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Tendre Vénus, âme de l'univers,

Par qui tout naît, tout respire, et tout aime;
Toi dont les feux bralent au fond des mers,
Toi qui régis la terre et le ciel même, etc.

Si l'antiquité dans ses ténèbres s'était bornée à reconnaître la Divinité dans ces images, aurait-on heaucoup de reproches à lui faire? L'âme productrice du monde était adorée par les sages; elle gouvernait les mers sous le nom de Neptune, les airs sous l'emblème de Junon les campagnes sous celui de Pan. Elle était la divinité des armées sous le nom de Mars; on animait tous ses attributs: Jupiter était le seul dieu. La chaîne d'or, avec laquelle il enlevait les dieux inférieurs et les hommes, était une image frappante de l'unité d'un être souverain. Le peuple s'y trompait; mais que nous importe le peuple?

On demande tous les jours pourquoi les magistrats grecs et romains permettaient qu'on tournât en ridicule sur le théâtre ces mêmes divinités qu'on adorait dans les temples? On fait là une supposition fausse: on ne se moquait point des dieux sur le théâtre, mais des sottises attribuées à ces dieux par ceux qui avaient corrompu l'aucienne mythologie. Les consuls et les préteurs trouvaient bon qu'on traitât gaîment sur la scène l'aventure des deux Sosies; mais ils n'auraient pas souffert qu'on eût attaqué devant le peuple le culte de Jupiter et de Mercure. C'est ainsi que mille choses qui paraissent contradictoires ne le sont point. J'ai vu sur le théâtre d'une nation savante et spirituelle, des aventures tirées de la Légende dorée; dira-t-on pour cela que cette nation permet qu'on insulte aux objets de la religion? Il n'est pas à craindre qu'on devienne païen pour avoir entendu à Paris l'opéra de Proserpine, ou pour avoir vu à Rome les noces de Psyché, peintes dans un palais du pape par Raphaël. La fable forme le goût, et ne rend personne idolâtre.

Les belles fables de l'antiquité ont encore ce grand avantage sur l'histoire, qu'elles présentent une morale sensible: ce sont des leçons de vertu, et presque toute l'histoire est le succès des crimes. Jupiter, dans la fable, descend sur la terre pour punir Tantale et Lycaon; mais dans l'histoire, nos Tantales et nos Lycaons sont les dieux de la terre. Baucis et Philémon obtiennent que leur cabane soit changée en un temple: nos Baucis et nos Philemons voient vendre par le collecteur de tailles leurs marmites, que les dieux changent en vases d'or dans Ovide.

Je sais combien l'histoire peut nous instruire, je sais combien elle est nécessaire: mais en vérité il faut lui

aider beaucoup pour en tirer des règles de conduite. Que ceux qui ne connaissent la politique que dans les livres, se souviennent toujours de ces vers de Corneille :

Les exemples récents suffiraient pour m'instruire,
Si par l'exemple seul on devait se conduire;
Mais souvent l'un se perd où l'autre s'est sauvé.
Et par où l'un périt, un autre est conservé.

Henri VIII, tyran de ses parlements, de ses ministres, de ses femmes, des consciences et des bourses, vit et meurt paisible. Le bon, le brave Charles Ier périt sur un échafaud. Notre admirable héroïne Marguerite d'Anjou donne en vain douze batailles en personne contre les Anglais, sujets de son mari. Guillaume III chasse Jacques II d'Angleterre sans douner bataille. Nous avons vu de nos jours la famille impériale de Perse égorgée, et des étrangers sur son trône. Pour qui ne regarde qu'aux évènements, l'histoire semble accuser la Providence, et les belles fables morales la justifient. Il est clair qu'on trouve dans elles l'utile et l'agréable. Ceux qui dans ce monde ne sont ni l'un ni l'autre, crient contre elles. Laissons-les dire, et lisons Homère et Ovide,

aussi-bien que Tite-Live et Rapin Thoyras. Le goût donne des préférences; le fanatisme donne les exclusions.

Tous les arts sont amis, ainsi qu'ils sont divins:
Qui veut les séparer est loin de les connaître.
L'histoire nous apprend ce que sont les humains;
La fable ce qu'ils doivent être.

FACILE. (GRAMMAIRE.)

FACILE ne signifie pas seulement une chose aisément faite, mais encore qui paraît l'être. Le pinceau du Corrège est facile. Le style de Quinault est beaucoup plus facile que celui de Despréaux, comme le style d'Ovide l'emporte en facilité sur celui de Perse.

