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inains sur la croix contre un peuple ingrat qui avait crié: Crucifiez-le, crucifiez-le.

C'est bien ici le cas de s'écrier aussi comme Plutarque : Les ténèbres de la superstition sont plus dangereuses quc celles des éclipses.

ÉCONOMIE.

Ce mot ne signifie, dans l'acception ordinaire, que la manière d'administrer son bien; elle est commune à un père de famille et à un surintendant des finances d'un royaume. Les différentes sortes de gouvernement, les tracasseries de famille et de cour, les guerres injustes et mal conduites, l'épée de Thémis mise dans les mains des bourreaux pour faire périr l'innocent, les discordes intestines, sont des objets étrangers à l'économie.

Il ne s'agit pas ici des déclamations de ces politiques qui gouvernent un état du fond de leur cabinet par des brochures.

Économie domestique.

La première économie, celle par qui subsistent toutes les autres, est celle de la campagne. C'est elle qui fournit les trois scules choses dont les hommes ont un vrai besoin, le vivre, le vêtir et le couvert; il n'y en a pas une quatrième, à moins que ce ne soit le chauffage dans les pays froids. Toutes les trois, bien entendues, donnent la santé, sans laquelle il n'y a rien.

On appelle quelquefois le séjour de la la campagne vie patriarchale; mais dans nos climats cette vie patriarchale serait impraticable et nous ferait mourir de froid, de faim et de misère.

Abraham va de la Chaldée au pays de Sichem; de là il faut qu'il fasse un long voyage par des déserts arides jusqu'à Memphis pour aller acheter du blé. J'écarte toujours respectueusement, comme je le dois, tout ce qui

est divin dans l'histoire d'Abraham et dè ses enfants; je ne considère ici que son économie rurale.

Je ne lui vois pas une seule maison: il quitte la plus fertile contrée de l'univers, et des villes où il y avait des maisons commodes, pour aller errer dans des pays dont il ne pouvait entendre la langue.

Il va de Sodome dans le désert de Gérar, sans avoir le moindre établissement. Lorsqu'il renvoie Agar et l'enfant qu'il a eu d'elle, c'est encore dans un désert; et il ne leur donne, pour tout viatique, qu'un morceau de pain et une cruche d'eau. Lorsqu'il va sacrifier son fils au Seigneur, c'est encore dans un désert. Il va couper le bois lui-même pour brûler la victime, et le charge sur le dos de son fils, qu'il doit immoler.

Sa femme meurt dans un lieu nommé Arbé ou Hébron; il n'a pas seulement six pieds de terre à lui pour l'ensevelir: il est obligé d'acheter une caverne pour y mettre sa femme. C'est le seul morceau de terre qu'il ait jamais possédé.

Cependant il eut beaucoup d'enfants; car, sans comp ter Isaac et sa postérité, il eut de son autre femme Céthura à l'âge de cent quarante ans, selon le calcul ordinaire, cinq enfants mâles qui s'en allèrent vers l'Arabie.

Il n'est point dit qu'Isaac eût un seul quartier de terre dans le pays où mourut son père; au contraire, il s'en va dans le désert de Gérar avec sa femme Rébecca, chez ce même Abimelech, roi de Gérar, qui avait été amoureux de sa mère.

Ce roi du désert devient aussi amoureux de sa femme Rébecca, que son mari fait passer pour sa sœur, comme Abraham avait donné sa femme Sara pour sa sœur à ce même roi Abimelech, quarante ans auparavant. Il est étonnant que dans cette famille on fasse toujours passer sa femme pour sa sœur, afin d'y gagner quelque

un peu

chose; mais puisque ces faits sont consacrés, c'est à nous de garder un silence respectueux.

L'Écriture dit qu'il s'enrichissait dans cette terre horrible, devenue fertile pour lui, et qu'il devint extrê mement puissant. Mais il est dit aussi qu'il n'avait pas de l'eau à boire, qu'il eut une grande querelle avec les pasteurs du roitelet de Gérar pour un puits; et on ne voit point qu'il eût une maison en propre.

Ses enfants, Ésau et Jacob, n'ont pas plus d'établissement que leur père. Jacob est obligé d'aller chercher à vivre dans la Mésopotamie, dont Abraham était sorti: il sert sept années pour avoir une des filles de Laban, et sept autres années pour obtenir la seconde fille. Il s'enfuit avec Rachel et les troupeaux de son beau-père, qui court après lui. Ce n'est pas là une fortune bien assurée.

