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ciers dans toute l'Europe; et on vient encore de brûler une sorcière vers l'an 1750, à Wurtzbourg. Il est vrai que certaines paroles et certaines cérémonies suffisent pour faire périr un troupeau de moutons, pourvu qu'on y ajoute de l'arsenic.

L'Histoire critique des Cérémonies superstitieuses, par Le Brun de l'Oratoire, est bien étrange; il veut combattre le ridicule des sortiléges, et il a lui-même le ridicule de croire à leur puissance. Il prétend que Marie Bucaule, la sorcière, étant en prison à Valogne, parut à quelques lieues de là, dans le même temps, selon le témoignage juridique du juge de Valogne. Il rapporte le fameux procès des bergers de Brie, condamnés à être pendus et brûlés, par le parlement de Paris, en 1691. Ces bergers avaient été assez sots pour se croire sorciers, et assez méchants pour mêler des poisons réels à leurs sorcelleries imaginaires.

Le père Le Brun proteste (1) qu'il y eut beaucoup de surnaturel dans leur fuit, et qu'ils furent pendus en con équence. L'arrêt du parlement est directement contraire à ce que dit l'auteur : « La cour déclare les accusés >>> dûnent atteints et convaincus de superstitions, d'im» piétés, sacriléges, profanations, empoisonnements. »>

L'arrêt ne dit pas que ce soient des profanations qui aient fait périr des animaux: il dit que ce sont les empoisonnements. On peut commettre un sacrilege sans être sorcier, comme on empoisonne sans être sorcier.

D'autres juges firent brûler, à la vérité, le curé Gaufridi, et ils crurent fermement que le diable l'avait fait jouir de toutes ses pénitentes. Le curé Gaufridi croyait aussi en avoir obligation au diable; mais c'était en 1611: c'était dans le temps où la plupart de nos provinciaux n'étaient pas fort au-dessus des Caraïbes et des Nègres. Il y en a eu encore de nos jours quelques-uns de cette espèce, comme le jésuite Girard, l'ex-jésuite Nonotte, (1) Voyez le procès des bergers de Brie, depuis la page 516.

Je jésuite Duplessis, l'ex-jésuite Malagrida; mais cette espèce de fous devient fort rare de jour en jour.

A l'égard de la lycanthropie, c'est-à-dire des hommes métamorphosés en loups par des enchantements, il suffit qu'un jeune berger ayant tué un loup, et s'étant revêtu de sa peau, ait fait peur à de vieilles femmes, pour que la réputation du berger devenu loup se soit répandue dans toute la province, et de là dans d'autres. Bientôt Virgile dira:

His ego sæpè lupum fieri, et se condere sylvis
Moerim, sæpe animas imis exire sepulcris (1).
Maris devenu loup se cachait dans les bois:

Du creux de leurs tombeaux j'ai vu sortir des âmes,

Voir un homme loup est une chose curieuse; mais voir des âmes est encore plus beau. Des moines du mont Cassin ne virent-ils pas l'âme de saint Bénédict ou Benoît ? Des moines de Tours ne virent-ils pas celle de saint Martin? Des moines de Saint-Denis ne virent-ils pas celle de Charles-Martel?

Enchantements pour se faire aimer.

Il y en eut pour les filles et pour les garçons. Les Juifs en vendaient à Rome et dans Alexandrie; et ils en vendent encore en Asie. Vous trouverez quelques-uns de ces secrets dans le Petit Albert; mais vous vous mettrez plus au fait, si vous lisez le plaidoyer qu'Apulée composa lorsqu'il fut accusé par un chrétien, dont il avait épousé la fille, de l'avoir ensorcelée par des philtres. Son beaupère Émilien prétendait qu'Apulée s'était servi principalement de certains poissons, attendu que Vénus étant née de la mer, les poissons devaient exciter prodigieusement les femmes à l'amour.

de

On se servait d'ordinaire de verveine, de ténia, l'hippomane, qui n'était autre chose qu'un peu- de l'ar (1) Ecloga VIII, v. 97 et seq.

rière-faix d'une jument lorsqu'elle produit son poufain, d'un petit oiseau nommé parmi nous hochequeue, en latin, motacilla.

"

Mais Apulée était principalement accusé d'avoir employé des coquillages, des pates d'écrevisses, des hérisdes huîtres cannelées, du calmar, qui passe

sons de

mer,

pour avoir beaucoup de semence, etc.

Apulée fait assez entendre quel était le véritable philtre qui avait engagé Pudentilla à se donner à lui. Il est vrai qu'il avoue dans son plaidoyer que sa femme l'avait appelé un jour magicien. Mais quoi! dit-il, si elle m'avait appelé consul, serais-je consul pour cela?

