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M. de la Harpe a trouvé l'occasion d'y répondre dans une des dernières séances consacrées à l'analyse raisonnée des Institutions de Quintilien.

« Ce qu'a dit Quintilien de celui qui parle est » tout aussi vrai de celui qui écoute. Dans l'un et » l'autre cas, on est bien moins seul qu'en société, >> et cette observation est ici, ce me semble, d'au» tant mieux placée qu'elle peut servir de réponse

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à l'objection que quelques personnes ont faite » contre cet établissement si honorable aux let» tres, et à qui votre approbation, Messieurs, >> manifestée par des témoignages si flatteurs, pro» met cette stabilité qui seule peut le rendre na» tional. On a dit que tout ce qu'on entend dans le Lycée pouvait se lire dans le cabinet avec tout » autant de fruit. J'oserais croire, au contraire, et » cette opinion est fondée sur la nature et l'expé»rience, que si nous sommes assez heureux pour » être de quelque utilité, elle doit être ici plus » certaine et plus étendue que partout ailleurs. Je » connais tous les avantages de la lecture particu» lière, surtout dans les matières abstraites qui

exigent beaucoup de méditation; mais pour » celles que nous traitons ici, qui généralement » ont plus besoin d'être bien saisies qu'approfon→ dies long-tems, qui sont plus faites pour donner » du mouvement à l'esprit que pour le condam»ner au travail, la forme des assemblées publiques >> nous paraît préférable à toutes les autres. En ce » genre, l'oreille vaut mieux que l'œil pour rete» nir et arrêter la pensée. Les sensations sont plus

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→ vives quand elles ne sont pas solitaires, elles sont plus sûres quand elles paroissent confirmées par » tout ce qui nous environne; l'attention de cha» cun est soutenue par celle des autres, et ce qu'on a senti en commun laisse une trace plus >> profonde et plus durable; on remporte des idées » que l'on compare à loisir avec les siennes, et il » se fait en quelque sorte un travail général et si» multané de tous les esprits, qui doit tourner au profit de la raison et de la vérité. »

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Le Triomphe du Nouveau Monde, Réponses académiques formant un nouveau système de confédération fondé sur les besoins actuels des nations chrétiennes, commerçantes, etc., et adapté à leurs diverses formes de gouvernement; dédié aux Souverains, aux Académies, à tous les gens de bien. Par l'ami du Corps Social. Deux volumes in-8°, ayant pour épigraphe ces paroles du psaume 84:

Justitia et pax osculatæ sunt.

Tel est le titre fastueusement bizarre d'un ouvrage dont la publication vient de faire renvoyer son auteur, l'abbé Brun, de la congrégation de l'Oratoire, Ce renvoi a donné lieu à une contestation qui a fait retentir nos tribunaux et lire le livre qui l'avoit occasionnée. Nous ne doutons pas que ce ne soit le prix proposé par l'abbé Raynal au jugement de l'Académie de Lyon, savoir si la découverte de l'Amérique a été utile ou nuisible au

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genre humain, qui ait donné à l'abbé Brun la mière idée de son Triomphe : mais tout à la fois prêtre, janséniste et philosophe, qualités assez difficiles à concilier, il ne s'amuse point à discuter cette importante question, il la décide. Il ne voit dans la découverte du Nouveau Monde que le bonheur de l'ancien. Tous les maux que nous avons faits à l'Amérique, celui qu'il paraît plus que démontré que nous devons à la gloire de l'avoir découverte, la dépopulation de plusieurs parties de notre continent, les nouveaux besoins auxquels nous assujettit l'usage de tant de productions inconnues jusqu'alors, les guerres désastreuses que ces riches conquêtes n'ont cessé de susciter entre les puissances qui ont voulu se les approprier, la dévastation de l'Afrique, qui s'épuise journellement à nous fournir les nègres nécessaires pour l'exploitation des mines ou pour la culture du sucre et du café, les ravages enfin d'une maladie devenue le plus cruel et le plus honteux des fléaux. dont le genre humain soit affligé; tous ces maux, qui appartiennent à la découverte de l'Amérique, ne sont presque rien aux yeux de M. l'abbé. L'esprit de commerce substitué à l'esprit de conquête, cet esprit de commerce devenu l'âme de la politique moderne, l'Amérique septentrionale tendant les bras et ouvrant un vaste territoire aux malheureux Européens, les souverains forcés par la crainte de la dépopulation de leurs États respectifs à consentir à une paix générale pour assurer leur bonheur et celui de leurs sujets; voilà les

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grands avantages qui déterminent l'abbé Brun à regarder la découverte du Nouveau Monde comme un vrai germe de félicité universelle.

Les vues de M. l'abbé Brun n'ont rien de neuf, et sa manière de les exprimer n'a pas même le mérite d'être originale. Le moyen qu'il propose pour extirper l'irréligion est le seul qui soit curieux; devait-on l'attendre d'un prétre catholique? C'est le projet de réunir tous les chrétiens dans une seule communion, et, pour l'exécuter, il ne demande que le secours d'un concile œcuménique. L'auteur, qui ne fait rien à démi, s'est donné la peine de dicter lui-même la bulle que le pape doit adresser à tous les souverains pour la convocation de ce concile; le saint Père y déclare modestément qu'il ne prétend pas faire tomber d'accord les différentes sectes qu'il invite à un concile sur tous les articles de sa croyance, que l'on se bornera simplement à convenir des points les plus essentiels, et que toutes les décisions seront appuyées sur l'ancien Testament et sur les lumières de la raison (sauf à concilier sans doute ées deux autorités le mieux qu'on pourra). L'abbé Brun fait ensuite tous les règlemens, tous les décrets que le concile doit sanctionner; il permet la communion sous les deux espèces; il veut que l'office divin se fasse en langue vulgaire, il veut que les pretres laïcs (car il admet encore les vœux monastiques en réservant aux princes le droit d'en dispenser) jouissent, à l'égard du mariage, des mémes droits que les autres citoyens.

Ce sont bien plus les préceptes religieux de l'abbé Brun que ses idées politiques qui l'ont fait renvoyer de la congrégation de l'Oratoire. Il a voulu résister aux ordres du supérieur général, du père Moisset, et rester malgré lui dans une des maisons de l'Oratoire voisine de Paris; le supérieur s'y est rendu, et pendant l'absence de l'abbé Brun il a fait ouvrir sa chambre par un serrurier, et transporter tous ses effets dans le logement du portier de la maison. L'abbé Brun, àson retour, a prétendu que, dans ce dépla→ cement peu légal, on lui avait pris dix-sept mille livres de billets de caisse, et en a voulu rendre responsable le père Moisset; mais sa réclamation n'étant pas appuyée de preuves qui établissent qu'il eût cette somme en son pouvoir, et n'ayant été faite que quelque tems après le déplacement dont il se plaignait, les tribunaux l'ont débouté de sa demande. Ce sont les mémoires auxquels cette contestation a donné lieu qui ont fait connaître le Triomphe du Nouveau Monde, ignoré jusqu'à cet instant. Le gouvernement n'a pas tardé de suspendre, par un arrêt du conseil, le privilége accordé à un livre où, entre autres folies, on ose avancer que l'incendiaire, l'empoisonneur, le parricide, le régicide même, ne doivent être punis que d'une prison perpétuelle, et tous les autres crimes traités comme des maladies plus ou moins opiniâtres. On peut croire que sur ce seul paradoxe le censeur eût refusé de munir l'ouvrage de son approbation, s'il se fût

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