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PRÉFACE

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La France a donné le jour à trois bibliographes des plus éminents, dont les ouvrages sont indispensables à quiconque s'occupe de livres ou d'histoire littéraire. Pas une grande bibliothèque ne saurait s'en passer; on les consulte à chaque instant, on les feuillette sans cesse, on les cite tous les jours comme des autorités dont les assertions méritent toute confiance. Nous voulons parler de A.-A. Barbier, auteur du Dictionnaire des Anonymes; de J-Ch. Brunet, auteur du Manuel du Libraire, et de J.-M. Quérard, auteur de la France Littéraire et des Supercheries littéraires dévoilées. Laissons de côté deux de ces grandes productions, le Manuel et la France Littéraire, et occupons-nous des deux autres. On sait qu'elles sont épuisées depuis longtemps; elles ne se rencontrent pas facilement dans le commerce de la librairie, et les prix élevés qu'elles obtiennent lorsque le hasard en amène quelque exemplaire dans une vente publique attestent l'empressement avec lequel elles sont recherchées.

Il était donc nécessaire de les réimprimer; mais une simple reproduction littérale n'aurait pas suffi.

Le Dictionnaire des Anonymes, mis au jour primitivement en 1806-1808, avait été publié de nouveau en 1822-1827; son infatigable auteur y avait inséré les résultats de recherches persistantes poursuivies sans interruption pendant une vingtaine d'années; il avait réuni une multitude d'indications précieuses, de détails curieux; mais il n'avait pu tout découvrir; des investigations nouvelles ont amené une foule de révélations qui ont permis d'augmenter considérablement la longue liste des ouvrage anonymes enregistrés par Barbier. Observons aussi que depuis 1824 de nombreux livres anonymes ont paru; ils offrent un champ des plus vastes à la continuation du Dictionnaire. La première édition contient 12,231 articles; la seconde en renferme 23,647; une troisième faite sur le même plan en offrirait au moins aujourd'hui 50,000

Quant aux Supercheries littéraires dévoilées, Quérard fit paraître, de 1845 à 1853, ce travail qui ne remplit par moins de cinq volumes. Le dernier, en grande partie occupé par la table, n'a été complété qu'au mois de septembre 1860, et il ne fut tiré qu'à 250 exemplaires. Il est inutile de rappeler le bruit qui accueillit cette publication (1): des amours-propres blessés, des gens masqués irrités qu'on les produisit au grand jour, jetèrent les hauts cris; des individus qui s'étaient décerné eux-mêmes des titres de noblesse furent très-mécontents de se voir dépouillés de leur prétendue aristocratie; il y eut même quelques procès intentés au courageux bibliographe; mais l'approbation des gens éclairés, le suffrage des meilleurs juges furent pour lui d'équitables dédommagements; les journaux sérieux, ceux dont l'opinion a un véritable prix, s'accorderent pour rendre justice à l'indépendance, à l'activité, au zèle de l'écrivain qui avait franchement dénoncé tant de plagiats et de suppositions, qui avait rétabli les droits de la vérité constamment méconnus dans certaines provinces de la littérature, et parfois aussi de l'érudition et de la science.

Le travail de Quérard, malgré son étendue et les soins qu'il avait coûtés, était cependant loin de satisfaire l'intrépide bibliographe; il ne voyait dans ce livre qu'un essai qu'il

(1) Voici en quels termes l'auteur du Manuel du Libraire, peu ami de Quérard, avec lequel il eut de vive querelles, apprécie ce grand travail : « Ouvrage curieux, quoique dans ses révélations indiscrètes il se trouve bien des ⚫ choses hasardées et des critiques plus malveillantes que justes, ce qui n'a point nui au succès de l'ouvrage, dont les ⚫ premiers volumes, tirés à 500 exemplaires, sont entièrement épuisés. »

