacte d'un roman du comte J. Potocki, publié vingt ans auparavant! Il en résultà un procès intenté par «< la Presse » à son collaborateur. (Voy. l'art. Cagliostro.)

Madame de La Guette, publiée en 1842, in-8, sont les mémoires d'une femme galante du dix-septième siècle, qui comptait au nombre des ancêtres du fameux requisitorien de Broé, car le nom de cette ancienne famille était de Broé, seigneurs de Citry et de la Guette, et elle nous avait donné, avant M. de Broé, un écrivain connu sous le nom de Citry de la Guette. Les « Mémoires de madame de La Guette >> avaient été imprimés à La Haye, dès 1681, en un vol. in-12 (1). L'auteur supposé du livre de 1812 n'a fait qu'en rajeunir le style.

L'Homme de feu, publié dans un journal quotidien, il y a peu d'années, n'est autre que Caramuru, ou la Découverte de Bahia,» roman-poëme héroïque brésilien, par José de Santa Rita Durao, dont M. Eugène de Monglave nous avait donné, sous le voile de l'anonyme, une traduction française, en 1829, 3 vol. in-12. Son reproducteur n'a apporté d'autre changement à cette traduction que de faire disparaître le dernier chant de l'original, dans lequel l'auteur envoie son héros en France faire à Catherine de Médicis la description géographique de Bahia, et celle des produits de son sol. Cette traduction a été de nouveau réimprimée, par un autre auteur, et sous un nouveau

(1) Ils ont été réimprimés en 1856 dans la Bibliothèque elzévirienne, avec une Notice et des notes de M. C. Moreau. Les recherches du nouvel éditeur ne confirment pas les renseignements donnés ici par M. Quérard. (P. J.)

titre, qui nous échappe; mais de Durao, pas plus que de M. Eug. de Monglave, son unique traducteur, il n'est fait aucune mention.

Nous aurions pu multiplier nos citations, car il nous reste encore des matériaux; mais, ainsi que nous l'avons précédemment dit, nous n'avons pas voulu que notre Introduction servit de pilori à tous les coupables: elle eût eu trop d'étendue. Nous avons déjà été entraîné, tant les peccadilles et les délits littéraires sont nombreux, à dépasser, bien malgré nous, les limites que nous nous étions tracées.

On voit, d'après tous les plagiats et les vols littéraires que nous venons de rappeler, que rarement ils ont réussi à ceux qui s'en sont rendus fauteurs. Bayle leur applique ces paroles où Jérémie compare les gens devenus riches injustement à la perdrix qui couve ce qu'elle n'a pas pondu (1). « Les interprètes disent là-dessus, ajoutet-il, que la perdrix dérobe les œufs des autres oiseaux, et qu'elle les couve, mais que les petits qu'elle fait éclore ne la reconnaissent point pour leur mère, et qu'ils la quittent et vont trouver l'oiseau qui avait perdu ces œufs. Voilà le sort ordinaire des écrivains plagiaires. Ils moissonnent ce qu'ils n'ont point semé, ils enlèvent les enfants d'autrui, ils se font une famille d'usurpation; mais ces enfants enlevés font comme les autres richesses mal acquises, male parta male dilabuntur; ils prennent des ailes et s'enfuient chez leur véritable père. Un auteur volé réclame son bien, et, si la mort l'en empêche, un fils, un parent, un ami, fait valoir ses droits. Un homme qui ne sera pas de ses amis lui rendra ce bon office, afin de se faire honneur de la découverte du vol, ou afin de couvrir de confusion le plagiaire. Ce que l'amour de l'équité n'inspirerait pas, la vanité, la malignité, le désir de la vengeance, le suggéreront. Et ainsi, tôt ou tard, les productions enlevées abandonnent le voleur. Notez qu'il y a des plagiaires qui n'imitent pas en tout la perdrix: ils ne prennent pas la peine de couver; ils prennent les pensées et les paroles d'autrui toutes formées. >>

(1) Bayle, art. Duaren, note H. Il est inutile d'ajouter que cette comparaison du prophète est basée sur un préjugé populaire.

[blocks in formation]

Les supercheries littéraires ressemblent assez aux pierres fines taillées : si ces dernières ont tant de facettes que l'œil a peine à se rendre compte de leur nombre, les supercheries littéraires offrent tant de nuances que l'esprit ne peut en saisir tous les détails. Après l'apocryphie, la supposition d'auteur, la pseudonymie, les plagiats et les vols, voici venir tout un groupe de nouvelles peccadilles et de nouveaux délits envers Apollon et les Muses, tous crimes de lèze-littérature.

