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quand je juge, de m'en rapporter au peu de bon scns et d'équité que la nature ma donné; et avec ces deux secours je me trompe à presque toutes les audiences.

J'ai un frère qui étudie en théologie pour être grandvicaire; il se plaint bien davantage de son éducation: il faut qu'il consume six années à bien statuer s'il y a neuf chœurs d'anges, et quelle est la différence précise entre un trône et une domination; si le Phison, dans le para. dis terrestre, était à droite ou à gauche du Géon; si la langue dans laquelle le serpent eut des conversations avec Eve, était la même que celle dont l'ânesse se servit avec Balaam; comment Melchisedech était né sans père et sans mère; en quel endroit demeure Énoch qui n'est point mort; où sont les chevaux qui transportèrent Élie dans un char de feu, après qu'il eut séparé les eaux du Jourdain avec son manteau, et dans quel temps il doit revenir pour annoncer la fin du monde. Mon frère dit que toutes ces questions l'embarrassent beaucoup, et ne lui ont encore pu procurer un canonicat de Notre-Dame, sur lequel nous comptions.

Vous voyez entre nous que la plupart de nos éducations sont ridicules, et que celles qu'on reçoit dans les arts et métiers sont infiniment meilleures.

L'EX-JÉSUITE.

D'accord; mais je n'ai pas de quoi vivre avec mes quatre cents francs, qui font vingt-deux, sous deux deniers par jour, tandis que tel homme, dont le père allait derrière un carrosse, a trente-six chevaux dans son écurie, quatre cuisiniers,et point d'aumônier.

LE CONSEILLER.

Eh bien! je vous donne quatre cents autres francs de ma poche; c'est ce que Jean Despautère ne m'avait point enseigné dans non éducation.

ÉGALITÉ.

SECTION PREMIÈRE.

In est clair que les hommes, jouissant des facultés attachées à leur nature, sont égaux; ils le sont quand ils s'acquittent des fonctions animales, et quand ils exercent leur entendement. Le roi de la Chine, le grandmogol, le padisha de Turquie, ne peut dire an dernier des hommes: Je te défends de digérer, d'aller à la garderobe et de penser. Tous les animaux de chaque espèce sont égaux entre eux.

Un cheval ne dit point au cheval son confrère:

Qu'on peigne mes beaux crins, qu'on m'étrilleet me ferre';
Toi, cours, et va porter mes ordres souverains
Aux mulets de ces bords, aux ânes mes voisins;
Toi, prépare les grains dont je fais des largesses
A mes fiers favoris, à mes, douces maîtresses.
Qu'on châtre les chevaux désignés pour servir
Les coquettes juments dont seul je dois jouir;
Que tout soit dans la crainte et dans la dépendance:
Et si quelqu'un de vous hennit en ma présence,
Pour punir cet impie et ce séditieux,

Qui foule aux pieds les lois des chevaux et des dieux,
Pour venger dignement le ciel et la patrie,

Qu'il soit pendu sur l'heure auprès de l'écurie.

Les animaux ont naturellement, au-dessus de nous, l'avantage de l'indépendance. Si un taureau qui courtise une génisse, est chassé à coups de cornes par un taureau plus fort que lui, il va chercher une autre maîtresse dans un autre pré, et il vit libre. Un coq, battu par un coq, se console dans un autre poulailler. Il n'en est pas. ainsi de nous. Un petit vizir exile à Lemnos un bostangi; le vizir Azem exile le petit vizir à Ténédos; le padisha exile le vizir Azem à Rhodes; les janissaires mettent en prison le padisha, et en élisent un autre qui exilera les bons musulmans à son choix; encore lui scra-t-on bien

obligé, s'il se borne à ce petit exercice de son autorité sacrée.

Si cette terre était ce qu'elle semble devoir être, si l'homme y trouvait partout une subsistance facile et assurée, et un climat convenable à sa nature, il est clair qu'il eût été impossible à un homme d'en asservir un autre. Que ce globe soit couvert de fruits salutaires ; que l'air qui doit contribuer à notre vie, ne nous donne point de maladies et une mort prématurée ; que l'homme n'ait besoin d'autre logis et d'autre lit que de celui des dainis et des chevreuils; alors les Gengis-kan et les Tamerlan n'auront de valets que leurs enfants, qui seront assez honnêtes gens pour les aider dans leur vieillesse.

Dans cet état naturel dont jouissent tous les quadrupèdes non domptés, les oiseaux et les reptiles, l'homme serait aussi heureux qu'eux; la domination serait alors une chimère, une absurdité, à laquelle personne ne penserait; car pourquoi chercher des serviteurs quand vous n'avez besoin d'aucun service?