fallait perfectionner, et le point de départ d'une œuvre plus approfondie. Il ne cessa de réunir de nouveaux matériaux, relevant tous les pseudonymes que lui fournissaient des lectures continuelles. En 1864, il se regarda comme assez maître de son sujet pour pouvoir entreprendre la publication d'une seconde édition; il l'annonçait comme devant former cinq volumes; il reproduisait ce qu'il avait déjà publié, en ajoutant quelques indications nouvelles à certains articles et en intercalant un tres-grand nombre de noms qui paraissaient pour la première fois. La première livraison de ce livre, qui avait déjà réuni de nombreux souscripteurs, venait de paraître (elle s'arrêtait au mot AMATEUR), lorsqu'une mort inopinée vint surprendre Quérard la plume à la main; il laissait en épreuve la préface destinée à sa seconde édition et la première feuille de la deuxième livraison; il laissait aussi de très-nombreux dossiers de notes classées alphabétiquement, fruit de recherches qu'il n'avait pas interrompues un seul instant. Jamais existence n'a été plus fidèlement consacrée au travail.

Il était à craindre que ces précieux matériaux ne fussent perdus pour la science; ils pouvaient périr obscurément, tomber dans les mains d'un propriétaire qui n'en apprécierait pas la valeur ou qui les soutrairait aux regards; alors les faits si nombreux, si intéressants pour l'histoire littéraire, rassemblés au prix de tant d'efforts et de dévouement à une idée dominante, restaient comme non avenus. Cette pensée nous amena à faire, au mois de juillet 1866, l'acquisition des papiers trouvés dans le cabinet de Quérard. Ce fut de notre part un acte tout de dévouement à la science des livres, science qui, depuis trente ans, est le but de nos études et de nos humbles travaux; nous voulions rendre à la mémoire de l'auteur des Supercheries l'hommage qui devait lui être le plus agréable; nous tenions à faire connaître ce qu'il avait accompli depuis une quinzaine d'années, et dans ce but, nous primes la résolution de publier un supplément à la première édition, supplément qui ne devait contenir que des articles nouveaux. Nous fimes même imprimer, conformément à cette idée, une partie de ce qui regarde la lettre A; mais nous n'avons pas tardé à reconnaître que ce plan était défectueux, et, revenant sur nos pas, nous avons, de concert avec quelques critiques dont l'autorité est du plus grand prix, résolu de réimprimer fidèlement la première édition, en y joignant des additions aussi nombreuses qu'intéressantes (nous aimons du moins à le croire).

Nous nous sommes cependant écarté sur un point du plan adopté par Quérard dans sa seconde édition; il a placé dans l'unique livraison qu'il lui a été donné de faire paraître les ouvrages publiés sous des pseudonymes dont il n'avait pu soulever le voile : nous avons cru devoir les retrancher; leur présence eût augmenté dans une proportion considérable, et sans grand profit pour la science, l'étendue d'une publication qu'il faut savoir renfermer dans de sages limites.

La littérature française contemporaine était le domaine favori de Quérard; il connaissait bien celle du dix-huitième siècle, mais il n'avait dirigé que d'assez faibles recherches sur les productions des périodes antérieures; nous nous sommes efforcé d'introduire à cet égard des articles nouveaux puisés aux sources les plus accréditées; un dépouillement attentif du Manuel du Libraire nous a fourni d'utiles indications, qui se sont multipliées grâce à la lecture d'un grand nombre de catalogues et de livres de bibliographie.

De nos jours, les pseudonymes forment une foule bigarrée, aussi confuse que nombreuse, grâce à l'habitude contractée à cet égard par les écrivains de la petite presse. Tels d'entre eux ont jusqu'à huit ou douze noms différents. Nous avons signalé quelquesuns de ces masques, mais nous avons jugé fort superflu d'essayer d'être complet; l'entreprise était impossible d'ailleurs : elle était à recommencer chaque matin; ne s'agit-il pas d'articles éphémères jetés dans des feuilles légères qui disparaissent avec la plus grande rapidité? Cette littérature reste à peu près étrangère à l'histoire littéraire, et c'est le livre surtout qui doit nous occuper.

Nous avons cru devoir, dans notre édition nouvelle, distinguer exactement les pseudonymes et les anonymes. Il s'agit là, en effet, de deux classes tout à fait différentes.