Le satyrion fut regardé chez les Grecs et chez les Romains comme le philtre le plus puissant: on l'appelait la plante aphrodisia, racine de Vénus. Nous y ajoutons la roquette sauvage; c'est l'eruca des Latins (1): Et Venerem revocans eruca morantem. Nousy mêlons surtout un peu d'essence d'ambre. La mandragore est passée de mode. Quelques vieux débauchés se sont servis de mouches cantharides, qui portent en effet aux parties génitales; mais qui portent beaucoup plus à la vessie, qui l'excorient, et qui font uriner le sang: ils ont été cruellement punis d'avoir voulu pousser l'art trop loin.

La jeunesse et la santé sont les véritables philtres.

Le chocolat a passé pendant quelque temps pour ranimer la vigueur endormie de nos petits-maîtres vieillis avant l'àge; mais on aurait beau prendre vingt tasses de chocolat, on n'en inspirera pas plus de goût pour sa personne:

Ut ameris, amabilis esto.
Pour être aimé, soyez aimable.

() Martial.

ENFER

Inferunt, souterrain: les peuples qui enterraient les morts les mirent dans le souterrain; leur àme y était donc avec eux. Telle est la première physique et la première métaphysique des Egyptiens et des Grecs.

Les Indiens, beaucoup plus anciens, qui avaient inventé le dogme ingénieux de la métempsycose, ne crurent jamais que les âmes fussent dans le souterrain.

Les Japonais, les Corréens, les Chinois, les peuples de la vaste Tartarie orientale et occidentale, ne surent pas un mot de la philosophie du souterrain.

Les Grecs, avec le temps, firent du souterrain un vaste royaume, qu'ils donnèrent libéralement à Pluton et à Proserpine sa femme. Ils leur assignèrent trois conseillers d'état, trois femmes de charge, nommées les Furies, trois Parques pour filer, dévider et couper le fil de la vie des hommes. Et comme dans l'antiquité chaque héros avait son chien pour garder sa porte, on donna à Pluton up gros chien qui avait trois têtes; car tout allait par trois. Des trois conseillers d'état, Minos, Éaque et Rhadamanthe, l'un jugeait la Grèce, l'autre l'Asie mineure(car les Grecs ne connaissaient pas alors la grande Asie), le troisième était pour l'Europe.

Les poëtes ayant inventé ces enfers s'en moquèrent Jes premiers. Tantôt Virgile parle sérieusement des enfers dans l'Énéide, parce qu'alors le sérieux convient à son sujet ; tantôt il en parle avec mépris dans ses Géorgiques:

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,

Alque metus omnes et inexorabile fatum
Subjecit pedibus,strepitumque Acherontis avari!
Heureux qui peut sonder les lois de la nature,
Qui des vains préjugés foule aux pieds l'imposture,
Qui regarde en pitié le Styx et l'Achéron,

Et le triple Cerbère, et la barque à Caron!

On déclamait sur le théâtre de Rome ces vers de la Troade, auxquels quarante mille mains applaudissaient:

Tænara et aspero

Regnum sub domino, limen et obsidens
Custos non facili Cerberus ostio.
Rumores vacui, verbaque inania,
Et par sollicito fabula somnio.

Le palais de Pluton, son portier à trois têtes,
Les couleuvres d'enfer à mordre toujours prêtes,
Le Styx, le Phlégéton sont des contes d'enfants,
Des songes importuns, des mots vides de sens.

Lucrèce, Horace, s'expriment avec la même force; Cicéron, Sénèque, en parlent de même en vingt endroits. Le grand empereur Marc-Aurèle raisonne encore plus philosophiquement qu'eux tous: (1) « Celui qui craint » la mort, craint ou d'être privé de tous sens, ou d'é» prouver d'autres sensations. Mais si tu n'as plus tes » sens, tu ne seras plus sujet à aucune peine, à aucune » misère. Si tu as des sens d'une autre espèce, tu scras >> une autre créature. >>

Il n'y avait pas un mot à répondre à ce raisonnement dans la philosophie profane. Cependant, par la contradiction attachée à l'espèce humaine, et qui semble faire la base de notre nature, dans le temps même que Cicéron disait publiquement: « Il n'y a point de vieille femme >> qui croye ces inepties; » Lucrèce avouait que ces idées fesaient une grande impression sur les esprits; il vient, dit-il, pour les détruire:

Si certum finem esse viderent.

Erumnarum homines, aliquâ ratione valerent
Relligionibus atque minis obsistere vatum.
Nunc ratio nulla est restandi,nulla facultas;
Eternas quoniam pœnas in morte timendum est

(1) Liv. VIII, no 62.

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