Cette facilité en peinture, en musique, en éloquence, en poésie, consiste dans un naturel heureux, qui n'admet aucun tour de recherche, et qui peut se passer de force et de profondeur. Ainsi les tableaux de Paul Véronèse ont un air plus facile et moins fini que ceux de Michel Ange. Les symphonies de Rameau sont supérieures à celles de Lulli, et semblent moins faciles. Bossuet est plus véritablement éloquent et plus facile que Fléchier. Rousscau, dans ses Épîtres, n'a pas à beaucoup près la facilité et la vérité de Despréaux.

Le commentateur de Despréaux dit que ce poëte exact et laborieux avait appris à l'illustre Racine à faire difficilement des vers; et que ceux qui paraissent faciles, sont ceux qui ont été faits avec le plus de difficulté.

Il est très vrai qu'il en coûte souvent pour s'exprimer avec clarté: il est vrai qu'on peut arriver au naturel par des efforts; mais il est vrai aussi qu'un heureux génie produit souvent des beautés faciles sans aucune peine, et que l'enthousiasme va plus loin que l'art.

La plupart des morceaux passionnés de nos bons poëtes sont sortis achevés de leur plume, et paraissent d'aus tant plus faciles, qu'ils ont en effet été composés san

travail : l'imagination alors conçoit et enfante aisément. Il n'en est pas ainsi dans les ouvrages didactiques; c'est là qu'on a besoin d'art pour paraître facile. Il y a, par exemple, beaucoup moins de facilité que de profondeur dans l'amirable Essai sur l'Homme de Pope.

On peut faire facilement de très mauvais ouvrages qui n'auront rien de gêné, qui paraîtront faciles; et c'est le partage de ceux qui ont, sans génie, la malheureuse habitude de composer. C'est en ce sens qu'un personnage de l'ancienne comédie, qu'on nomme italienne, dit à un

autre :

Tu fais de méchants vers admirablement bien.

Le terme de facile est une injure pour une femme, et est quelquefois dans la société une louange pour un hom me; c'est souvent un défaut dans un homme d'état.

Les mœurs d'Atticus étaient faciles; c'était le plus aimable des Romains. La facile Cléopâtre se donna à Antoine aussi aisément qu'à César. Le facile Claude se laissait gouverner par Agrippine. Facile n'est là par rapport à Claude qu'un adoucissement; le mot propre est faible.

Un homme facile est en général un esprit qui se rend aisément à la raison, aux remontrances, un cœur qui se laisse fléchir aux prières : et faible est celui qui laisse prendre sur lui trop d'autorité.

FACTION.

De ce qu'on entend par ce mot.

Le mot faction venant du latin facere, on l'emploie pour signifier l'état d'un soldat à son poste, en faction; les quadrilles ou les troupes des combattants dans le cirque; les factions vertes, bleues, rouges et blanches.

La principale acception de ce terme signifie un parti séditieux dans un état. Le terme de parti par luimême n'a rien d'odieux, celui de faction l'est toujours.

Un grand homme et un médiocre peuvent avoir, aisément un parti à la cour, dans l'armée, à la ville, dans

la littérature.

On peut avoir un parti par son mérite, par la chaleur et le nombre de ses amis, sans être chef de parti.

Le maréchal de Catinat, peu considéré à la cour s'était fait un grand parti dans l'armée sans y prétendre. Un chef de parti est toujours un chef de faction: tels ont été le cardinal de Retz, Henri duc de Guise, et tant d'autres.

Un parti séditieux, quand il est encore faible, quand il ne partage pas tout l'état, n'est qu'une faction.

La faction de César devint bientôt un parti dominant qui engloutit la république.

Quand l'empereur Charles VI disputait l'Espagne à Philippe V, il avait un parti dans ce royaume, et enfin il n'y cut plus qu'une faction. Cependant on peut dire toujours le parti de Charles VI.

Il n'en est pas ainsi des hommes privés. Descartes cut long-temps un parti en France; on ne peut dire qu'il eut une faction.

C'est ainsi qu'il y a des mots synonymes en plusieurs cas qui cessent de l'être dans d'autres.

FACULTÉ.

TOUTES les puissances du corps et de l'entendement ne sont-elles pas des facultés, et qui pis est, des facultés très ignorées, de franches qualités occultes, à commencer par le mouvement, dont personne n'a découvert l'origine?

Quand le président de la faculté de médecine, dans le Malade imaginaire, demande à Thomas Diafoirus, quare opium facit dormire? Thomas répond très pertinemment, quia est in eo virtus dormitiva quæ facit sopire; parce qu'il y a dans l'opium une faculté soporativc

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