Barbier avait compris dans son Dictionnaire les ouvrages sans nom d'auteur et les ouvrages publiés sous des noms supposés; il avait raison, puisqu'il n'y avait alors aucun travail spécialement consacré aux pseudonymes; mais aujourd'hui ce travail existe, et notre devoir était de rendre aussi complète que possible l'édition que nous en publions. Nous avons extrait du Dictionnaire de Barbier tous les ouvrages publiés sous des pseudonymes, pour les faire entrer dans le livre de Quérard. De cette façon, le Dictionnaire de

Barbier, que nous plaçons à la suite, ne contient que les anonymes. Mais tout ce que présentent les quatre volumes de cet ouvrage mis au jour de 1822 à 1827 se retrouve dans notre publication. Nous ne manquerons point de reproduire les notes que le savant bibliothécaire de Napoléon Ier a jointes à une foule d'articles, notes toujours intéressantes, révélant des faits curieux dont la trace, vivante il y a cinquante ou soixante ans, est aujourd'hui presque toujours effacée.

Qu'il nous soit permis de citer ici quelques lignes tracées par un bibliophile qui a rendu à la science des livres de si nombreux et si bons services, M. Paul Lacroix :

« Le Dictionnaire des Anonymes est presque un chef-d'œuvre de critique et d'érudition; << on peut, tout au plus, le perfectionner en certaines parties, on peut l'augmenter et « l'étendre, on peut surtout le continuer jusqu'à présent. Il s'agit là d'un ouvrage essen<< tiellement remarquable, connu partout, cité sans cesse, et 'adopté d'une manière dé« finitive. Nous en demandons avec instance une nouvelle édition au nom des bibliogra<< phes et des bibliophiles. >>

Il nous est donc permis d'espérer que notre entreprise sera accueillie avec sympathie; nous n'épargnerons rien pour obtenir des suffrages auxquels nous attachons le plus grand prix.

Un signe placé en tête des additions faites au texte, le signe plus (+), indique les articles nouveaux; le coup d'œil le plus rapide montrera combien ils sont nombreux. Nous indiquons de la même manière les développements donnés à un certain nombre d'articles anciens.

Nous n'avons point voulu tracer une sèche nomenclature de titres : nous avons souvent signalé des circonstances relatives aux ouvrages connus; nous avons inséré quelques informations bibliographiques, transcrit certains passages, renvoyé aux livres qu'il convient de consulter; mais nous avons dû être sobre de notes, car si nous nous étions trop laissé entraîner dans cette voie, où nous aurions, nous l'avouons, trouvé de l'attrait, notre publication serait inévitablement sortie du cadre dans lequel nous devions la renfermer.

Il s'agit ici des ouvrages et des auteurs français; il ne pouvait entrer dans nos idées d'aborder les littératures étrangères, lesquelles ont d'ailleurs été l'objet de travaux spéciaux et estimables. Cependant nous avons fait mention des auteurs classiques de l'antiquité lorsque des traducteurs les ont fait passer dans notre langue et lorsqu'on leur a attribué des œuvres que la critique moderne regarde comme apocryphes; nous en avons agi de même pour quelques illustres écrivains étrangers (Cervantes, Shakespeare, etc.); ayant trouvé dans les papiers de Quérard quelques notes, en bien petit nombre d'ailleurs, relatives à des auteurs anglais ou italiens, nous n'avons pas cru devoir les condamner à la destruction. Barbier avait classé à part les ouvrages latins; Quérard en avait admis quelques-uns dans les Supercheries dévoilées; nous avons regardé comme nécessaire de les conserver, puisque nous tenons à reproduire intégralement l'édition originale (1), mais nous nous sommes, sous ce rapport, abstenu d'intercaler des articles nouveaux.

Nous ne nous dissimulons pas que, malgré tous nos soins, il restera encore dans ce Dictionnaire des pseudonymes des lacunes et parfois quelques erreurs; c'est inévitable dans un ouvrage de ce genre; nous prions les amis des livres qui auront à cet égard des communications à nous faire, des rectifications à nous signaler, de vouloir bien les transmettre à notre éditeur (M. Daffis, rue des Beaux-Arts, 9, à Paris). Ces indications seront accueillies avec la plus vive reconnaissance; elles trouveront place dans un supplément qui viendra compléter notre œuvre lorsque nous aurons pu profiter de toutes les lumières qu'il nous aura été donné de recueillir pendant le cours de l'impression.