Esau est représenté aussi errant que Jacob. Aucun des douze patriarches, enfants de Jacob, n'a de demeure fixe, ni un champ dont il soit propriétaire. Ils ne reposent que sous des tentes, comme les Arabes Bédouins.

Il est clair que cette vie patriarchale ne convient nullement à la température de notre air. Il faut à un bon cultivateur, tel que les Pignoux d'Auvergne, une maison saine tournée à l'orient, de vastes granges, de non moins vastes écuries, des étables proprement tenues; et le tout peut aller à cinquante mille francs au moins de notre monnaie d'aujourd'hui, Il doit semer tous les ans cent arpents en blé, en mettre autant en bons pâturages, posséder quelques arpents de vigne, et environ cinquante arpents pour les menus grains et les legumes; une tren. taine d'arpents de bois, une plantation de mûriers, des vers à soie, des ruches. Avec tous ces avantages bien économisés, il entretiendra une nombreuse famille dans l'abondance de tout. Sa terre s'améliorera de jour en jour; il supportera sans rien craindre les dérangements des saisons et le fardeau des impôts, parce qu'une bonne année répare les dommages de deux mauvaises. Il jouira

dans son domaine d'une souveraineté réelle qui ne será soumise qu'aux lois. C'est l'état le plus naturel de l'homme, leplus tranquille, le plus heureux, et malheureusement le plus rare.

Le fils de ce véritable patriarche, se voyant riche, se dégoûte bientôt de payer la taxe humiliante de la taille; il a malheureusement appris quelque latin; il court à la ville, achète une charge qui l'exempte de cette taxe et qui donnera la noblesse à son fils au bout de vingt ans. Il vend son domaine pour payer sa vanité. Une fille élevée dans le luxe l'épouse, le déshonore et le ruine; il meurt dans la mendicité, et son fils porte la livrée dans Paris.

Telle est la différence entre l'économie de la campagne et les illusions des villes.

L'économie à la ville est toute différente. Vivez-vous dans votre terre, vous n'achetez presque rien; le sol vous produit tout, vous pouvez nourrir soixante personnes sans presque vous en apercevoir. Portez à la ville le même revenu, vous achetez tout chèrement, et vous pouvez nour. rir à peine cinq ou six domestiques. Un père de famille qui vit dans sa terre avec douze mille livres de rente, aura besoin d'une grande attention pour vivre à Paris dans la même abondance avec quarante mille. Cette proportion a toujours subsisté entre l'économie rurale et celle de la capitale. Il en faut toujours revenir à la singulière lettre de madame de Maintenon à sa belle-sœur madame d'Aubigné, dont on a tant parlé; on ne peut trop la remettre sous les yeux.

» Vous croirez bien que je connais Paris mieux que » vous: dans ce même esprit, voici, ma chère sœur, un » projet de dépense, tel que je l'exécuterais si j'étais hors » de la cour. Vous êtes douze personnes, monsieur et » madame, trois femmes, quatre laquais, deux cochers, » un valet de chambre,

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>>> Je compte quatre sous en vin pour vos quatre la» quais et vos deux cochers. C'est ce que madame de » Montespan donne aux siens. Si vous aviez du vin en » cave il ne vous en coûterait par trois sous: s: j'en mets » six pour votre valet de chambre, et vingt pour vous » deux qui n'en buvez pas pour trois.

» Je mets une livre de chandelle par jour, quoiqu'il » n'en faille qu'une demi-livre. Je mets dix sous en bou>> gie; il y en a six à la livre, qui coûte une livre dix sous, >> et qui dure trois jours.

>> Je mets deux livres pour le bois; cependant vous » n'en brûlerez que trois mois de l'année; et il ne faut » que deux feux.

>> Je mets une livre dix sous pour le fruit; le sucre ne >> coûte que onze sous la livre, et il n'en faut qu'un quar. >>teron pour une compote.

» Je mets deux pièces de rôti: on en épargne une » quand monsieur ou madame dîne ou soupe en ville; » mais aussi j'ai oublié une volaille bouillie le pour po>>tage. Nous entendons le ménage. Vous pouvez fort bien » sans passer quinze livres avoir une entrée, tantôt de » saucisses, tantôt de langues de mouton, ou de fraise » de veau, le gigot bourgeois, la pyramide éternelle et >> la compote que vous aimez tant (1).

(1) Dans ce temps-là, et c'était le plus brillant de Louis

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