S'il passait par l'esprit de quelque individu à tête tyrannique et à bras nerveux d'asservir son voisin moins fort que lui, la chose serait impossible; l'opprimé serait sur le Danube, avant que l'oppresseur cût pris ses mesures sur le Volga.

Tous les hommes seraient donc nécessairement égaux s'ils étaient sans besoins; la misère attachée à notre espèce subordonne un homme à un autre homme: ce n'est pas l'inégalité qui est un malheur réel, c'est la dépendance. It importe fort peu que tel homme s'appelle sa hautesse, tel autre sa sainteté; mais il est dur de servir l'un ou l'autre.

Une famille nombreuse a cultivé un bon terroir; deux petites familles voisines ont des champs ingrats et rebelles; il faut que les deux pauvres familles servent la famille opulente ou qu'elles l'égorgent: cela va sans diffieulté. Une des deux familles indigentes va offrir ses bras

ÉGALITÉ.

SECTION PREMIÈRE,

In est clair que les hommes, jouissant des facultés attachées à leur nature, sont égaux; ils le sont quand ils s'acquittent des fonctions animales, et quand ils exercent leur entendement. Le roi de la Chine, le grandmogol, le padisha de Turquie, ne peut dire au dernier des hommes: Je te défends de digérer, d'aller à la garderobe et de penser. Tous les animaux de chaque espèce sont égaux entre eux.

Un cheval ne dit point au cheval son confrère:

Qu'on peigne mes beaux crins, qu'on m'étrille et me ferre;
Toi, cours, et va porter mes ordres souverains
Aux mulets de ces bords, aux ânes mes voisins;
Toi, prépare les grains dont je fais des largesses
A mes fiers favoris, à mes douces maîtresses.
Qu'on châtre les chevaux désignés pour servir
Les coquettes juments dont seul je dois jouir;
Que tout soit dans la crainte et dans la dépendance?
Et si quelqu'un de vous hennit en ma présence,
Pour punir cet impie et ce séditieux,

Qui foule aux pieds les lois des chevaux et des dieux,
Pour venger dignement le ciel et la patrie,

Qu'il soit pendu sur l'heure auprès de l'écurie.

Les animaux ont naturellement, au-dessus de nous, l'avantage de l'indépendance. Si un taureau qui courtise une génisse, est chassé à coups de cornes par un taureau plus fort que lui, il va chercher une autre maîtresse dans un autre pré, et il vit libre. Un coq, battu par un coq, se console dans un autre poulailler. Il n'en est pas. ainsi de nous. Un petit vizir exile à Lemnos un bostangi; le vizir Azem exile le petit vizir à Ténédos; le padisha exile le vizir Azem à Rhodes; les janissaires mettent en prison le padisha, et en élisent un autre qui exilera les bons musulmans à son choix; encore lui scra-t-on hien

tent, alors on voit des guerres, comme celle du parti populaire contre le parti du sénat à Rome, celle des paysans en Allemagne, en Angleterre, en France. Toutes ces guerres finissent tôt ou tard par l'asservissement du peuple, parce que les puissants ont l'argent, et que l'argent est maître de tout dans un état; je dis dans un état, car il n'en est pas de même de nation à nation. La nation qui se servira le mieux du fer, subjuguera toujours celle qui aura plus d'or et moins de courage.

Tout homme naît avec un penchant assez violent pour la domination, la richesse et les plaisirs, et avec beaucoup de goût pour la paresse; par conséquent tout homme voudrait avoir l'argent et les femmes ou les filles des autres, être leur maître, les assujettir à tous ses caprices, et ne rien faire, ou du moins ne faire que des choses très agréables. Vous voyez bien qu'avec ces belles dispositions il est aussi impossible que les hommes soient égaux, qu'il est impossible que deux prédicateurs ou deux professeurs de théologie ne soient pas jaloux l'un de l'autre.

Le genre humain, tel qu'il est, ne peut subsister à moins qu'il n'y ait une infinité d'hommes utiles qui ne possèdent rien du tout. Car certainement un homme à son aise ne quittera pas sa terre pour venir labourer la vôtre; et si vous avez besoin d'une paire de souliers, ce ne sera pas un maître des requêtes qui vous la fera. L'égalité est donc à la fois la chose la plus naturelle, et en même temps la plus chi mérique.

Comme les hommes sont excessifs en tout quand ils le peuvent, on a outré cette inégalité; on a prétendu dans plusieurs pays qu'il n'était pas permis à un citoyen de sortir de la contrée où le hasard l'a fait naître; le sens de cette loi est visiblement: « Ce pays est si mauvais et » simal gouverné que nous défendons à chaque individu » d'en sortir, de peur que tout le monde n'en sorte. » Faites mieux; donnez à tous vos sujets envie de démeurer chez vous, et aux étrangers d'y venir.

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