Nous remplissons un devoir bien doux en reconnaissant les services que nous ont rendus divers savants qui nous ont transmis avec une obligeance parfaite de précieuses communications. Quérard avait déjà signalé ce qu'il devait à plusieurs collaborateurs. Nous avons rencontré dans ses papiers des notes émanant, les unes de M. Canel, qui est si bien au fait de ce qui concerne les écrivains de la Normandie; les autres de M. Serge Poltoratzki, qui possède à Moscou, à l'égard de la littérature française (celle du xvIII siècle

(1) Intégralement et sans y rien changer. Nous laissons à Quérard ses appréciations et son style. On trouvera çà et là quelques indications qui ont cessé d'être exactes. On voudra bien se rappeler qu'elles se rapportent à l'époque où Quérard écrivait. Nous avons aussi respecté la rédaction des bulletins trouvés dans ses papiers, qui figurent pour une part assez notable dans les articles nouveaux.

surtout), une étendue et une sûreté de connaissances dont il y a assurément fort peu d'exemples à Paris. Nous devons une mention spéciale à M. Olivier Barbier, qui a mis à notre disposition de nombreuses notes sur des ouvrages pseudonymes, extraites des matériaux qu'il a recueillis pour compléter l'ouvrage de son père; à M. Ulysse Capitaine, de Liége, pour lequel la bibliographie wallonne n'a aucun secret; à M. L. de la Sicotiere, avocat à Alençon; à M. Gustave Mouravit, jeune bibliophile établi à Marseille, qui a dirigé sur divers points de la science des livres des recherches assidues et fructueuses dont il a libéralement mis les résultats à notre disposition (1). M. Maurice Tourneux, de Paris, très-versé dans les mystères de la littérature contemporaine, nous a rendu des services que nous aimons à reconnaître.

Le quatrième volume du Dictionnaire de Barbier et le cinquième des Supercheries sont occupés, en grande partie, par une table des noms d'auteurs de cette foule de livres anonymes ou pseudonymes; un index de ce genre est indispensable; sans lui les recherches seraient impossibles; nous avons apporté une attention particulière à la table qui accompagne la double nomenclature que nous livrons à la publicité.

G. BRUNET.

Dans le Discours préliminaire de son Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, mon père adresse ses remerciments à soixante-dix-neuf personnes. Dans une note de ses Supercheries qui se trouve reproduite ici sans commentaire (col. 63, note 2), Quérard a cru pouvoir dire : « Néanmoins, les noms de quelques autres y sont oubliés, et, parmi «< ces derniers, ceux de M. Bleuet, ancien et savant libraire de Paris, M. Justin Lamou<< reux et M. H. Saint-Georges. »

A cette affirmation, il suffit de répondre Bleuet, qui était déjà cité dans la première édition du Dictionnaire, l'est de nouveau dans la seconde (p. xxxv). M. Justin Lamoureux n'a donné de notes que pour la seconde édition: mon père lui a consacré un paragraphe de neuf lignes (p. xxxIx). Quant à M. Saint-Georges, dont mon frère ni moi n'avons nul souvenir, son nom figure à la suite de deux ou trois articles.

En contrôlant sur les placards tous les articles de cette nouvelle édition des Supercheries avec ceux du Dictionnaire de mon père, j'ai pu constater que Quérard, pour un certain nombre de ceux accompagnés de notes, avait omis de les faire suivre des lettres A. A. B-r. C'était pour moi un devoir filial d'ajouter aujourd'hui les initiales patrony miques, et je n'y ai pas manqué. — Cuique suum.

Paris, 30 janvier 1869.

Olivier BARBIER.

(1) Les indications fournies par MM. Ulysse Capitaine et G. Mouravit sont signées U. C. et G. M. D'autres signatures se retrouveront dans le cours de l'ouvrage. Elles seront énoncées dans l'avant-propos qui précèdera notre Supplément, et qui exprimera aussi ce que nous devons à divers collaborateurs.

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