Suivons dans notre récapitulation l'ordre du sommaire de ce chapitre, et commençons par les imposteurs littéraires.

Combien de fois la mort, en moissonnant, depuis le commencement du seizième siècle, une foule de personnes éminentes dans les sciences, les arts, les lettres et T'histoire, n'a-t-elle pas fait de manuscrits orphelins! L'insouciance des veuves et des héritiers les a laissés soit entre les mains d'emprunteurs infidèles, qui ont fini par en disposer selon leurs vues, ou elle les a laissé vendre à vil prix parmi les objets de successions. Avec le temps, ces manuscrits sont tombés chez d'ignorants bouquinistes, des marchands de loques, chez des épiciers. C'est là qu'à toutes les époques les gens avides de réputation facile à faire ont été se pourvoir. C'est dans l'une de ces maisons qu'on a retrouvé, il y a peu d'années, le manuscrit du dernier volume d'une édition précieuse d'un père de l'Eglise, préparée par les savants bénédictins, volume qui avait disparu lors de la clôture des maisons d'ordres religieux, et qui, de vicissitudes en vicissitudes, était allé tomber un jour aux mains d'un épicier. Marchandé par diverses personnes, notre boutiquier soupçonna que ce volume pouvait avoir du prix; il s'en enquit, et à peu de temps de là le précieux manuscrit perdu trouva un acquéreur à 1,200 fr.

C'est ainsi que les friperies et les abandons successifs ont mis des ouvrages inédits, le plus souvent très-remarquables, à la disposition de faux savants, aussi dénués de pudeur que de talents propres, et qui les ont publiés sous leurs noms. Le

P. Jos. Barre, chancelier de l'Université, le même à qui nous avons précédemment reproché le plagiat de plus de deux cents pages de « l'Histoire de Charles XII », de Voltaire, ne fut auteur que dans ces conditions d'une « Vie du maréchal Fabert »>, qu'il publia en 1752, sous son nom, ouvrage laissé par le chevalier Rustaing de Saint-Jorry, et que Edouard Landie publia sous son nom, en les défigurant de toutes les manières, des « Développements historiques de l'intelligence et du goût », ouvrage d'un mérite éminent, suivant M. A.-A. Renouard, et que ce savant n'a pas craint d'attribuer à d'Aguesseau! Que d'exemples aurions-nous encore à citer, choisis même parmi les noms les plus marquants de notre littérature, celui de madame Krudner, entre autres, pour « Valérie », roman publié avec son nom; que de substitutions de qualités d'auteurs à celles seules réelles d'éditeurs. Les pages de notre livre suppléeront à notre silence. Les gens auxquels nous venons de faire allusion n'ont été que des imposteurs, mais du moins ils n'ont pris les lambeaux d'aucun ouvrage imprimé, d'auteurs soit morts ou vivants. Le hasard a mis en leur possession des manuscrits perdus qu'ils ont édités à leur gloire ou à leur profit.

Il s'est rencontré de tous temps des auteurs qui, peu amants de la renommée, ou par un motif quelconque, ont consenti à céder tout le fruit et le prix de veilles consacrées à des ouvrages qui leur étaient dus en partie ou en totalité. Aussi en est-il « résulté pour l'histoire littéraire des pro«blèmes fort difficiles à résoudre, car la «< critique doit craindre avant tout d'ajou«ter foi a de ces bruits injurieux qui s'at«tachent toujours aux grandes réputa<< tions. >>

Les ennemis de Crébillon prétendaient que ses tragédies n'étaient pas de lui, qu'elles étaient l'ouvrage d'un frère qu'il avait chez les Chartreux; mais on n'a jamais apporté de raisons suffisantes pour prouver cette assertion. Tout le monde sait aujourd'hui que « l'Histoire des établissements des Européens dans les Deux-Indes », publiée pour la première fois en 1770, sous le nom de l'abbé Raynal (voy. ce nom), n'est point de lui, mais d'une société d'écrivains philosophes, de laquelle faisaient partie Diderot et Pechmejà, qui voulurent bien laisser à l'abbé l'honneur de l'avoir écrite. L'Histoire des Oiseaux », qui fait partie de la grande Histoire naturelle de Buffon, est presque toute de la main de Gueneau de Montbeillard, ainsi que l'a re connu Buffon avec une franchise loyale,

[ocr errors]
« PreviousContinue »